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la plus grande intimité, ou dans la dépendance la plus humiliante.

Que d'adresse il faut à une femme de chambre pour faire valoir, embellir les charmes de sa maîtresse ! Il faut la rendre jolie, ou du moins lui persuader qu'elle a des grâces infinies. Chaque matin la maîtresse la questionne sur son visage. Elle doit avoir une réponse prête, aller au-devant du caprice, corriger la mauvaise humeur, tromper l'amour-propre, enfin avoir l'air de la sincérité.

On la gronde facilement: mais il lui est permis de montrer un peu de dépit. Le triomphe de la maîtresse ne serait pas complet, si la femme de chambre était impassible.

Rien de plus curieux que le dialogue qui s'établit quelquefois à la toilette : c'est un mélange de hauteur, de familiarité, de confiance, de mépris qui a quelque chose d'indéfinissable.

La femme de chambre connaît mieux sa maîtresse que le laquais ne connaît son maître. Aussi, nombre de secrets particuliers ont été révélés par des femmes de chambre : c'est une bonne fortune quand on peut les enlever à ses amies, ou du moins à ses connaissances.

La femme de chambre ne déroge pas, ainsi que le laquais, parce que la fille qui embrasse cet état paraît l'avoir préféré à la perte de sa vertu.

Elles composent le cinquième de l'ordre domestique. Quand leurs maîtresses sont jeunes et belles, elles sont assez dédaignées, et il ne leur appartient pas d'être jolies. Mais à mesure que les femmes avancent en âge, la société d'une femme de chambre leur devient plus nécessaire. Les vieilles, qui désirent toujours qu'on les trompe un peu, s'accommodent assez de leur langage flatteur; et l'habitude donnant du poids à la liaison, elle ne peut plus enfin se rompre.

Les femmes de chambre en général n'ont pas les vices inhérents aux laquais. Elles prennent les manières des femmes qu'elles servent; et quand elles se marient ensuite à de petits bourgeois,

elles ont un air et un maintien qui en imposent à cette classe, et qui, devant un œil peu exercé, les ferait prendre véritablement pour avoir vu le monde.

Elles se mettent pour l'ordinaire avec goût. Dans celles qui sont méchantes, l'envie, la jalousie, la médisance, le mensonge, la fausseté, la flatterie, l'hypocrisie percent plus difficilement que chez les valets. Ceux-ci sont toujours taciturnes, et leurs vices parlent hautement. Les femmes de chambre sont fréquemment interrogées, et leurs vices sont voilés.

Les soubrettes de notre comédie ont encore des nuances qui appartiennent à leur état; mais les valets ne se voient plus comme on les met sur la scène. On distingue la femme de chambre qui est chez la duchesse: ses façons sont plus aisées et plus nobles. Celle qui est chez la présidente a contracté quelque chose de la morgue de la maison; elle met de la précision dans tout ce qu'elle dit et ce qu'elle fait. Celle qui est chez la financière, parle des plus grosses sommes comme d'un rien, raconte les dépenses que l'on fait à l'hôtel, et qui ne se font pas ailleurs.

Quelques femmes de chambre, au bout d'un certain temps, copient admirablement leur maîtresse; et quelques-unes, qui sont bonnes, s'attendrissent réellement sur leur sort, parce qu'elles voient de près les tourments que l'envie de briller et les caprices de l'imagination leur font subir chaque jour.

Si la maîtresse traite sa femme de chambre avec indifférence, la paix est entre les deux époux; mais si une sorte d'amitié naît entre elles, et que la ligue s'établisse, le mari ne pourra jamais deviner d'où part la discorde qui trouble sa maison.

Les femmes de chambre ne parlent pas précisément comme les poëtes les font parler sur la scène; mais elles agissent avec dextérité dans plusieurs occasions, et elles ont encore sur les caractères une certaine influence que les valets ont perdue il y a longtemps.

Une femme de qualité dit? où sont mes femmes ? et ne dit ja

mais mes femmes de chambre, expression réservée à la bourgeoisie.

Depuis que le luxe a placé quatre à cinq domestiques, enchaînés à la courroie derrière un carrosse; depuis que l'on a tenu ainsi quatre hommes serrés l'un contre l'autre, sautillant sur la pointe des pieds, obligés de monter et de descendre lorsque la voiture est en mouvement, et de s'élancer avec célérité, au risque de se rompre les jambes, les femmes, à leur toilette, ont tenu debout trois à quatre femmes uniquement occupées à offrir la boîte à poudre, les épingles, la pâte d'amande, tandis que le coiffeur arrange les cheveux.

Ce vol d'individus, fait aux campagnes, à l'agriculture, n'a pas même été frappé parmi nous d'un impôt propre à punir cet égoïsme révoltant; et tandis que le galon d'or et d'argent entre dans la livrée de la servitude, le sarrau de toile couvre à peine le laboureur et le vigneron. La classe travaillante voit les valets en habits de drap galonné, et les femmes de chambre en robe de soie, même avec quelques petits diamants. Cette malheureuse classe commence à s'estimer elle-même fort au-dessous de l'ordre domestique.

