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niais, ou des critiques sans lumière et sans sel, et qui s'arrogent ensuite, dans les sociétés, le titre d'hommes de lettres : l'un a fait quatre héroïdes, et l'autre deux opéras-comiques. Tantôt ils disent qu'ils ne sont pas auteurs, et ils ont la rage de faire imprimer, tous les mois, leurs petites rapsodies; tantôt ils vous disent qu'ils n'écrivent que pour s'amuser: mais le public ne s'amuse pas de leurs amusements.

Leur amour-propre est encore plus plaisant que celui des auteurs de profession, parce qu'ils sont tout prétention, des pieds à la tête, à raison de leur profonde nullité.

L'un se fait comte au bas d'un madrigal, celui-ci marquis dans un almanach; tous déclament fort haut contre la médiocrité orgueilleuse, et tous sont orgueilleux et médiocres. Plusieurs font parade de leur naissance, non moins équivoque que leurs talents; ils allongent tant qu'ils peuvent les syllabes de leur nom, et prennent un journal pour le Nobiliaire de France. Ils soutiennent encore, qu'ils n'impriment pas pour de l'argent; ce qu'ils prouvent si bien à chaque ligne qu'ils écrivent, qu'on voit assez qu'ils n'en auraient jamais pu faire leur métier. Mais, s'ils ne prétendent pas au titre d'auteur, pourquoi se faire imprimer? Ce n'est point une excuse de dire qu'on ne travaille que pour son plaisir, disait Rousseau le poëte.

On pourrait les comparer à ces guêpes qui tournent à l'entrée d'une ruche sans pouvoir y entrer: jamais ils ne feront de miel, et ils ne parlent que de la fabrique du miel. C'est bien pis encore quand ils se donnent les tons de protecteurs, quand ils arborent le drapeau de tel parti contre tel autre : loueurs impertinents ou censeurs téméraires, voilà leur devise.

Ensuite viennent les maîtres journalistes, feuillistes, folliculaires, compagnons, apprentis satiriques, qui attendent pour écrire qu'un autre ait écrit, sans quoi leur plume serait à jamais oisive. Ils forgent ce tas d'inepties périodiques dont nous sommes inondés, dans les arsenaux de la haine, de l'ignorance et de l'envie; ils sentent par instinct que le métier de jugeur est le

plus aisé de tous, et ils soulagent à la fois le double sentiment de leur impuissance et de leur jalousie.

Au nom du goût ils mordent ou déchirent; tous frappent et sont frappés on croit voir des écoliers qui ont dérobé une lourde férule, qu'ils s'arrachent tour à tour, et dont ils se donnent des coups violents. Des écrivains imberbes font la leçon aux anciens, et ne se la font jamais à eux-mêmes.

Quand ils ont démontré le vice d'une période, décomposé un hémistiche et souligné quatre à cinq mots, ils se croient les restaurateurs de la poésie et de l'éloquence; ils vont d'une injustice à une injustice plus grande, d'une méchanceté à une méchanceté plus injurieuse. Voués au journalisme, ce mélange absurde du pédantisme et de la tyrannie, ils ne seront bientôt plus que satiriques, et ils perdront, avec l'image de l'honnête, le moral des idées saines.

Cette tourbe subalterne donne seule au public ce scandale renaissant dont il s'amuse, et qu'il voudrait malignement rejeter sur les gens de lettres honnêtes et silencieux; mais le public sait bien qu'il y a autant de distance entre ces aboyeurs et les écrivains qu'entre des recors et des juges assis sur leur tribunal. Tout ce tapage littéraire fournit néanmoins un aliment à l'insatiable voracité de ce public pour tout ce qui respire la critique, la satire et la dérision. Il n'y a des auteurs méchants que parce qu'il aime cette guerre intestine et qu'il s'ennuie de la paix.

X.

Femmes auteurs.

Les femmes en tout temps ont été jalouses parmi nous de faire l'agrément des sociétés. Eh! pourquoi serait-il défendu à l'esprit de passer par une belle bouche? De là à la culture des lettres, il n'y avait qu'un pas. Les conversations roulant sur les

livres et les ouvrages de théâtre, les femmes qui n'ont point à remplir les états pénibles de la vie civile, au sein de leur doux loisir, ont dit: Faisons des livres.

Si l'on ne défend point aux femmes la musique, la peinture, le dessin, pourquoi leur interdirait-on la littérature? ce serait dans l'homme une jalousie honteuse que de repousser la femme dans l'ignorance, qui est un véritable défaut avilissant. Quand un être sensible a reçu de la nature une imagination vive, comment lui ravir le droit d'en disposer à son gré?

Mais voici le danger. L'homme redoute toujours dans la femme une supériorité quelconque; il veut qu'elle ne jouisse que de la moitié de son être. Il chérit la modestie de la femme; disons mieux, son humilité, comme le plus beau de tous ses traits; et comme la femme a plus d'esprit naturel què l'homme, celui-ci n'aime point cette facilité de voir, cette pénétration. Il craint qu'elle n'aperçoive en lui tous ses vices et surtout ses défauts.

