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modes, quelquefois si fantasques, qu'elles imaginent pour quelques jours, et qu'elles renversent quelques jours après.

Les noms des modes qu'elles donnent à chaque partie de leur habillement, formeraient un dictionnaire en plusieurs volumes in-folio. Cet ouvrage manque à la nation; mais Panckouke y travaille, dit-on, avec la plus grande activité.

Les plus laides sont presque toujours celles qui se parent le plus richement, et cela doit être. Une mère de famille n'oserait, le soir, traverser la bruyante promenade avec ses deux jeunes filles; la vertueuse épouse, la citoyenne honnête, n'oseraient paraître à côté de ces courtisanes hardies; leur parure, leur tenue, leurs airs, et souvent même leurs paroles, tout les force à fuir, en gémissant sur la corruption générale des deux

sexes.

C'est sous ces planches, que le feu dévorera peut-être en une nuit, qu'on voit le précoce libertinage; il est à l'encan pour l'homme qui s'éteint. On y remarque une foule de jeunes gens qui, en fredonnant, se précipitent dans les petits spectacles, plus fréquentés que les grands, car ils sont immoraux. Ces jeunes gens ont des physionomies toutes particulières, où se peignent des âmes blasées, des cœurs froids, des passions sans plaisir et sans vigueur; le trafic des sens, le dépérissement des races, la sacrilége familiarité des enfants, qui ne regardent plus leurs parents que comme d'avares économes dont ils désirent confusément la mort, sans oser trop désavouer cet horrible désir, voilà les vices qui marchent tête levée: on n'est plus que le vil et sot fabricateur de son fils, que la gouvernante imbécile et surannée de sa fille; et les mœurs sacrées sont abolies et même ridiculisées dans les entretiens de ces déplorables adolescents, déjà formés pour les fausses idées d'une génération corrompue et pire que celle qui l'a précédée.

C'est là que vous entendrez réciter tout haut les vers les plus infâmes de l'infâme Pucelle, ainsi que les principes les plus irréligieux de cet homme qui séduisit la France, mais qui ne

séduisit qu'elle, parce qu'il ne travaillait que pour elle; de cet homme qui eut plus d'art pour usurper une grande réputation, que de génie pour la mériter; de cet homme qui a plus influé sur les cœurs qu'il a corrompus, que sur les esprits qu'il se vantait d'éclairer; de cet homme enfin qui, d'après le portrait que nous venons d'en esquisser, devait tout naturellement devenir l'ennemi de Jean-Jacques Rousseau, et se couvrir d'opprobre, par son lâche acharnement à persécuter le plus vertueux, des hommes, qui le pleura à sa mort. Il ne manque plus au lieu, que d'élever la statue de Voltaire au centre du jardin, et d'écrire sur le piédestal : Au chantre Gris-Bourdon.

Hélas! en vain vous y chercherez la timide retenue, le doux embarras, la rougeur de l'innocence, la pâleur qui la couvre quand on ose l'attaquer, les aimables couleurs de l'adolescence, le charme attendrissant de l'aurore d'une beauté jeune et sage; partout vous y lirez que depuis dix ans il y a la plus déplorable différence dans le seul physique des Parisiens.

A peine une fille est-elle sortie des jeux innocents qui amusaient son enfance, qu'elle se plaît à étudier des danses voluptueuses, et tous les arts, et tous les mystères de l'amour. A peine une femme est-elle assise à la table de son mari, que d'un regard furtif elle y cherche un amant. Bientôt elle ne choisit plus ; elle croit que dans l'obscurité tous les plaisirs deviennent légitimes. N'est-ce point là la peinture de nos mœurs dans le quartier du Palais-Royal? Eh bien! c'est Horace qui l'a tracée; mais il n'avait pas deviné les retraites commodes que la débauche furtive ou intéressée soudoie, non par heures mais par minutes. Ce calcul l'aurait surpris, et il eût alors passé ses pinceaux à un Juvénal.

Eh! d'après un si brûlant foyer de voluptés faciles, de jouissances vénales, faut-il s'étonner si l'on fuit la plus respectable et la plus charmante des unions, l'unique lien sur la terre qui joint les plaisirs enflammés de l'amour aux douces émotions, au bonheur pur de l'amitié?

Cependant toutes les heures ne sont pas livrées à cette débauche ouverte. Il en est d'autres où l'on se promène au moins avec une apparence de décence. Le respect pour le public semble y régner. C'est à peu près vers les cinq heures, dans le printemps et dans l'été, et surtout le matin, vers onze heures, qu'unc femme honnête et belle peut se trouver au jardin du Palais-Royal sans avoir à se plaindre d'un regard. Une belle femme, qui est le plus beau spectacle de la nature, pourra étaler la puissance de ses attraits. On l'admirera; et elle jouira paisiblement du plaisir de la promenade, dans une enceinte qui à certains égards semble bâtie par les fées.

