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coup-d'œil, il faut en rire malgré soi. On dirait qu'on a voulu conserver la première voiture qui fut imaginée pour rehausser l'éclat et la légèreté des voitures nouvelles. Le bon Henri IV n'avait cependant qu'un coche de cette espèce, et il écrivait à Sully je ne pourrai vous aller trouver aujourd'hui, ma femme m'ayant pris mon coche. Comme deux cents années font absolument changer de face aux mêmes objets!

Il faut entrer dans ce carrabas, ou dans des carrosses dits pots-de-chambre, moins incommodes, mais constamment ouverts à tous les vents.

Quand vous prenez un de ces pots-de-chambre, vous avez des pages. Le cocher qui n'a point de gages, place à douze sols par tête quatre personnes, deux sur le devant et deux sur le derrière. Ceux qui sont sur le devant s'appellent singes, et ceux qui sont sur le derrière lapins.

Le singe et le lapin descendent à la grille dorée du château, ôtent la poudre de leurs souliers, mettent l'épée au côté, entrent dans la galerie, et les voilà qui contemplent à leur aise la famille royale, et qui jugent de la physionomie et de la bonne grâce des princesses. Ils font ensuite les courtisans tant qu'ils veulent. Ils se placent entre deux ducs, ils coudoient un prince trop empressé, qui retient son geste quand il l'a outre-passé, et rien n'empêche le lapin et le singe de figurer dans les appartements et au grand couvert, comme suivants de la

cour.

Tandis que ces hideuses voitures vous estropient ou vous ennuient, il est défendu à la charrette oisive, au cabriolet léger, au fiacre vide, au fourgon commode, de voiturer personne sur cette route royale. Vous devinez bien, lecteur, sans que je le dise, qu'il s'agit là encore d'un beau privilége exclusif.

Mais que le carrabas et le pot-de-chambre sont éloquents! Ils semblent vous annoncer la foule des désagréments qui vous attendent dans ce lieu de splendeur, ils vous disent de rétrograder; mais on n'entend pas la morale que vous donne le pot-de

chambre. On avance, on prie, on sollicite, on perd des années, on use sa vie dans l'attente.

Que le petit ambitieux, que l'intrigant, que le froid adulateur, que l'extravagant à projets soient cahotés dans ces voitures, ils le méritent bien; mais à ceux qui n'ont que la curiosité pour objet, qui veulent voir le même jour, la ménagerie, les statues et les princes, qu'importent de beaux chemins, s'ils ne peuvent y voyager à leur fantaisie, s'ils sont gênés, contrariés dans leur marche; et pourquoi faut-il encore des bureaux, quand j'ai le désir d'aller voir, par moi-même, comment se porte en son château le roi de France?

Tel qui n'a été à Versailles qu'en carrabas, de retour dans son bourg de province, fait un roman effronté et ridicule sur ce séjour du souverain. Il a vu le roi, les princesses, le grand couvert, rien de plus vrai; mais il y ajoute des circonstances mensongères, qui sont reçues avec admiration par la crédulité ignorante: l'exagération a son passe-port et le conte le plus bizarre est écouté. Le raconteur persuade à ses compatriotes tout ce qu'il veut. Il loue l'affabilité de la reine, qui a daigné lui demander des nouvelles de son pays, et ce récit inconcevable qu'il imagine, le fait prendre en haute considération. Il s'échauffe en répétant la même histoire, et parvient lui-même à la croire véritable.

On ne saurait imaginer ce qui se dit de Versailles au fond de la Gascogne, et dans les tavernes Suisses. Les descriptions fabuleuses deviennent d'un comique qui rend l'auditeur émerveillé encore plus étonnant que le narrateur. C'est une suite de mensonges facétieux, enchaînés les uns aux autres; et j'ose assurer que tel Suisse, tandis qu'il boit, l'emporte à cet égard sur le plus déterminé Gascon.

Les contes jaunes, les contes bleus, les contes à la cigogne, n'approchent pas de ces narrations romanesques, écoutées en silence, et qui deviennent encore plus plaisantes par les remarques sérieuses que fait l'auditoire du cabaret.

On a mis en scène devant Leurs Majestés le dialogue incroyable du menteur intrépide, et des provinciaux crédules : rien de plus vrai que le fond de cette farce. La coutume qu'on a de s'entretenir partout de la cour de Versailles, a créé dans de certains endroits des traditions d'une extravagance si rare, qu'on ne sait ce qui a pu enfanter ces détails imaginaires, dont on aurait peine à désabuser les personnes qui les ont adoptés, quelques raisonnables qu'elles soient d'ailleurs.

CVIII.

Tribunal des maréchaux de France.

On voit dans l'histoire qu'ils avaient une juridiction souveraine et sans appel sur les gens de guerre et la noblesse. De nos jours, ils prennent encore connaissance de tout billet et engagement d'honneur.

