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Le supplice de Damiens, et les atrocités de Desrues reviennent fréquemment dans les conversations, avec les réflexions anologues; le caractère, les paroles des fameux assassins sont analysés; et comme on s'occupe, au sortir de l'opéra, de la réforme de la jurisprudence criminelle, on parle des roués, en place de Grêve, comme des roués de cour. Depuis que les hommes se passent mutuellement de leur estime, ils s'offensent moins des termes par lesquels on les caractérise. On a dit de l'auteur des Liaisons dangereuses, c'est la plume d'un roué; il n'aura pas pris cette épithète en mauvaise part. Le voilà assimilé à gens de l'extrêmement bonne compagnie; et l'on peint ainsi d'un seul mot l'immoralité.

CXX.

Le Parlement.

Les parlements sont-ils une émanation des états-généraux ? Les remplacent-ils dans leur absence par la nature même de la monarchie, qui admet nécessairement un corps intermédiaire ? Ont-ils été plus utiles aux Rois qu'aux peuples, ou aux peuples qu'aux Rois? N'ont-ils pas achevé de détruire nos antiques libertés, en offrant à la nation un rempart vain et illusoire? Sontils des représentants de la nation, lorsque leurs charges sont tout-à-la-fois héréditaires et vénales, caractère distinctif de l'aristocratie qui se trouve au sein de la monarchie? Qui les a chargés, tantôt de livrer le peuple au Roi, tantôt de résister au Roi sans le vœu du peuple?

Mais aussi n'ont-ils pas quelquefois opposé une digue salutaire à des édits bursaux, et arrêté les coups trop violents du pou

le pauvre mari sauta de son lit, prit sa robe de conseiller et courut au palais pour ouvrir son avis, pour que son ventre ne le fût pas La femme a moins peur pour le sien. » (Note de l'éditeur)

voir absolu? N'ont-ils pas eu des moments de force et de sagesse? Mais pourquoi sont-ils presque toujours en-deçà des idées de leur siècle? Pourquoi ont-ils été mus tantôt par la cour, tantôt contre cette même cour, et le plus souvent à leur insu?

Pourquoi le parlement de Paris s'est-il comme détaché des autres cours? Pourquoi s'est-il opposé à la suppression des corvées, à la suppression des maîtrises? Pourquoi maintient-il les plus vieilles prérogatives et les plus abusives, le gouvernement féodal étant tombé et ne devant plus exister, puisqu'il n'y a plus qu'un maître? Pourquoi, sollicité par l'autorité royale, a-t-il refusé d'assurer aux protestants l'état civil? Pourquoi a-t-il soutenu le pour et le contre, comme s'il n'était jaloux que d'élever la voix? D'où naît sa faiblesse étrange dans telle circonstance, et sa force prodigieuse dans telle autre?

Ce corps a-t-il une politique suivie, ou bien obéit-il au hasard? Serait-il comme le petit poids qui court sur la balance romaine? Ici il n'est que zéro, là il fait tout-à-coup équilibre à une force puissante et considérable.

Comment les parlements, devant être chers aux souverains qui ont tout gagné par leur implantation dans le corps politique, ont-ils presque toujours été exposés à l'humeur capricieuse de ces mêmes souverains? Qu'est-ce que l'enregistrement ?je n'ai jamais su le comprendre. Qu'est-ce que ces remontrances qui ont quelquefois une éloquence mâle et patriotique, dignes des républiques, et qui n'ont rien opéré? Enfin qu'est-ce que la résistance des membres du parlement aux volontés du monarque ? Sont-ils des représentants de la nation, ou de simples juges créés pour rendre la justice au nom du Roi ?

Voilà des questions délicates, qui n'appartiennent point à cet ouvrage, et que je me garderai bien de vouloir résoudre. Les raisonnements et les faits peuvent militer de part et d'autre, et les circonstances seules feront de ce corps une ombre ou une réalité.

Si les Bourbons règnent aujourd'hui, ils le doivent à la fer

meté du parlement de Paris lors de la ligue. Il pourrait renaître un jour une époque à peu près semblable, où ce corps influerait d'une manière aussi inattendue et tout aussi décisive.

Il a fait le mal comme le bien: obéissant à je ne sais quel moteur invisible qui le domine tel jour, ses principes ne paraissent rien moins que fixes. Il est toujours le dernier à embrasser les idées saines et nouvelles. Il semble vouloir combattre aujourd'hui cette philosophie dont la voix lui a été dernièrement si utile. Il a tort. L'établissement de l'académie française (qui le croirait!) lui a inspiré dans le temps les plus vives alarmes. Lâché contre les jésuites, il a dévoré sa proie avec trop de fureur. Il paraît avoir un besoin sourd de détruire, plutôt que d'édifier ou de réformer avec une sage constance.

Le parlement de Paris a fait brûler vif en 1663 Simon Morin, parce qu'il se disait incorporé à Jésus-Christ. Cette épouvantable barbarie date du beau siècle de Louis XIV, lorsqu'il donnait des fêtes élégantes et superbes, lorsque Corneille, Racine, la Fontaine écrivaient, lorsque Lebrun tenait le pinceau, lorsque Lully et Quinaut mariaient leurs talents. Mais les poëtes, les peintres, les sculpteurs, les musiciens décorent une nation et ne l'éclairent pas.

