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Une ordonnance de police fait défense au marchands de louer à ces femmes, à prix d'argent, à la semaine ou à la journée, des robes, des pelisses, des mantelets et autres ajustements; ce qui prouve d'un côté l'extrême misère, et de l'autre l'usure effroyable que ces marchands ne rougissaient pas d'exercer sur ces créatures, qui n'ont ni meubles ni vêtements, et qui sentent la nécessité de se parer, afin d'être payées à un plus haut prix; car une pelisse rend plus exigeante qu'un casaquin.

Toutes les semaines on en fait des enlèvements nocturnes, avec une facilité qui, trop excessive, ne saurait manquer de déplaire au spéculateur politique, malgré le mépris qu'inspire l'espèce que l'on traite ainsi. Le spéculateur songera à la violation de l'asile domestique dans les heures de la nuit, à la faiblesse du sexe, aux mauvais traitements qu'il essuie, et aux inconvénients qui en peuvent résulter, ces créatures étant quelquefois enceintes; car le libertinage ne les dispense pas toujours d'être mères.

On les conduit dans la prison de la rue Saint-Martin, et le dernier vendredi du mois elles passent à la police; c'est-à-dire, qu'elles reçoivent à genoux la sentence qui les condamne à être enfermées à la Salpêtrière. Elles n'ont ni procureurs, ni avocats, ni défenseurs. On les juge fort arbitrairement.

Le lendemain on les fait monter dans un long chariot qui n'est pas couvert. Elles sont toutes debout et pressées. L'une pleure, l'autre gémit; celle-ci se cache le visage; les plus effrontées soutiennent les regard de la populace qui les apostrophe; elles ripostent indécemment, et bravent les huées qui s'élèvent sur leur passage. Ce char scandaleux traverse une partie de la ville en plein jour, et les propos que cette marche occasionne sont encore une atteinte à l'honnêté publique.

Les plus huppées et les matrones, avec un peu d'argent, obtiennent la permission d'aller dans un chariot couvert.

Arrivées à l'hôpital, on les visite, et on sépare celles qui sont infectées, pour les envoyer à Bicêtre y trouver la cure ou la

mort: nouveau tableau qui s'offre à ma plume, mais que je recule encore, frémissant de le tracer, et non guéri de l'impression horrible qu'il a laissé dans tous mes sens.

O toi qui, loin des villes, respires en paix l'air des monts, heureux habitant des Alpes! tu ne vois autour de toi que des beautés innocentes, pures et intactes, comme la neige qui couronne les sommets resplendissants de ces montagnes qui ceintrent l'horizon; dans ce séjour des vertus, aussi éloigné par tes mœurs du siége brillant de la corruption que tu en es loin par tes goûts simples et paisibles, apprends à connaître et à mieux goûter les chastes embrassements d'une tendre épouse et les caresses d'une sœur aimée. Tu sais combien la pureté de l'âme et la modestie vraie et touchante prêtent de charmes et d'intérêt à la beauté, quelle distance infinie se trouve entre le sourire maniéré et le regard d'une Parisienne, et le front animé et pudique de ces vierges brillantes de fraîcheur et de santé, pour qui la débauche est encore un mot sans idées! Ah! trop heureux républicains, conservez tous dans vos paisibles retraites cette pureté de mœurs, gage de la félicité et des vertus domestiques; pleurez sur le jeune imprudent qui, épris d'un vain faste, amoureux d'un luxe puéril, trompé par une liberté licencieuse, va se précipiter dans les grossières voluptés de la capitale; retenez-le; enchaînez-le; et de peur que des mots honteux ne viennent à frapper les chaste oreilles des jeunes beautés qu'il abandonne, et qui les feraient rougir sans qu'elles en comprissent toute l'étendue, dites-lui en langue non vulgaire : « Siste miser! ibi << luxus et avaritia matrimonio discordi junguntur; ibi ingenui<< tas morum corrumpitur et venditur auro; ibi horribilis caco<< monades veneris templum et voluptatum sedes occupat; ibi << amoris sagittæ mortiferæ et venenatæ ; ibi exercentur artes << damnosæ, seu saltem vanæ et prorsùs inutiles; ibi moventur li«tes et jurgia; ibi justitia ipsa gladium pro miseris tenet; ibi << miseros agricolas excoriant et procurator et publicanus, nec << missura cutem, nisi plena cruoris, hirundo; ibi fastus et

<< opes dominantur ibi virtus laudatur et alget, dum vitia co« ronantur. Undè proverbium frequens et solemne: Omne ma« lum ab urbe. »

On peut évaluer à près de cinquante millions par an l'argent que l'on prodigue aux filles publiques, en les comprenant toutes sous cette dénomination. L'article des aumônes ne va guère qu'à trois millions; disproportion qui donne à réfléchir. Cet argent va aux marchandes de modes, aux bijoutiers, aux loueurs de carrosses, aux traiteurs, aux aubergistes, aux hôtels garnis, etc. Et ce qui inspire un profond effroi, c'est que si la prostitution venait à cesser tout à coup, vingt mille filles périraient de misère, les travaux de ce sexe malheureux ne pouvant pas suffire ici à son entretien ni à sa nourriture. Aussi ce débordement est-il comme inséparable d'une ville populeuse; et une infinité de métiers ne subsistent que par la circulation rapide des espèces qu'entretient le libertinage. L'avare lui-même tire son or de son coffre, pour en acheter de jeunes attraits que le besoin lui soumet; une passion plus forte a dompté sa passion chérie. Il regrette son or, il pleure: mais l'or a coulé.

