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est dû, soit qu'il en coûte aux Parisiens de conserver un maintien tranquille et respectueux, de sorte que le corps n'ait que les mouvements indispensables, et que l'esprit paraisse détaché des pensées du monde. Une pareille situation devient un état violent pour les Parisiens, et il est nécessaire qu'elle ne soit pas de longue durée. Les caractères dominants de la jeunesse parisienne sont la vivacité et l'impatience; l'œil est distrait, on regarde les allants et les venants; les loueurs de chaises tourmentent les fidèles, tendant la main, remuant de la monnaie.

On traverse les églises comme si c'étaient des places publiques; il n'y a point d'irrévérence proprement dite, mais on marche tête levée; le maintien n'a pas le respect qu'on doit au temple où la créature adore le créateur.

On vient saisir quelques phrases d'un sermon, puis l'on quitte en secouant la tête, comme s'il s'agissait d'un paradeur qu'on écoute un moment et qu'on abandonne.

Les sermons, il est vrai, ne devraient pas durer plus d'une demi-heure. Si l'on y prend garde, l'attention ne peut guère aller au-delà de ce terme. Un sermon court et bien plein sur le devoir de chaque état, aurait plus de force que ces longs discours; la vraie mesure d'un sermon ne doit guère passer l'étendue de vingt à vingt cinq minutes, ou trente au plus. Le grand calme trop continu des objets, la monotonie de la voix qui se fait entendre, l'attention qui suspend les fonctions des sens, les langueurs du recueillement, causent ces accidents vaporeux, communs aux marguilliers assis dans l'œuvre, et si contraires à l'édification publique.

Si l'orateur sacré était assez prudent pour n'assembler ses auditeurs qu'à des heures fort éloignées des repas, il ne verrait pas quelquefois les personnes même les plus pieuses succomber sous le travail et les effets de la digestion; il ne les entendrait pas répondre aux phrases tournantes de l'orateur par un ronflement propre à scandaliser, quelque involontaire qu'il soit.

- Quelques abbés prêtent à l'indécence publique, en affichant une de leurs compositions, comme si c'était une pièce de théâtre. Lecture préliminaire, académiciens et gens de lettres avertis, prévenus en bien; billets, gardes, difficulté d'entrer, affluence d'équipages; c'est une première représentation; on se mouche, on crache, on remue les chaises, pour dire qu'on est satisfait du style, et l'orateur, le bonnet carré en main, saluant presque l'auditoire favorable, pétille de joie, comme un comédien.

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Dans la chapelle de l'académie, avant que l'orateur sacré commence, un suisse à hallebarde crie: Messieurs, le roi défend d'applaudir. On a été obligé d'avertir les Parisiens, par des affiches imprimées, que telle église n'était pas une salle de spectacle; la chaire évangélique, sans cette précaution, allait devenir un théâtre à monologues.

On appelle publiquement ces prédicateurs, des Theistes. Des valeurs médiocres figurent dans la chaire, parce que rien n'est devenu plus aisé qu'une composition de ce genre; tel orateur voulant se distinguer, y introduit des tours de force, prend le langage politique, comme on prenait, il y a trente ans, le langage encyclopédique; c'est une facétie sérieuse. Le prône d'un bon curé fera toujours plus de bien que les discours bizarres que se permettent les abbés à style véhément, le quel discorde au lieu, au temps, au sujet, et avec l'habit de celui qui parle.

Les prédicateurs subalternes n'usent point de ce charlatinisme; ils ont tout bonnement quinze ou vingt sermons en tête; ils les arrangent comme ils peuvent. Ce sera le jour de saint Joseph, par exemple; ils diront: Saint Joseph était menuisier, il faisait des confessionnaux, nous allons donc, mes frères, parler de la confession; ou ce sera l'équivalent de cette fine transition.

Dans plus d'un sermon de nos jours, composé par ces abbés, qui sont prêtres chez celui qui tient la feuille des bénéfices,

et philosophes déclamateurs chez l'académicien, il n'y a de chrétien que le signe de la croix, et le texte pris de l'Évangile. Les grandes paroisses, où se disent tant de messes à la fois, offrent le comble du désordre. Le peuple se pique d'entendre une basse messe le dimanche, puis il s'enfuit, en disant du prêtre il a été fort habile; un autre dit: Me voilà débarrassé, j'ai entendu la messe : C'est une confusion dans le temple, qui l'empêche de ressembler à un lieu de prières et de recueillement. Tandis qu'on dit des basses messes, une grande se dit au chœur, et comme on la chante tout haut, elle absorbe la voix des prêtres qui offrent le saint sacrifice dans les chapelles séparées.

