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et ce phénomène est dû à l'exemple de ma vertu et à ma vigi

lance.

Mais j'oubliais que le travail des modes est un art; art chéri, triomphant, qui dans ce siècle a reçu des honneurs, des distinctions. Cet art entre dans le palais des rois, y reçoit un accueil flatteur. La marchande de modes passe au milieu des gardes, pénètre l'appartement où la haute noblesse n'entre pas encore. Là on décide sur une robe, on prononce sur une coiffure, on examine tout le jeu d'un pli heureux. Les grâces, ajoutant aux dons de la nature, embellissent la majesté.

Mais qui mérite d'obtenir la gloire, ou de la main qui dessine ces ajustements, ou de celle qui les exécute? Problème difficile à résoudre. Peut-on dire ici: Invente, tu vivras? Qui sait de quelle tête féminine part la féconde idée qui va changer tous les bonnets de l'Europe, et soumettre encore des portions de l'Amérique et de l'Asie à nos collets montés?

La rivalité entre deux marchandes de modes a éclaté dernièrement, comme entre deux grands poëtes. Mais l'on a reconnu que le génie ne dépendait pas des longues études faites chez mademoiselle Alexandre, ou chez monsieur Baulard. Une petite marchande de modes de l'humble quai de Gesvres, bravant toutes les poétiques antécédentes, rejetant les documents des vieilles boutiques, s'élance, prend un coup d'oeil supérieur, renverse. tout l'édifice de la science de ses rivales. Elle fait révolution, son génie brillant domine, et la voilà admise auprès du trône.

Aussi, quand le cortége royal s'avance dans la capitale, que le pavé étincelle sous le fer des coursiers que monte une noble élite de guerriers, que tout le monde est aux fenêtres, que tous les regards plongent au fond du char étincelant, la reine, en passant, lève les yeux et honore d'un sourire sa marchande de modes (1).

(1) Ce passage des Mémoires secrets, à la date du 5 mai 1779, vient tout naturellement servir de complément au récit d'un petit événement, qui en fut un très-grand sans doute pour la marchande triomphante et sa rivale désespérée

Sa rivale en sèche de jalousie, murmure de ses succès, cherche à les rabaisser, ainsi que fait un journaliste dans ses feuilles contre un auteur applaudi. Mais la reine est l'arbitre des modes; son goût fait loi, et sa loi est toujours gracieuse.

Les marchandes de modes ont couvert de leurs industrieux chiffons la France entière et les nations voisines. Tout ce qui concerne la parure a été adopté avec une espèce de fureur par toutes les femmes de l'Europe. C'est une contrefaçon universelle; mais ces robes, ces garnitures, ces rubans, ces gazes, ces bonnets, ces plumes, ces blondes, ces chapeaux font aujourd'hui que quinze cent mille demoiselles nubiles ne se marieront pas. Tout mari a peur de la marchande de modes, et ne l'envisage qu'avec effroi. Le célibataire, dès qu'il voit ces coiffures, ces ajustements, ces panaches dont les femmes sont idolâtres, réfléchit, calcule et reste garçon. Mais les demoiselles vous diront qu'elles aiment autant des poufs et des bonnets historiés que des maris. Soit.

XVI.

De la mode.

Il ne faut que les fesses d'un singe pour faire courir tout Paris. Cela est vrai à la lettre. Figurez-vous une infinité de minis

« On a parlé plusieurs fois de mademoiselle Bertin, marchande de modes de la reine, et qui a l'honneur de travailler directement avec Sa Majesté pour tout ce qui concerne cette partie de sa garde-robe. Son atelier donne sur la rue Saint-Honoré. Le jour où la reine a fait son entrée, elle n'a pas manqué de se mettre sur son balcon, à la tète de ses trente ouvrières. Sa Majesté l'a remarquée, et a dit: Ah! voilà mademoiselle Bertin, et en même temps lui a fait de la main un signe de protection, qui l'a obligée de répondre par une révérence. Le roi s'est levé et lui a applaudi des mains: autre révérence; toute la famille royale en a fait autant, et les courtisans, singeant le maître, n'ont pas manqué de s'incliner en passant devant elle.. autant de révérences, qui l'ont extrêmement fatiguée... Mais cette distinction lui donne un relief merveilleux et augmente la considération dont elle jouissait déjà.» (Note de l'éditeur.)

tres, dont le règne ne s'étendrait pas au delà d'un jour, et qui chaque matin changeraient à leur lever les habillements, les usages, les esprits, les mœurs et même les caractères de tout un peuple; figurez-vous les femmes austères, tristes et prudes, se relevant le lendemain coquettes, douces et faciles, les principes de la veille absolument effacés, les opinions contraires se succédant d'un instant à l'autre. Tel est aux yeux du philosophe le spectacle de la mode.

Cent ans ne sont pour lui qu'un jour, et il trouve la race humaine aussi singulière de changer d'avis deux fois dans un siècle, que s'il voyait un particulier démentir son assertion une heure après l'avoir exposée.