XXXI.

St, st, st.

Aujourd'hui les filles publiques, du haut de leurs fenêtres ou balcons, sifflent comme des couleuvres : c'est l'appel. Elles font bien de prendre l'accent juste, puisqu'elles recèlent le venin de la vipère.

la

On avait donné à une fille le nom d'Harpagine : cette courtisane ignorant que ce mot était synonyme au mal vénérien, le portait avec candeur. Un académicien qui savait le grec détrompa en lui rendant visite. Elle devint furieuse, et depuis ce jour-là elle ne veut plus porter que le nom d'une vierge. Il n'y a plus qu'un moyen pour se débarrasser de ces nymphes

nocturnes qui vous assiégent de toutes parts, c'est de leur dire énergiquement je n'ai plus d'argent.

Quelquefois, le soir, on rencontre dans les rues le guet à pied qui, tenant le fusil sous son bras, conduit galamment de l'autre une jeune fille, tandis que son camarade tient une vieille matrone; c'est un enlèvement, soit qu'il y ait eu tapage, soit que le jour de la punition soit arrivé.

L'une, qui est novice, se désespère et se lamente; celle-ci, plus effrontée, tient tête au soldat qui la mène.

Le plus souvent elles sont en déshabillé, et dans le plus grand désordre; on ne leur a pas donné le temps de s'habiller; elles tiennent leurs jupes, qui tomberaient si elles n'y portaient pas la main. On les traîne d'un pas précipité, et à travers les boues, chez le commissaire qui a fait l'enlèvement. La canaille s'assemble et rit; l'une est échevelée, l'autre chante et brave l'orage. Elles sont introduites dans l'étude du commissaire, devant le jeune clerc qui les reconnaît, mais qui ne peut adoucir le procès-verbal.

Elles déclinent leur nom ou celui qu'elles veulent prendre avant que d'être conduites à la prison de pénitence. Toutes les charges sont déduites avec des expressions non voilées; le commissaire et son clerc sont accoutumés à l'idiôme des mauvais lieux, comme des académiciens le sont au beau langage. Au reste, les mots proscrits de la langue sont positivement dans toutes les bouches, depuis les princes jusqu'aux crocheteurs. Les femmes aujourd'hui se les permettent, et jurent comme les hommes, surtout à la cour; on dirait d'une particule explétive.

Tandis que l'on verbalise, ces filles avertissent leurs amoureux de ce revers inattendu; ils arrivent avec leurs physionomies de ribotteurs; mais les champions n'osent délivrer leurs dulcinées. Elles sortent, et l'on voit couler les larmes d'un enfant de treize à quatorze ans, tout auprès de l'immobilité stupide d'une vieille dévergondée.

Ces victimes de l'incontinence publique sont toujours forcées de mentir; le libertinage est puni, car il s'éloigne de la volupté, il en devient l'antipode. Telle fille au milieu de la prostitution a vécu trois années dans une maison de libertinage sans avoir connu un homme naturellement; il y a des prostituées qui sont pucelles, et elles sont loin de pouvoir s'appeler vierges. Tirons le rideau.

On appelle des impures toutes celles qui vaguent dans les rues, et cette dénomination s'étend jusqu'à celles qui se promènent au Palais-Royal; mais la débauche dans cette grande ville ressemble à ces taches noires dans un morceau de marbre blanc. L'innocence intacte est tout à côté du libertinage effronté, et ne se mêle point avec lui. Le second ordre de la bourgeoisie a des mœurs et des mœurs plus pures peut-être que dans tout autre lieu du monde; cependant la débauche, ou du moins son image, cercle de toutes parts ces maisons honnêtes, et ⚫celles-ci sont inaccessibles à la corruption; elles semblent même ignorer les désordres et les turpitudes qui sont à vingt pas d'elles.

Les lois humaines ont leurs bornes; elles ne peuvent violenter trop durement, elles ne sauraient fouiller trop avant; réformatrices de ce qui porte le scandale, elles augmenteraient le désordre en voulant l'anéantir. Les femmes sont les idoles de la faiblesse humaine. L'opulence les couvre de bijoux les plus précieux, des étoffes les plus riches. Le vice est embelli, pour ainsi dire, dans la personne d'une courtisane; il ne reprend ses traits honteux et sa couleur rebutante que dans les dernières victimes de l'incontinence. L'air libre et immodeste va à telle femme, comment la police séparera-t-elle deux désordres égaux? Comment sera-t-elle indulgente pour le libertinage paré roulant dans un char, et sévère pour le libertinage de détresse marchant dans les rues fangeuses?

Il y a de la différence sans doute dans les noms, lorsque celle-ci s'appelle la Ribotte, l'autre Belair, l'autre Caraco-Noir, la quatrième Ventre-Bleu, et la dernière comme le porte-en

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