Les chantres, retranchés dans le chœur, enceinte grillée, assis dans des stalles de bois, un camail sur la tête, enflent de leurs voix un serpent, bourdon ronflant qui assourdit les oreilles; les cloches sonnent, c'est une cacophonie perpétuelle; mais le peuple, charmé de l'assemblage de toutes les cérémonies, admire surtout l'argenterie qui couvre l'autel, et les ornements et vêtements couverts de broderie et d'or.

CX.

Porte-Dieu.

Admirez la richesse et la dignité de notre langue! Nous disons, porte-faix, porte-feuille, porte-crayon, porte-baguette, porte-étrier, porte-vent, porte-verge, porte-manteau, porte-mouchette, puis enfin porte-dieu. Porte-dieu! Dieu des cieux, quel mot dans notre langue!

C'est un pauvre prêtre, un habitué de paroisse, qui veille le jour et une partie de la nuit, pour répondre à ceux qui le sommeront d'aller prendre au tabernacle le pain eucharistique que l'on porte aux malades.

Un dais usé, sale, mais portatif, que les deux premiers galo

pins soulèvent; une lanterne ou un flambeau de poix-résine, un porte-sonnette, un bedeau en gannache et tout clopinant, voilà l'attirail qui s'achemine vers le logis du moribond. Le ciboire est habillé de quatre petits morceaux d'étoffe; la sonnette avertit le peuple de se mettre à genoux; les fiacres et les équipages s'arrêtent, mais les maîtres ne descendent pas de voiture; on baisse les glaces et l'on s'incline légèrement à la portière. Quand les cochers sont sourds, le porte-sonnette redouble le son de sa petite cloche. (1) L'hérétique, ou celui qui craint de se crotter, en est quitte pour un quart de génuflexion. Tout le monde a droit de suivre le viatique dans la maison où il est entré, et jusques dans la chambre du malade. On a soin de voiler les miroirs, afin que le Saint-Sacrement ne soit pas multiplié dans les glaces. Alors le prêtre fait d'une console un autel; il asperge d'eau bénite la chambre, en exorcisant les esprits malins; puis il commence une exhortation bannale à un mourant qu'il n'a jamais vu, qu'il ne connaît pas. La même exhortation s'applique aux jeunes, aux vieux, aux adultes, aux femmes, aux filles, à toutes les conditions et à tous les états. Tandis que le prêtre administre le malade, le porte-sonnette lève adroitement le chandelier et saisit la pièce d'argent qu'on y dépose ordinairement, et qu'il partagera avec le porte-dieu. Le prêtre bénit l'assemblée et s'en retourne comme il est

venu.

Quelquefois le trajet est long: une pluie abondante survient; alors le bon Dieu moute en fiacre, le porte-sonnette se met devant et sonne à la portière. Le bedeau, son flambeau à demiéteint, devient laquais; le cocher, par respect, met son chapeau sous le bras, fouette de l'autre et reçoit l'eau des gouttières sur sa tête nue.

A la porte de l'église on paye le fiacre; et le prêtre, en place

(1) Il n'y a qu'un exemple, au milieu de tant d'embarras, d'un porte-dieu et d'un porte-sonnette renversés avec le dais; mais ce fut un accident.

(Nole de Mercier.)

du pour-boire, lui donne la bénédiction. Il est sanctifié lui et sa voiture, et de tout le jour il n'osera jurer après ses chevaux.

Quand le guet rencontre le bon Dieu le soir, il l'accompagne la bayonnette au bout du fusil jusqu'au temple qu'il habite, et pour récompense il est béni sur les marches de l'autel.

Louis XV revenant du palais de la justice, où il venait d'exercer un acte d'autorité envers le parlement de Paris, rencontra au bas du Pont-Neuf le viatique de la paroisse SaintGermain-l'Auxerrois. Tout son cortège royal s'arrêta; il descendit précipitamment de son carrosse, se mit à genoux dans les boues, et le prêtre sortant de dessous son dais, jadis rouge, lui donna la bénédiction. Le peuple émerveillé de cet acte pieux, oublia l'acte d'autorité qui lui déplaisait, et se mit à crier: vive le roi! Et tout le long du jour il répéta : il s'est mis à genoux dans les boues!

Le porte-dieu à qui cette bonne chance arriva, eut une pension de la cour.

Quand on porte le viatique chez une personne de considération, alors l'appareil change. Tous les domestiques de la maison sont armés de flambeaux, le dais orné et propre sort de l'armoire; le porte-sonnette a un surplis blanc, deux clercs supportent le dais, le Suisse de la paroisse précéde le cortège, et le curé mettant sa magnifique étole, vient administrer lui-même le malade.

Cette faveur singulière est rare, et ne s'accorde qu'aux hommes en place, ou fameux par leur opulence.

Je crois que le porte-manteau du roi de France s'estime beaucoup plus que le premier Porte-dieu de Saint-Eustache.

Selon l'évangile de Saint-Mathieu, Satan fut porte-dieu ou emporte-dieu.

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