C.

Falots.

Porteurs de lanternes numérotées, qui vaguent dans les rues vers les dix heures du soir. Voilà le falot : ce cri s'entend après souper; et ces porteurs de lanternes se répondent ainsi à toute heure de nuit, aux dépens de ceux qui couchent sur le devant; ils s'attroupent aux portes où l'on donne bal, assemblée.

Le falot est tout-à la fois une commodité et une sûreté pour ceux qui rentrent tard chez eux ; le falot vous conduit dans votre maison, dans votre chambre, fût-elle au septième étage, et vous fournit de la lumière quand vous n'avez ni domestique,

ni servante, ni allumettes, ni amadou, ni briquet; ce qui n'est pas rare chez les garçons, coureurs de spectacles, et batteurs de boulevards. D'ailleurs ces clartés ambulantes épouvantent les voleurs et protègent le public presqu'autant que les escouades du guet.

Ces rodeurs, tenant lanterne allumée, sont attachés à la police, voient tout ce qui se passe; les filoux qui dans les petites rues voudraient interroger les serrures, n'en ont plus le loisir devant ces lumières inattendues.

Elles se joignent aux réverbères pour éclairer le pavé. Il est devenu beaucoup plus sûr depuis qu'on a imaginé de lancer dans tous les quartiers ces phares qu'on aperçoit de loin, qui vous guident dans les ténèbres, qui suppléent aux accidents et à l'invigilance du luminaire public.

A la sortie des spectacles, ces porte-falots sont les commettants des fiacres; ils les font avancer ou reculer, selon la pièce qu'on leur donne. Comme c'est à qui en aura, il faut les payer grassement, sans quoi vous ne voyez ni conducteurs ni chevaux. Ces drôles alors s'égaient entr'eux. Quand ils voient sortir un Gascon bien sec avec ses bas tout crottés, ils croisent leurs feux pour éclairer sa triste figure, et puis ils lui crient aux oreilles monseigneur veut-il son équipage? Comment se nomme le cocher de monseigneur? Ils distribuent à tous les fantassins dont ils se moquent les titres de M. le comte, de M. le marquis, de M. le duc, de milord. Un épicier est un colonel et un clerc de notaire en appétit, qui file précipitamment en cheveux longs, pour arriver à table avant le dessert, ces polissons le poursuivent en l'appellant M. le président.

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Le porte-fanal se couche très-tard, rend compte le lendemain de tout ce qu'il a aperçu. Rien ne contribue mieux à entretenir l'ordre et à prévenir plusieurs accidents que ces fanaux, qui circulant de côté et d'autre, empêchent par leur subite présence les délits nocturnes. D'ailleurs, au moindre tumulte ils courent au guet, et portent témoignage sur le fait.

Il n'y a que leur cri qui soit fatigant; mais si le falot crie la nuit, qui ne crie pas dans le jour ? Le petit peuple est naturellement braillard à l'excès: il pousse sa voix avec une discordance choquante. On entend de tous côtés des cris rauques, aigus, sourds. Voilà le maquereau qui n'est pas mort; il arrive ! il arrive! Des harengs qui glacent, des harengs nouveaux! Pommes cuites au four. Il brûle! il brúle! Ce sont des gâteaux froids. Voilà le plaisir des dames! voilà le plaisir ! C'est du croquet. A la barque, à la barque ; à l'écailler! Ce sont des huîtres. Portugal! Portugal! Ce sont des oranges.

Joignez à ces cris les clameurs confuses des fripiers ambulants, des vendeurs de parasols, de vieille ferraille, des porteurs d'eau. Les hommes ont des cris de femmes, et les femmes des cris d'hommes. C'est un glapissement perpétuel; et l'on ne saurait peindre le ton et l'accent de cette pitoyable criaillerie, lorsque toutes ces voix réunies viennent à se croiser dans un carrefour.

Le ramoneur et la marchande de merlans chantent encore ces cris discordants en songe quand ils dorment, tant l'habitude leur en fait une loi.

Non jamais le peuple Parisien n'a connu la douce euphonie ; et son oreille incessamment déchirée et non révoltée, est la plus étrangère à toute expression musicale. Aussi dans les spectacles n'a-t-il point de sentiment de la mélodie et le plus souvent même de l'harmonie. Et puisque nous sommes à citer des mots grecs, l'euthymie ne lui appartient pas plus que la connaissance de la bonne musique; mais il rencontre quelquefois l'eutrapélie.

Voilà trois phrases qui sentent bien le pédant, dira-t-on. Pardonnez, lecteur ; je sors de converser avec un traducteur des Grecs, qui vit dans l'ancienne Athènes, et qui ne veut pas connaître mon Paris. Je lui renvoie sa balle à l'article Falots.

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