Le tribunal des maréchaux de France est le seul qui soit redoutable aux égrefins; et il faut avouer que quelques militaires ne sont point assez délicats, lorsqu'il s'agit d'emprunter pour ne pas rendre. Il serait à désirer que les citoyens portassent à ce tribunal toutes les affaires d'honneur sur lesquelles nos lois grossières sont muettes ou insuffisantes.

Les tribunaux n'écoutent nos demandes que lorsqu'il s'agit d'argent, et cette foule d'offenses qui chagrinent les âmes délicates et sensibles restent pour la plupart impunies, parce qu'il n'y a pas de juges faits pour venger cet honneur particulier, non moins précieux que la vie. Nos ancêtres étaient plus heureux que nous; ils avaient des tribunaux ouverts pour tout ce qui choquait leur noble fierté.

Les maréchaux de France ont deux juridictions: l'une volontaire, quoiqu'en partie contentieuse, concernant le point d'honneur entre la noblesse et les gens de guerre; l'autre, purement contentieuse et qui se régit par les formalités ordinaires aux

lois générales, instituées pour l'administration de la justice. Les maréchaux de France exercent la première eux-mêmes dans leur tribunal; ils y terminent les différends qui viennent à leur connaissance.

Le siége de la connétablie du palais est une juridiction sous l'autorité immédiate des maréchaux de France; on y juge toutes les affaires contentieuses de particuliers avec gentilshommes ou militaires, les rebellions envers la maréchaussée. Les jugements de ce siége se rendent toujours au nom des maréchaux de France.

A l'égard de la compétence des personnes qui peuvent être traduites devant les lieutenants des maréchaux de France, il n'a pas encore été déterminé bien précisément l'extension que l'on y pourrait donner; c'est l'objet d'un règlement auquel on travaille depuis longtemps.

Tout homme d'honneur devrait de son propre mouvement se rendre justiciable de cet auguste tribunal, lui soumettre d'avance ses engagements, ses paroles et ses actions. S'il connaît de toutes les contestations concernant le point d'honneur entre les gentilshommes et les officiers, n'y a-t-il pas une nombreuse classe d'hommes qui, sans être militaires, vivent noblement, et qui ont aussi leur point d'honneur? Si l'engagement de tout homme libre était porté devant ce tribunal, s'il embrassait toutes les personnes qui ont reçu cette éducation distinguée, laquelle établit une différence réelle entre les hommes, une foule de procédés honteux qui déshonorent la société disparaîtraient. On ne connaîtrait plus ces débats qui donnent un spectacle scandaleux et tendent à avilir des professions honorables: les engagements les plus sacrés ne seraient pas annullés par la lenteur des lois; le respect de soi-même, ce sentiment énergique, connu de nos ancêtres, renaîtrait dans toute sa dignité, la parole deviendrait un contrat; toute injure serait effacée; toute accusation gratuite serait punie; le fourbe, l'intrigant, le menteur n'ayant plus pour égide les formes tortueuses

et ténébreuses de la chicane, seraient à découvert devant la franchise et la loyauté des juges. Le règne de l'honneur reparaîtrait, on serait soumis à d'augustes lois, et le lâche serait celui qui esquiverait ou voudrait infirmer les sentences émanées d'un pareil tribunal.

Le doyen des maréchaux de France porte, par distinction des autres, au côté droit de ses armes, une épée nue, et au côté gauche un bâton d'azur semé de fleurs de lis d'or, soutenu et porté par deux mains droites.

Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu et de Fronsac, pair de France, est aujourd'hui doyen des maréchaux de France. Il a pris au bas de ses armes le titre de connétable. C'est chez lui que se tient le tribuual, et que la compagnie de la connétablie y fait un service des plus assidus. Il est né le 13 mars 1696; et son nom, ses services, son caractère, sa fortune, sa renommée, l'influence de son esprit et son âge, lui donnent rang parmi ces hommes peu communs qui piquent la curiosité de leur siècle, et dont le portrait ressemblant ne manquera pas d'être transmis à la postérité, à qui seule il appartient de les juger en dernier ressort.

CIX.

Indécence dans les églises.

Il arrive aux bons paysans ou au plus bas peuple de chanter la messe ou les vêpres; sans l'avoir jamais appris autrement que de l'entendre perpétuellement de la bouche des prêtres; mais comme ces mots latins n'ont point de signification pour les chanteurs ils crient à tue-tête, et c'est ainsi qu'ils se dédommagent de l'ennui de n'y rien comprendre.

On ne rencontre pas dans nos temples cette décence qui caractérise les églises réformées, soit que la trop grande fréquence des actes religieux affaiblisse infailliblement le respect qui leur

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