Le Cirque est le monument d'architecture le plus beau, le plus gracieux, le plus original, si on ose le dire, qui existe à Paris. On sourit, il est vrai, quand on se rappelle celui de l'ancienne Rome; mais il est juste de convenir que la destination de l'un et de l'autre n'ont aucune ressemblance. On peut dire sans exagération, qu'en petit c'est un temple, c'est une salle, c'est un édifice qui réunit le mérite de pouvoir y donner des fêtes et d'y rassembler le peuple; c'est une création souterraine formée d'un coup de baguette magique.

Le prince doit élever, dit-on, son palais sur cent quarante colonnes, et ce sera alors le plus charmant et le plus majestueux palais de la capitale; et la capitale, dans cent ans, pour peu que cela continue, deviendra la plus magnifique de l'Europe.

Au reste, ce quartier exige une tutelle perpétuelle, une vigilance plus étendue et plus détaillée qu'ailleurs. Il occupe donc la police avec ses dépendances, presque autant que le reste de la ville.

CXXV.

Suite du Palais-Royal.

A la Chine, dans la capitale de l'empire, il y a une foire comielle consiste à représenter les villes en petit dans une

que

étendue d'un quart de lieu. Tous les métiers, tout le fracas, toutes les allées, les venues, et même les friponneries, sont imités par une foule d'acteurs : l'un est marchand, l'autre artisan; celui-ci soldat, celui-là officier : les boutiques s'ouvrent, les marchandises sont étalées; on figure des acheteurs; on y voit un quartier pour la soie, un autre pour la toile, une rue pour les porcelaines, une pour les vernis vous trouvez des habits, des meubles, des ornements de femme; plus loin, des livres pour les curieux et les savants. Il y a des cabarets, des auberges; on voit entrer, sortir des colporteurs. Des fripiers vous tirent par la manche, et vous harcèlent pour vous faire prendre leur marchandise. On s'y querelle, on s'y bat; les archers arrêtent les querelleurs; ils sont conduits devant le juge, et ce juge les condamne à la bastonnade: quand on exécute ce plaisant arrêt, on touche l'acteur d'une manière insensible, et ce faux coupable imite les cris d'un patient, de manière à réjouir les spectateurs.

Le rôle de filou n'est pas oublié ; il est permis de voler adroitement; enfin, tout le mouvement de la ville est imité. L'empereur est confondu parmi ses sujets.

L'idée de cette foire pittoresque me semble riante; je voudrais qu'on l'exécutât à Pétersbourg, pour la bonne ville de Paris. On pourrait donner à une grande souveraine et à un peuple, pour qui ces objets seraient nouveaux, l'image fidèle d'une nation éloignée. Jugez des éclats de rire qu'occasionnerait à Madrid, à Vienne et à Moscou, le costume des Parisiens, et la salle du prix fixe, où l'on se déshabille pour se revêtir d'un habit tout fait, où l'on a deviné votre taille.

Si l'on voulait exécuter une pareille fête, j'ose dire que mon livre ne serait pas tout à fait inutile; je crois même que si on la donnait en France, les Parisiens riraient beaucoup de leur propre ressemblance. Combien d'objets qui, vus au miroir, acquièrent du piquant, et découvrent toute leur singularité!

La confusion des états, la bigarrure, la foule, tout donnerait

lieu à un bal unique qu'un nouveau Lucien pourrait embellir; mais chut!

Il y a des objets qui ont de la gravité, et dont l'imitation découvrirait le néant. Le pittoresque de cette fête attirerait tous les états, et si l'on parvenait à imiter l'embarras des rues, ce qui nous plaît tant dans la description ne nous plairait pas moins dans la représentation.

Enfin, la fête pourrait finir par une espèce de coup de théâtre : On sait que Paris est sous un ciel pluvieux; lorsque tout le monde serait dehors, on imiterait une pluie, on verrait fuir chacun, on représenterait les débats avec les fiacres, qu'on n'appelle plus que des sapins ; le cocher à moustache figurerait avec le cocher en souquenille; voitures, carrosses, cabriolets, charrettes, fourgons, tombereaux, qui empêcherait que tout cela ne fût peint au naturel ?

Il y aurait un art d'imiter tous ces objets dans une proportion plus petite.

On imagine tant de sortes de divertissements qui ne signifient rien; je crois que celui-ci aurait quelque chose de neuf et de piquant. On n'oublierait point les halles; et quel spectacle plus amusant et plus varié, que ce mélange des conditions, que ces flots continus d'hommes de tout état, de toute figure, de toute couleur; que ces longues files d'équipages, que ce mouvement rapide et perpétuel des chars et des piétons qui dominent? Imaginez Volanges faisant le lieutenant de police, et Dugazon, le prévôt des marchands: d'autres comédiens feraient les échevins, l'exempt, l'inspecteur, le commissaire, le mouchard; tout cela revêtu d'un peu de charges (car il en faudrait alors) ne pourrait manquer d'égayer tous les esprits.

Les cris augmenteraient les plaisirs de la fête. Les Romains avaient leurs saturnales (1); je crois qu'une pareille fête amu

(1) Tous les peuples de la terre ont eu leurs saturnales. Elles ne sont point d'institution à Paris, ce qui fait que la populace s'en forge de temps en temps.

(Nole de Mercier.)

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