La rotation perpétuelle du cercle des événements lui donne une légère teinture de l'instabilité des idées humaines; et, considérant les variations infinies de l'espèce, il pardonne au ridicule régnant, qui bientôt va être remplacé par un ridicule tout contraire.

Quand une opinion a été amenée par la mode, rien ne la déracine qu'une nouvelle invasion de la folie. L'autorité, la sagesse sont impuissantes contre la déraison universelle. Les sots sont les ministres de la mode, ils la respectent, ils regardent ses jeux comme des lois essentielles.

Le sage peut très-bien s'exempter d'adopter les modes nouvelles; mais il ne faut pas aussi qu'il les contrarie à dessein formé il lui est très-permis d'avoir un maintien grave, mais non ridicule; l'affectation en tout est un défaut. Quand sous Henri II on portail à Paris un gros derrière postiche, il n'était permis alors aux personnes qui se piquaient de philosophie que d'en porter un médiocre.

La mode d'être désintéressé ne viendra point, dit Fontenelle. Les bilboquets, les dragées, les devises, les calottes, les pantins, les magots ont eu leur règne ainsi que les concetti, les énigmes et le burlesque. Puis est venu Vadé avec son style poissard, et nous avons parlé le langage des halles. Les calembours,

les charades ont eu leur tour; enfin, Jeannot s'est vu placé sur nos cheminées en regard avec Préville qui ne vaut plus rien. Qui succédera à ces grands noms? Toute la sagacité du génie ne saurait le deviner. Les économistes ne sont plus, hélas! Je les ai vus naître, ergoter, briller, nous affamer et disparaître.

On a eu quelque envie de s'agiter pour la quadrature du cercle. On parle beaucoup de chimie : la mode aujourd'hui est d'étudier en cucurbite, de parler de l'esprit recteur, de savoir ce que c'est que le gaz silvestre et le fluor. Quoique Buffon soit meilleur naturaliste que Moïse, on a traité ses Epoques de la nature comme un ingénieux roman. Les encyclopédistes ont perdu de leur crédit, parce qu'ils ont voulu décider trop impérieusement les réputations littéraires, et que des coqs d'Inde se sont mêlés parmi des aigles.

Il est plus difficile à Paris de fixer l'admiration publique que de la faire naître: on brise impitoyablement l'idole qu'on encensait la veille; et dès qu'on s'aperçoit qu'un homme ou qu'un parti veut dogmatiser, on rit, et voilà soudain l'homme culbuté et le parti dissous.

XVII.

Remarques.

La mode, dans les grandes maisons, est de dîner son épée au côté; on s'esquive sans saluer, à l'issue du repas; mais le devoir de la maîtresse est de remarquer votre disparition, et de vous crier un mot vague, auquel on ne répond que par un monosyllabe. On reparaît dans la maison huit ou dix jours après, sous peine d'impolitesse.

Quand on a passé un an sans visiter une maison dans laquelle on a été admis, il faut se faire présenter de nouveau par quelqu'un qui porte vos excuses: on dit qu'on a été à la campagne,

qu'on a voyagé; et la maîtresse, qui vous a vu au spectacle toute l'année, fait semblant de vous croire.

On élève les enfants du premier âge beaucoup mieux qu'autrefois. On les plonge souvent dans les bains froids; on a pris la coutume heureuse de les vêtir légèrement et sans ligatures.

Cela est bien fait; car, en général, il ne manque aux hommes de Paris, pour être des femmes, que d'avoir des traits doux et des formes arrondies. Une quantité d'âmes féminines habitent chez des hommes, à qui il ne faut pas demander une sorte d'énergie dont ils sont incapables.

Quand il n'est que petit jour chez madame, les bons amis et les petits chiens ont la liberté d'entrer; les volets ne sont qu'à demi ouverts: le petit jour commence à onze heures son

nantes.

Quelques femmes à Paris ne se lèvent que vers le soir, et se couchent lorsque l'aurore paraît; une femme bel esprit adopte ordinairement cette coutume, et on l'appelle une lampe.

La maîtresse de la maison ne parle point des plats qui sont sur la table; il ne lui est permis que d'annoncer une poularde de Rennes, des perdrix du Mans, des pâtés de Périgueux, du mouton de Ganges et des olives d'Espagne.

Pour être l'homme du jour, il faut avoir délicatesse de complexion, délicatesse d'esprit, délicatesse de sentiment.

Jamais la renommée n'eut de trompettes plus menteuses que les journaux imprimés à Paris, et on ne les lit qu'en province.

Ce qu'il y a de plus rare à Paris, c'est d'avoir un régiment et de n'en pas tirer vanité devant les femmes : rien de moins commun qu'un officier, non pas honnête, mais modeste.

Un colonel dit qu'il est venu à Paris pour faire des hommes, au lieu de dire faire des soldats: l'usage a tellement prévalu, qu'on ne se sert point d'un autre terme devant les femmes.

Les boucles de souliers ressemblent toujours à celles des harnais. Elles varient quant au travail.

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