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Comment le pasteur quitte-t-il son troupeau? Cette vieille image ne forme plus aucun sens : rien n'est d'un poids si leste que la charge pastorale. Les maîtres de la morale n'enseignent point. la morale; ils bravent les anathèmes des anciens conciles, et consomment, dans l'oisiveté et les délices de la capitale, des biens qui leur ont été confiés pour le soulagement de leurs ouailles infortunées. Mais toutes ces expressions, encore un coup, sont devenues gothiques.

L'ambition, qui s'alimente par ce qu'elle a déjà obtenu, les pousse à la cour et dans les bureaux des ministres; là, ils attendent le fruit de leurs intrigues et de leurs complaisances, et ils tentent de porter sourdement la main à l'administration.

Ils travaillent incessamment derrière la tapisserie, et restent sans effroi au milieu de la nouvelle Babylone, non moins criminelle que celle qui enflamma jadis le zèle des prophètes.

Ainsi le sacerdoce a des occupations purement terrestres, et songe peu à entretenir la pure morale, et à donner l'exemple de l'infatigable charité, dite apostolique.

Dès le seizième siècle, on adressait de pareils reproches, et de plus vifs encore, aux Pères du concile de Trente. « Les « églises se plaignent qu'elles sont destituées de la présence de « leurs époux, dont plusieurs se comportent mal à leur égard, <«<et plutôt comme des voleurs qui ne les voient qu'en passant <«< pour prendre leurs biens et s'en aller, que comme des pères « et pasteurs qui doivent demeurer avec elles pour les nourrir, «<les conduire et les consoler. >>

Mais on a remarqué que les évêques qui accomplissent inviolablement la loi de la résidence (ce qui forme le petit nombre) avaient une piété minutieuse, inquiète, turbulente, toujours prête à dégénérer en fanatisme; qu'ils vexaient les habitants de leur diocèse par un zèle aveugle et inconsidéré, tandis que les autres non-résidants avaient des lumières, de la tolérance, aimaient la paix, et ne persécutaient personne: de sorte que tout le mal peut-être qui résulte de leur éloignement, c'est que l'ar

gent qui leur vient des provinces ne se consomme pas dans le sein des provinces mêmes.

Ils publient de temps en temps des mandements, ouvrages de leurs secrétaires. Le style et les idées en sont prescrits d'avance. Le meilleur mot de Piron est celui-ci : Avez-vous lu mon mandement? lui dit un évêque. Oui, monseigneur; et vous (1)?

VIII.

Auteurs.

A Paris sont ces écrivains qui moissonnent et qui vendangent avec leur plume, qui ont dans leur écritoire toutes leurs terres et toutes leurs rentes: tels ont été les deux Corneille, leur neveu Fontenelle, Crébillon, les deux Rousseau (2), et presque tous les hommes illustres qu'a produits la France. Le plus grand des anciens poëtes a été le plus pauvre.

Profanes, à genoux! ce pauvre, c'est Homère.

On met encensoirs et cassolettes sur leurs tombeaux : de leur vivant, on les laisse dans l'indigence; mais cette indigence est honorable, et ceux qui se conservent sans tache, au milieu de cet abandon général, sont les plus vertueux des hommes.

(1) Dans l'Épître sur la bonne et la mauvaise plaisanterie, cette repartie a été rimée en quatre vers par le Brun:

Un jour, certain prélat d'ignorante mémoire,

Fier d'un beau mandement dont il payait la gloire,

Aborda ce railleur si connu parmi nous:

« L'avez-vous lu, Piron?

Oui, monseigneur ; et vous ? »

Ce prélat était Christophe de Beaumont, auquel Jean-Jacques Rousseau adressa sa fameuse lettre à propos de l'Émile, anathématisé par un mandement de cet archevêque de Paris. (Note de l'éditeur.)

(2) Il y a un troisième Rousseau fort riche ; il n'a fait ni Émile, ni l'Ode à la For. tune il fait exploiter un journal à son profit; il a gagné beaucoup d'argent à ce métier. Il se nomme Pierre Rousseau. (Note de Mercier.)

Les pensions que le gouvernement accorde aux gens de lettres ne se donnent ni aux plus pauvres, ni à ceux qui ont le plus utilement travaillé : les plus souples, les plus intrigants, les plus importuns, enlèvent ce que d'autres se contentent d'avoir mérité au fond de leur cabinet.

La pauvreté de l'homme de lettres est à coup sûr un titre de vertu, et une preuve du moins qu'il n'a jamais avili ni sa personne ni sa plume. Ceux qui ont sollicité et obtenu des pensions n'en peuvent pas dire autant devant leur conscience : leurs écrits peuvent être irréprochables; mais leur conduite ne l'a pas toujours été.

Brébeuf a dit :

Si les cieux m'étaient favorables,

Et le destin moins rigoureux,

Je voudrais faire des heureux

Où je verrais des misérables.

