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ture rongée, tout me fait rétrograder dans les siècles écoulés. Je redescends, je me promène, je ne puis plus quitter les dehors ni les dedans de ce temple auguste. Je repasse vingt fois devant ces objets vastes et mélancoliques; et quand la musique du chœur se mêle au son majestueux des cloches, que le cul-dejatte, gardien du bénitier, m'allonge une longue perche pour me donner de l'eau bénite, tout me paraît dans une proportion égale; et mon âme plus élevée, prie Dieu de meilleur cœur dans l'Église Notre-Dame que dans tout autre temple.

J'ai vu avec regret qu'on avait reblanchi cette église, qui me plaisait beaucoup mieux lorsque ces murailles portaient la teinte vénérable de leur antiquité. Ce demi jour ténébreux invitait l'âme à se recueillir; les murs m'annonçaient les premiers jours de la monarchie. Je ne vois plus dans l'intérieur qu'un temple neuf; les temples doivent être vieux. Je ne me console qu'en voyant les tours, saint Christophe, et la Chapelle du damné.

Oh! les beaux vitraux! quel effet! Ils brillent depuis des siècles! O quelle main a placé la pierre que mon œil atteint à peine!

Quand j'entre dans la grande sacristie, que je vois cet amas d'or et d'argent, ce qui rappelle les trésors du Mexique; le calice enrichi des grands offices, la crosse, la mitre dont on coiffera la tête de monseigneur l'archevêque qui va bénir le peuple agenouillé en étendant deux doigts, tout cet appareil fait naître une foule d'idées graves et riantes par leur enchaînement.

Cependant monseigneur l'archevêque sort de la riche sacristie, crossé, mitré, et me bénit en passant tout comme un autre. Oh! je ne donnerais pas cette heure là, où je fléchis le genou avec le peuple, pour la plus belle représentation dramatique.

Les chanoines, les chantres, les bedeaux, la musique, la multitude, l'église, le palais archiepiscopal, tout m'arrête ; et dans mon admiration, je demeure le dernier témoin de la cérémonie.

Si je m'occupe à lire les épitaphes, lorsque le temple est dé

sert, je suis encore intéressé. Quarante-cinq chapelles m'offrent en foule des monuments historiques, et je m'arrête devant la tombe de la maréchale de Guébriant, la seule femme qui ait eu de son chef la qualité d'ambassadrice.

De jeunes enfants proprement vêtus et d'une aimable figure, choisis parmi les enfants trouvés, me font admirer les soins de la charité. C'est une nuance touchante, qui adoucit l'empreinte de tant de graves objets.

Non, il m'est impossible de traverser le parvis, sans faire une fois le tour de l'église Notre-Dame. J'aime moins Saint-Sulpice. L'édifice de Sainte-Geneviève est magnifique; mais ce n'est pas un bâtiment gothique, érigé sous Childebert I, et où tous les rois de France et Charlemagne sont entrés.

Qu'on remette les tableaux, qu'on ne détruise rien du portail et des ventaux, qu'on n'abatte point Saint-Christophe; c'est l'ouvrage, nom d'un statuaire, mais d'un maçon. Il me représente mon Shakespeare; voilà pourquoi je le chéris. Je vois ailleurs assez de belles statues; mais Saint-Christophe, il est unique.

On ne finirait pas, si l'on voulait parler en détail de cette basilique. Mais que vous importerait de savoir que les entrailles de Louis XIII et de Louis XIV sont là; qu'on y a découvert les tombes de plusieurs évêques et archevêques, qui ne renfermaient plus que des cendres et du charbon, plus incorruptibles que les ossements des prélats?

Je vous parlerai plutôt de la châsse de Saint-Marcel, contemporain et ami intime de Sainte-Geneviève.

Quand on porte processionnellement ces deux châsses, et qu'elles viennent à se rencontrer, la sympathie qui les liait autrefois agit encore si fortement qu'elles tendent à se réunir; il faut l'effort de douze robustes porteurs pour entraîner SaintMarcel, et rompre l'attraction sentimentale. Si l'on ne venait pas à bout de dompter cette tendance réciproque, les deux châsses viendraient tout à coup à se joindre, et resteraient collées l'une

à l'autre pendant trois jours de suite. Quel étonnant privilége a l'amour des saints! Mais les porteurs, avertis par l'ancienne tradition, ont soin de promener le saint et la sainte à une distance convenable.

Ce récit que fait le peuple dans l'église Notre-Dame, n'est pas aussi pathétique que celui de la Chapelle du damné; mais dans son genre, il n'est pas moins précieux. Revenons à des traits historiques.

