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image de ce que nos cités deviendront à leur tour; mais peuton réfléchir à cette catastrophe sans redouter les accidents de la nature, la fureur des éléments, celle des conquérants, plus terrible encore? Qu'offrirons-nous dans deux mille ans aux regards curieux et scrutateurs? Quelle est la statue, quel est le livre qui surnagera sur l'abîme de nos arts engloutis ou renversés par les ravages du temps, ou par le courroux des rois?

La poudre infernale (dont les magasins se sont multipliés surtout en Europe, et auxquels une étincelle suffit pour tout dévorer) ne devient-elle pas, dans les mains de l'ambition ou de la vengeance, un moyen immense de destruction, et plus dangereux mille fois que les matières embrasées que les volcans vomissent de leur inépuisable cratère? Les fléaux de la nature ne sont plus rien en comparaison de ceux que l'homme a créés pour sa ruine et celle des populeuses cités qu'il habite.

Les manuscrits trouvés dans les maisons d'Herculanum et de Pompéia, qui se déroulent si lentement, manifestent les caractères de la langue grecque ; mais c'est le hasard qui nous a livré l'un plutôt que l'autre : ainsi dans trois mille ans, quel sera l'ouvrage destiné à donner à nos descendants une idée de nos connaissances morales et physiques? Quel livre aura l'honneur de rallumer le flambeau éteint des sciences? Tel dictionnaire, peut-être, que nous méprisons aujourd'hui, sera accueilli avec transport; et une de nos compilations que nous jugeons fastidieuses, deviendra plus précieuse sans doute à la postérité, que les vers de Corneille, de Racine, de Boileau et de Voltaire. Oui, il appartiendra peut-être à une brochure dédaignée, de fixer de préférence l'attention de ces peuples nouveaux.

Que nos orgueilleux écrivains ne s'arrogent donc pas le droit de mépriser quiconque aujourd'hui tient la plume comme eux; car l'auteur qui fera fortune dans trois mille ans, qui dominera les esprits d'alors, qui les éclairera, nul de la génération actuelle ne peut ni le nommer ni le deviner.

Paris détruit! Xerxès, après avoir attentivement considéré la

prodigieuse armée qu'il commandait, versa des larmes en songeant qu'avant peu tant de milliers d'hommes disparaîtraient de dessus la terre. Et ne puis-je pas aussi, affecté du même sentiment, pleurer d'avance sur cette superbe ville?

On a vu en un clin d'œil une capitale ensevelie sous ses ruines; quarante-cinq mille personnes frappées d'un coup de mort; la fortune de deux cent mille sujets détruite ; une perte générale de deux milliards : quel tableau des vicissitudes des choses humaines! Ce phénomène terrible arriva le premier Novembre 1755.

Eh bien, ce coup de foudre qui abîma tout, sauva le Portugal aux yeux de la politique : il était conquis, sans ce désastre qui prêta à la réformation, mit une égalité aux fortunes particulières, réunit les cœurs et les esprits, et détourna les révolutions qui le menaçaient.

Considérée du côté physique, l'ancienne Lisbonne n'était qu'une cité d'Afrique, c'est-à-dire, une vaste bourgade, sans ordre, sans proportions : les rues étaient étroites et mal distribuées. Le tremblement abattit en trois minutes ce que la main timide des hommes aurait été si longtemps à renverser. Le goût déplorable des Maures tomba, et la ville se releva pompeuse et superbe.

Que savons-nous sur ce qui sort du sein des désastres? Que savons-nous?..... Paris détruit. Oh! je dirai toujours comme dans Memnon Ce sera bien dommage.

CXXVIII.

Supposition.

Je vais faire une supposition qu'on appellera certainement bizarre, forcenée, extravagante; mais j'ai mes raisons pour ne pas la passer sous silence. Si tous les ordres de l'État assemblés, ayant reconnu après un mûr examen que la capitale épuise le

royaume, dépeuple les campagnes, ruine l'agriculture, cache une multitude de bandits et d'artisans inutiles, corrompt les mœurs de proche en proche, recule l'époque d'un gouvernement formidable à l'étranger plus libre et plus heureux; si tous les ordres de l'État, dis-je, tout vu et considéré, ordonnaient qu'on mît le feu aux quatre coins de Paris, après avoir préalablement averti les habitants une année d'avance... quel serait le résultat de ce grand sacrifice fait à la patrie et aux générations futures? Serait-ce là en effet un service rendu aux provinces et au royaume? Je vous laisse à examiner et à décider cet intéressant problème, lecteur; et notez bien que dans cet embrasement je comprends Versailles, qui n'est qu'un appendice de la monstrueuse ville; car Versailles n'existe que par Paris, comme Paris semble n'exister que pour Versailles.

Allons, évertuez-vous, mon cher lecteur, je ne vous dirai pas mon mot aujourd'hui; je m'en donnerai bien de garde : avec de bons yeux, tels que les vôtres, on voit des choses que d'autres n'ont point vues, ou qu'ils ont mal vues, ce qui revient au même.

Et vous, mes chers Parisiens, consentirez-vous à être brûlés, j'entends seulement vos maisons et vos édifices? Mais ne sachant pas combien je vous chéris, vous me condamnez moimême au bûcher, sur cette simple supposition..... Allons, appelez tous les seaux, toutes les pompes de la ville, pour éteindre ce furieux incendie: il n'y a plus que de la fumée. Bon! vous voilà sûrs de vos maisons à huit étages. Mangeons du pain de Gonesse, comme par le passé, et vogue la galère !

FIN.

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