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une fleur depuis quarante aus! aucun coup d'encensoir ne s'est abaissé d'une ligne! Tous les cris des incrédules ne sont que des murmures impuissants et perdus !

L'œil fixé sur le balcon de l'ambassadeur de Venise, je me disais Les voilà, les politiques de l'Europe! ils ont vu passer la procession, et ils ne douteront point de sa réalité. Remarquons en passant que le corps diplomatique, quoique d'ailleurs très-instruit et très-respectable, jargonne le français, et que chacun lui donne l'accent de son pays. Ne pouvant pas visiter tous les souverains de l'Europe, j'ai du moins vu leurs représentants. Ce balcon n'était point la tour de Babel; la confusion des langues n'y régnait pas; mais on pouvait néanmoins entendre toutes les modulations étrangères que les agens de la politique européenne impriment à la langue française.

XXVIII.

Confessionnal.

Je traverse une église, je vois une robe soyeuse, ondoyante, qui tombe avec grâce sur une jambe dont mon œil devine la légèreté et le contour; un mantelet serre des appas, sans en dérober l'élégance; des cheveux blonds percent à travers la coiffure je m'arrête, il faut que je devine l'âge sans voir la figure... C'est une beauté de dix-sept ans, qui est à genoux dans la boîte, le cou baissé, et dont l'haleine douce, fraîche et pure, se perd dans la barbe grise d'un capucin; également intéressante, soit qu'elle mente par pudeur, soit qu'elle hasarde par crainte des demi-aveux. Mais si elle se confesse à un jeune vicaire aux sourcils noirs, au nez aquilin, à la belle jambe, aux manchettes lissées, quelles bornes auront la curiosité de l'un et la naïve confiance de l'autre?

Je ne la vois pas, mais je devine encore que son sein palpite; elle parle et n'ose souffler. Sans doute elle est innocente en

comparaison de cette femme âgée qui fait contre-poids. Pourquoi donc la confession de la jeune fille est-elle plus longue? Pourquoi !... Qui l'entend? qui l'interroge? qui se sent assez de force, de dignité et de prudence pour ne pas craindre son cœur en scrutant celui d'une jeune personne qui s'agenouille, les yeux baissés, les mains jointes, qui attend son arrêt, et qui ne peut pas pleurer les péchés qu'elle a commis ou fait commettre? Voyez-la sortir du confessionnal elle est muette, interdite, pensive: elle fuit vos regards avec une modestie profonde; mais le remords n'est pas peint sur cette physionomie douce : la rougeur couvre ses joues; mais cette rougeur, on ne la prendra point pour de la honte.

Quand M. de la Lande lut à l'Académie des sciences un mémoire sur les comètes, et qu'on crut qu'il admettait la possibilité d'un globe venant heurter notre planète et la réduisant en poudre, comme une comète traversait alors notre tourbillon, le bruit de la fin du monde se répandit dans tout Paris et plus loin encore; car il pénétra jusque dans les montagnes de la Suisse. L'alarme fut universelle; et l'astronome, sans y penser, fit plus avec ses rêveries que tous les prédicateurs ensemble. On se précipita dans les églises avec tremblement et frayeur. On vit les confessionnaux des paroisses environnés d'une foule de personnes qui voulaient se munir d'une absolution; c'était à qui entrerait dans le sacré tribunal. Le grand pénitencier de Notre-Dame, à qui seul est remis le droit d'entendre les cas réservés, fut plus assailli que les autres; autour de sa chapelle erraient des figures telles qu'on n'en avait jamais vues, des physionomies pâles et mélancoliques, des hommes qui semblaient sortir du sein des forêts; leur confession était comme empreinte sur leurs fronts; la crainte et le repentir commencé n'en pouvaient adoucir encore la férocité. Le jour marqué pour le désastre universel fut écoulé sans que la terre eût été choquée alors tous ces visages effrayants et effrayés disparurent; la foule devint plus rare autour des confessionnaux; les mains

qui ne pouvaient suffire à marquer du signe de la réconciliation tant de têtes tremblantes ou coupables rentrèrent dans une oisiveté absolue.

XXIX.

De certaines femmes.

Si les femmes attaquaient, que deviendrions-nous devant leurs charmes, devant leur audace passionnée et leurs amoureux transports? La nature leur a donné la pudeur, qui est une suite du défaut de forces qui leur ont été sagement refusées. Aujourd'hui certaines femmes, par désœuvrement, par curiosité et surtout par ambition, ne s'interdisent point l'attaque: mais le système de la nature n'est pas rompu pour cela; les hommes ont le droit de refuser, ou en sont quittes pour une passade.

Ce petit chapitre ne sera point entendu dans les pays fortunés où règne encore l'innocence: ailleurs il ne le sera que trop. Je n'ai donc pas besoin de l'achever. C'est bien à regret que ma plume touche à ces turpides; mais je peins Paris.