En 1728, lorsqu'on faisait quelques réparations dans la nef, et que les échafauds étaient dressés, des voleurs s'avisèrent d'un expédient pour piller tout à leur aise. Ils choisirent le jour de Pâques, comme devant rassembler un plus grand nombre de fidèles. Au premier verset du second psaume des vêpres, deux de ces coquins qui avaient trouvé le moyen de monter sur les échafauds les plus élevés, firent tomber quelques moëllons, quelques outils d'ouvriers, renversèrent quelques échelles, et crièrent que la charpente allait tomber. Chantres et fidèles interrompirent le verset du second psaume, et pensèrent à se sauver. Mais les portes étaient trop étroites pour la multitude. Pendant ce tumulte, les voleurs travaillèrent dans les poches, pillèrent montres et tabatières. Les femmes qui avaient les plus belles boucles, furent les plus à plaindre; on leur arrachait l'oreille et les diamants. Les auteurs de ce coupable stratagème se conduisirent avec une si profonde adresse, qu'on ne put jamais les découvrir.

L'église de Notre-Dame vit jadis un grand débat entre le parlement et la chambre des comptes, pour le pas et la préséance du rang. C'était à la procession solennelle, le jour de l'Assomption de la Vierge, instituée par le valétudinaire Louis XIII, lorsque sa femme devint grosse après vingt-trois ans de stérilité.

La chambre des comptes fut repoussée en corps et vigoureusement par le parlement en corps. Après plusieurs paroles et voies de fait, ces hommes de robe, à la suite de ce débat, furent

trente années sans assister à la procession. Le roi, pour les accorder, fut obligé de séparer leur brigade.

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Le premier président de la chambre des comptes, qui fut le battu, est obligé aujourd'hui de marcher à la gauche du premier président du parlement; et il porte encore sur son front l'air humilié de son ancienne défaite. Le peuple le remarque et dit tout haut il a la gauche, il n'oserait faire un pas vers la droite. Quel insigne revers dans les grandeurs humaines, être battu et céder encore le pas! Il faut marcher ainsi le 15 août, sous l'œil de tout le public attentif, et sortir queue traînante du chœur par la seconde porte, tandis que le parlement en triomphe sort par la première.

Un grenadier regardant un jour la cathédrale de Paris, s'écriait Oh, le beau chêne, le beau chêne! : Que dis-tu là? lui disait son camarade. Réves-tu? un beau chêne? Ne vois-tu pas deux grosses tours, un clocher pointu? — Eh, non, reprit l'autre ; c'est un chéne; regarde, regarde ceux qui mangent journellement le gland de ce bel arbre. En ce même instant les chanoines fleuris, gros, gras, fourrés, sortaient des vêpres, leurs aumusses sous le bras.

Les actions de grâces que la cour rend à Dieu pour la naissance d'un prince, pour le gain d'une bataille, pour la convalescence d'un monarque, enfin pour la paix, se célèbrent dans l'église Notre-Dame, au son d'une musique bruyante.

Les étendards et drapeaux enlevés aux ennemis, sont suspendus aux voûtes de ce ternple. Le peuple appela jadis un général, constamment vainqueur, le tapissier de Notre-Dame. Quelle précision énergique dans ce mot!

CIV.

Couvents, Religieuses.

Les couvents sont jugés. Les curiosités excessives, la bigoterie et le cagotisme, l'ineptie monastique, la bégueulerie claustrale

y règnent. Ces déplorables monuments d'une antique superstition sont au milieu d'une ville où la philosophie a répandu ses lumières; mais les murailles de ces prisons sacrées séparent les victimes de toutes les idées régnantes.

Quelques directeurs ont droit de contrôle sur l'administration de cet empire. Un mélange adroit de décence et de mondanité les en rend le génie tutélaire.

On voit d'un côté la plus implicite obéissance, et de l'autre les petitesses du commandement. Ajoutez ensuite le désespoir du plus grand nombre, la résignation pacifique de quelquesunes, et l'abrutissement d'esprit des plus spirituelles. Là le devoir n'est plus qu'une routine; on fait le bien par contrainte et sans goût; on prie sans savoir ce que l'on demande, et l'on se mortifie pour obéir à la règle.

L'habitude adoucit un peu le joug; mais les imaginations ne sont pas assujetties. On apprend aux novices à craindre le démon, tellement qu'elles désapprennent à aimer Dieu. On leur fait faire par terreur ce qu'elles auraient fait par amour.

Les passions ne dorment pas dans le silence de la retraite ; elles s'éveillent et jettent un cri plus long et plus perçant. Que de larmes secrètes! Les moins infortunées tombent dans une stupeur machinale; les autres, après s'être abandonnées aux sourdes imprécations du désespoir, meurent à la fleur de l'âge.

Le nombre de ces victimes diminue; mais qu'il eut été facile de détruire ces prisons tristes, en reculant l'époque des vœux à vingt-cinq ans ! Une loi timide est ordinairement une mauvaise loi.

Autrefois de jeunes sœurs étaient sacrifiées à l'avancement d'un frère au service; et plus d'une mère coquette voyait avec déplaisir auprès d'elle une fille qui grandissait.

On a tant écrit sur cet abus, que les mères les plus ambitieuses et les plus dénaturées n'osent plus parler de couvent à leurs filles. Celles qui peuplent les monastères sont des filles pauvres et sans dot.

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