Dès que les femmes publient leurs ouvrages, elles ont d'abord contre elles la plus grande partie de leur sexe, et bientôt presque tous les hommes. L'homme aimera mieux toujours la beauté d'une femme que son esprit; car tout le monde peut jouir de celui-ci.

L'homme voudra bien que la femme possède assez d'esprit pour l'entendre, mais point qu'elle s'élève trop, jusqu'à vouloir rivaliser avec lui et montrer égalité de talent; tandis que l'homme exige pour son propre compte un tribut journalier d'admiration.

Ces sentiments, cachés dans le cœur de tous les hommes, se réveillent avec force quand ils sont en masse. Par exemple, les pièces que les femmes donnent au théâtre sont jugées avec une rigueur excessive. Il n'y a qu'un seul homme qui souffre : c'est l'amant; et cette idée-là même rend plus sévères les autres spectateurs.

La galanterie n'existe donc pas dans le public rassemblé pour juger les productions d'une femme, il s'en faut bien: comme

chacun voudrait être l'amant, nul n'est ami alors; et tous les hommes ont une disposition secrète à rabaisser la femme qui veut s'élever jusqu'à la renommée. Cet amour-là leur déplaît ; car c'est bien assez d'être subjugué par la beauté, sans l'être encore par les talents. D'ailleurs, comme la femme est assez inexorable quand elle juge ce qu'elle n'aime pas, les femmes auteurs payent, ce jour-là, pour tout leur sexe. Un triomphe éclatant serait fort alarmant pour l'orgueil et pour la liberté des hommes.

Comme il n'y a rien de plus éloigné de la femme que la véritable humilité, c'est là précisément la vertu que l'homme voudrait lui inspirer, et c'est à celle-là même qu'elle se refuse le plus constamment. La femme se ressouvient toujours de ses priviléges, même en oubliant ses devoirs.

Ainsi, à travers tous les compliments dont l'homme accable une femme, il craint ses succès, il craint que sa fierté n'en augmente et ne mette un double prix à ses regards. L'homme veut subjuguer la femme tout entière, et ne lui permet une célébrité particulière que quand c'est lui qui l'annonce et qui la confirme. Il consent bien qu'elle ait de la réputation, pourvu qu'on l'en croie le premier juge et le plus proche appréciateur.

Une femme qui écrit doit faire exception, on en conviendra; car les devoirs d'amante, d'épouse, de mère, de sœur, d'amie, souffrent toujours un peu de ces ingénieuses distractions de l'esprit, et l'homme tremble que les qualités du cœur ne viennent à se refroidir au milieu de l'enchantement de la renommée. Il désire, enfin, qu'elle ne soit susceptible que d'une sorte d'enchantement de celui-là que l'homme voudrait inspirer exclusivement.

Encore si les femmes s'emparaient de la science; mais non, elles prennent les légèretés, les finesses, le sentiment, les grâces originales de l'imagination, la peinture de nos défauts, et elles font tout cela sans études, sans colléges, et sans académie.

Elles devinent le pédant à la troisième phrase, et trouvent de l'esprit à celui qui a placé à propos un silence. Voilà ce que ne

pardonne pas la tourbe médiocre des esprits, qui voudrait exiger des femmes un perpétuel aveu d'infériorité.

Mais n'aurions-nous pas perdu, si nous avions été privés des écrits de la disciple fidèle du malheureux Abailard? Ayous du moins quelque reconnaissance pour l'illustre Isaure, la belle maîtresse de Pétrarque, l'ingénieuse Scudéri, l'épicurienne et galante Ninon, la fameuse Christine, la charmante la Suze, la séduisante Mancini, l'inimitable et tendre Sévigné, la généreuse Rambouillet, la maligne de la Sablière, la voluptueuse VilleDieu, la vertueuse Chéron, la sage et sensée Lambert, l'amusante d'Aulnoy, la célèbre Dacier, la modeste Bernard, l'enjouée et vive Louvancourt, la savante Lussan, l'aimable Staal, et l'immortelle Deshoulières.

Et notre littérature ne s'est-elle pas enrichie des lettres sur l'Italie par madame du Boccage; des romans de madame Riccoboni, écrits d'un style si pur; des ouvrages de madame la marquise de Sillery, où l'instruction raisonnée est à chaque page de son théâtre moral, qui remplit si parfaitement son titre; des compositions originales de madame la comtesse de Beauharnais, où l'esprit, le sentiment et la connaissance du monde sont si bien fondus ensemble; du pinceau mâle et historique de mademoiselle Kéralio; des imitations embellies de madame la baronne de Vase et de miss Wouters, sa sœur? N'at-on pas lu avec plaisir les vers de madame d'Antremont, de Laurençin, de mademoiselle Gaudin ? Madame Benoît, madame d'Aubanton, madame Monet, madame d'Ormoy, madame de Gouges, qui doit tout à la nature, nous ont donné des écrits où l'on trouve de l'intérêt, de l'imagination, des tableaux fidèles de nos mœurs. Et s'il faut un luxe aux grandes sociétés, quel luxe plus heureux et plus agréable que les ouvrages d'un sexe où nous aimons à aller chercher les idées et les sentiments qui reposent au fond de leur àme, et qui se développent peut-être avec plus de franchise dans leurs écrits que dans leurs regards et dans leurs paroles !

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