XXX.

Filles publiques.

Elles se donnent après tout pour ce qu'elles sont; elles ont un vice de moins, l'hypocrisie: elles ne peuvent causer les ravages qu'une femme libertine et prude occasionne souvent sous les fausse apparences de la modestie et de l'amour. Malheureuses victimes de l'indigence ou de l'abandon de leurs parents, rarement déterminées par un tempérament fougueux, elles ne s'offensent ni de l'outrage ni du mépris; elles sont avilies à leurs propres yeux; et ne pouvant plus régner par les grâces. de la pudeur, elles se jettent du côté opposé, elles étalent l'audace de l'infamie.

Mais il y a encore des degrés dans cet abîme de corruption; l'une se livre tout à la fois au plaisir et à l'argent; l'autre est une brute qui n'a plus de sexe, et qui ne sent pas même la dérision qu'elle inspire.

Nous n'offenserons pas ici les oreilles chastes, ni les yeux de l'innocence, en leur présentant les scènes de la débauche et de la crapule; nous tairons les fantaisies du libertinage, les saillies et les fougues de cent cinquante mille célibataires, voués à quarante mille prostituées. Elles vont à ce nombre.

Un peintre qui a du génie, M. Rétif de la Bretonne, en a tracé le tableau dans son Paysan perverti: les touches en sont si vigoureuses, que le tableau en est révoltant; mais il n'est malheureusement que trop vrai. Arrêtons-nous, et gardons-nous d'épouvanter les imaginations sensibles; car les désordres voilés de l'humanité ne sont pas bons à mettre au grand jour.

Disons seulement que le nombre des filles publiques ne favorisant que trop le désordre des passions, a donné aux jeunes gens un ton libre qu'ils prennent avec les femmes les plus honnêtes; de sorte que dans ce siècle si poli, on est grossier en

amour.

Nous sommes si éloignés de la galanterie ingénieuse de nos pères, que notre conversation avec les femmes que nous estimons le plus est rarement délicate. Elles abondent en mauvaises plaisanteries, en équivoques, en narrations scandaleuses. Il serait temps de corriger ce mauvais ton; c'est aux femmes qu'il appartient d'établir la réforme, en ne permettant plus ces propos qu'elles ont été obligées de souffrir, sous peine de passer pour bégueules.

Les passions honteuses et publiques portent avec elles leur contre-poison, et ne sont pas peut-être si difficiles à réprimer que celles dont le déréglement paraît excusable; en sorte que je croirais qu'une fille publique est plus près de devenir honnête femme que la femme galante.

Mais le scandale des filles publiques est poussé trop loin dans

la capitale. Il ne faudrait pas que le mépris des mœurs fût si visible, si affiché; il faudrait respecter davantage la pudeur et l'honnêteté publique.

Comment un père de famille, pauvre et honnête, se flatterat-il de conserver sa fille innocente et intacte, dans l'âge des passions, lorsque celle-ci verra à sa porte une prostituée mise élégamment, attaquer les hommes, faire parade du vice, briller au sein de la débauche, et jouir, sous la protection des lois mêmes, de sa licence effrénée? Le retour qu'elle fera sur elle-même lui dira qu'il n'y a aucun prix solide attaché à l'exercice de la vertu, et elle se lassera de se combattre elle-même : la raison ne pourra point lui faire apercevoir distinctement les avantages qui résultent de la sagesse; elle ne verra que l'exemple le plus dangereux des séducteurs, surtout pour son sexe.

Aussi n'est-il guère possible que l'imagination la plus hardie ajoute à la licence des mœurs actuelles : la corruption dans le dernier ordre des citoyens, ainsi que dans le premier, n'a presque plus de progrès à faire

On compte à Paris trente mille filles publiques, c'est-à-dire vulgivagues, et dix mille environ moins indécentes, qui sont entretenues, et qui d'année en année passent en différentes mains. On les appelait autrefois femmes amoureuses, filles folles de leur corps. Les filles publiques ne sont point amoureuses; et si elles sont folles de leur corps, ceux qui les fréquentent sont beaucoup plus insensés.

La police va chercher des espionnes dans ce corps infâme. Ses agents mettent ces malheureuses à contribution, ajoutent leurs désordres aux désordres de la chose, exercent un empire sourdement tyrannique sur cette portion avilie, qui pense qu'il n'y a plus de lois pour elle: ils se montrent enfin quelquefois plus horriblement corrompus que la vile prostituée; car celle-ci acquiert le droit de les traiter avec mépris, tant ils remportent le prix de la bassesse! Oui, il y a des êtres au-dessous de ces femmes de mauvaise vie, et ces êtres sont certains hommes de police.

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