Un philosophe courageux aurait sauvé la vie à Simon Morin, en démontrant la double démence des juges et de l'accusé. Ce philosophe ne se trouva pas. Boileau fit la même année une plate satyre, non contre le parlement qui avait livré à l'horrible supplice des flammes un insensé, mais contre quelques auteurs qui ne versifiaient pas aussi heureusement que lui. Racinę, s'enfermant dans son cabinet, composa une tragédie française d'après une tragédie grecque; il immola son Iphigénie, et parla de Calchas, sans oser faire la moindre allusion à cette atroce cruauté. Fénelon lui-même n'a rien dit. Qui de tous ces hommes célèbres a parlé? C'est une honte éternelle à tous les écrivains polis du beau siècle de Louis XIV, que je serais tenté d'appeller à demi-barbare.

Aujourd'hui les actions des juges sont observées, et leur iniquité ne passerait pas sans réclamation. Quand le même parlement fit périr par un horrible supplice l'infortuné de la Barre, un cri universel s'éleva contre cet arrêt fanatique, sauva la victime de la flétrissure, et rendit le corps des juges plus odieux que le tribunal de l'Inquisition.

C'est ce cri de la raison qui a sauvé, en 1776, l'auteur de Philosophie de la nature (1). Le Châtelet l'avait décrété de prise de corps, et le tenait prisonnier à côté de Desrues; mais malgré le désir extrême qu'avaient les juges d'envoyer l'écrivain faire amende honorable la torche en main devers la place de Grève, -l'opinion publique s'opposa tellement à une sentence aussi absurde, que le parlement, tribunal en dernier ressort, cassa toute l'inepte procédure, et renvoya l'auteur absous.

La persécution du Châtelet parut si méprisable et si ridicule, qu'elle ne pût même valoir à l'auteur une sorte de célébrité : il resta obscur. Cet évènement singulier ne captiva point l'opinion publique. On dirait que je parle ici d'un fait ancien, et il est tout récent.

Ce même parlement fait traîner sur la claie les suicides, les fait suspendre à la potence par les pieds, au lieu de les considérer comme des mélancoliques atteints d'une maladie réelle.

Il fait brûler les pédérastes, sans songer que la punition de cette vilenie est un scandale public, et que c'est un de ces actes honteux qu'il faut couvrir des voiles les plus épais.

(1) Delisle de Sales, dont il a été déjà question. Voici le portrait qu'en fait en quelques lignes, Châteaubriand dans ses Mémoires d'Outre-Tombe : « Delisle de Sales, très-brave homme, très-cordialement médiocre, avait un grand relâchement d'esprit, et laissait aller sous lui ses années; ce vieillard s'était composé une belle bibliothèque avec ses ouvrages qu'il brocantait à l'étranger, et que personne ne lisait à Paris. Chaque année, au printemps, il faisait ses remontes d'idées en Allemagne. Gros et débraillé, il portait un rouleau de papier crasseux que l'on voyait sortir de sa poche; il y consignait au coin des rues sa pensée du moment. Sur le piedestal de son buste en marbre, il avait tracé de sa main cette inscription, empruntée au buste de Buffon: Dieu, l'homme, la nature, il a tout expliqué. Delisle de Sales a tout expliqué!» (Note de l'éditeur.)

Un habitant de Lyon et de la Rochelle est obligé de venir plaider à Paris. C'est aller chercher la justice à une grande distance mais cet abus est invétéré, et il serait difficile de toucher à une coutume qui, dans son antique bizarrerie, a quelques avantages.

Quand les Rois allaient dans une espèce de coche, les conseillers et les présidents arrivaient au palais, montés sur une mule: aujourd'hui que les Rois de France ont infiniment plus à dépenser pour leur maison, il est juste que les conseillers et les présidents, qui remontrent et qui enregistrent, partagent un peu l'opulence et le luxe des monarques.

Ce parlement s'appuie dans les orages sur ses avocats et ses procureurs, et les oblige à jeûner pour ses intérêts propres ; on compte cinq cents cinquante avocats sur le tableau; il n'y a pas une cause par mois pour chaque avocat. Les procureurs, dans ces temps de crise, ne goûtent pas infiniment les remontrances. Les avocats plus fiers disent qu'ils out fermé leurs cabinets, mais les pièces d'écritures et les consultations vont sourdement leur train; le client en est quitte pour passer par l'escalier dérobé.

Lorsqu'un livre a l'approbation de l'Europe, qu'on le lit partout, qu'on en admire les idées neuves, fortes, grandes et justes, l'avocat général vient à la barre de la cour, fait un réquisitoire plein de non-sens et assaisonné de déclamations; il détache quelques phrases à la mode des journalistes et les souligne. Le livre est condamné à être brûlé au pied du grand escalier ou de l'escalier S. Barthélemi, comme hérétique, schismatique, erroné, violent, blasphémateur, impie, attentatoire à l'autorité, perturbateur du repos des empires, etc. Il n'y a pas une seule épithtète à rabattre.

On allume un fagot en présence de quelques polissons oisifs qui se trouvent là par hasard; le greffier substitue une vieille Bible vermoulue au livre condamné; le bourreau brûle le saint volume poudreux, et le greffier place l'ouvrage anathématisé et recherché, dans sa bibliothèque.

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