Ce seraient mes plus doux plaisirs

De prévenir jusqu'aux désirs

De ceux où brille un haut mérite;
J'en ferais ma félicité;

Et souvent mon esprit s'irrite
De les voir dans l'adversité.

Ah! si les gens de lettres riches venaient au secours des gens de lettres pauvres!..... le beau rêve! Plusieurs ont dû leur élévation à la culture des lettres, aux avis des gens de lettres, à la recommandation des gens de lettres; et, une fois dans les hautes places, ils ont oublié leurs amis, leurs confrères, leurs bienfaiteurs.

Les gens de lettres emploient ordinairement la matinée au travail, et ils ont tort: la composition du soir a beaucoup plus de feu; mais les spectacles et les dissipations journalières. tuent le génie, et l'empêchent de suivre de grands travaux.

Un défaut assez commun aux gens d'esprit de la capitale, c'est de ne pas s'occuper assez de celui des autres; c'est de ne pas faire attention à la réflexion lente de tel homme modeste

et simple, qui, n'ayant pas la langue agile et souple, a tardé quelquefois à donner son aperçu; c'est encore de n'être pas assez indulgents, et de placer le mérite unique dans la facture d'un livre; c'est enfin de ne pas savoir écouter: mais l'homme qui écoute à Paris est un être très-rare.

C'est par les gens de lettres que l'esprit de la capitale est devenu diamétralement opposé à l'esprit de la cour : le premier, cherchant à rétablir les droits de l'homme, ne veut plus laisser qu'un faible empire à l'opinion des grands, qui jadis humiliaient le peuple en tous sens; les gens de lettres font aujourd'hui tous leurs efforts pour rabaisser la vanité des titres à son néant réel, et pour élever à leur place les travaux utiles et recommandables de l'homme célèbre en tout genre. Maîtres de l'opinion, ils en font une arme offensive et défensive. Aussi la guerre la plus vive est-elle déclarée entre les gens de lettres et les grands; mais ceux-ci, à coup sûr, perdront la bataille.

On a attribué à la liberté d'écrire les vices que le luxe a enfantés, tandis que les écrivains ont combattu de toutes leurs forces les excessifs abus du pouvoir. On a voulu les rendre responsables des mœurs des grands, qui ne se lisent point, ou qui sont ennemis nés des écrivains. On a voulu rejeter sur eux tous les désastres qu'ils avaient, pour ainsi dire, prévus et annoncés, et auxquels ils s'étaient opposés. Leurs adversaires ne se sont jamais piqués de logique.

La ruine de la morale a pris naissance dans les cours et non dans les livres. Le crime des gens de lettres est d'avoir répandu la lumière sur cette foule de délits qui voulaient s'envelopper de ténèbres. Les puissants n'ont pas vu, sans frémir, tous ces secrets honteux, à jamais dévoilés; ils ont détesté le flambeau, et celui qui le portait.

On connaît le mot de Duclos: Les brigands n'aiment point les réverbères. La nation elle-même ne fait pas tout ce qu'elle doit aux gens de lettres. Quoique peu unis entre eux, ils sont d'accord sur les principes essentiels. Ils flétrissent tous les suppôts

du pouvoir arbitraire, les reconnaissent sous leurs enveloppes, les dénoncent et les punissent. Ils devinent l'administrateur inepte et le ridiculisent. Ils intimident, par une censure vigilante et exacte, jusqu'aux oppresseurs subalternes qui, dans l'ombre, se croient à l'abri de leur justice. Ils savent la rendre à tous les hommes publics, excepté à leurs rivaux. Ils forment très-souvent un cri unanime, qui devient l'expression de la raison universelle. Que sera l'autorité contre cette voix puissante qui, au défaut de l'impression, parle et subjugue par la force de l'évidence? Rien. Elle n'a plus d'autre parti à prendre que d'être juste et modérée, sans quoi toutes ses fautes seront gravées d'un burin fidèle. Elle fait tout pour diviser ce corps qui, sans un point de ralliement, a cependant un même esprit. Elle soudoie des mercenaires pour souffler le feu de la discorde, pour mettre en mouvement l'amour-propre irascible; mais, au milieu de ces débats, leurs armes se tournent subitement contre l'ennemi de la liberté et des lois. Ils savent très-bien distinguer une querelle littéraire d'une guerre patriotique, et tous leurs traits se confondent sur le fauteur de la tyrannie, comme s'ils étaient tous d'accord et amis.

C'est par eux enfin que chaque caractère est connu aujourd'hui et mis à sa place. L'arrêt qu'ils rendent en première instance est ordinairement proclamé par la voix des nations. On ne peut ni séduire ce corps ni l'anéantir; on briserait toutes les presses, qu'il n'aurait besoin que de son silence pour décider encore l'opinion publique.

IX.

Des demi-auteurs, quarts d'auteurs; enfin, métis,
quarterons, etc.

Tels sont ceux qui versent dans les Mercures et dans les journaux ou de petits vers innocents, ou des morceaux de prose

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