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de la frisure a gagné tous les états: garçons de boutiques, clers de procureurs et de notaires, domestiques, cuisiniers, marmitons, tous versent à grands flots de la poudre sur leurs têtes, tous y ajustent des toupets pointus, des boucles étagées; l'odeur des essences et des poudres ambrées vous saisit chez le marchand du coin, comme chez le petit maître élégant et retapé.

Quel vide il en résulte dans la vie des citoyens! Que d'heures perdues pour des travaux utiles! Combien les friseurs et les friseuses enlevent de moments à la courte durée de notre existence !

Lorsqu'on songe que la poudre dont deux cents mille individus blanchissent leurs cheveux, est prise sur l'aliment du pauvre; que la farine qui entre dans l'ample perruque du robin, la vergette du petit-maître, la boucle militaire de l'officier, et l'énorme catogan du batteur de pavé nourriraient dix mille infortunés; que cette substance extraite du blé dépouillé de ses parties nutritives passe infructueusement sur la nuque de tant de désœuvrés: on gémit sur cet usage, qui ne laisse pas aux cheveux la couleur naturelle qu'ils ont reçue.

Douze cents perruquiers, maîtrise érigée en charge, et qui tiennent leurs privilèges de S. Louis, emploient à peu près six mille garçons. Deux mille chamberlans font en chambre le même métier, au risque d'aller à Bicêtre. Six mille laquais n'ont guère que cet emploi. Il faut comprendre dans ce dénombrement les coiffeuses. Tous ces êtres-là tirent leur subsistance des papillotes et des bichonnages.

Nos valets de chambre-perruquiers, le peigne et le rasoir en poche pour tout bien, ont inondé l'Europe; ils pullulent en Russie et dans toute l'Allemagne. Cette horde de barbiers à la main leste, race menteuse, intrigante, effrontée, vicieuse, Provençaux et Gascons pour la plupart, a porté chez l'étranger une corruption qui lui a fait plus de tort que le fer des soldats. Nos danseurs, nos filles d'opéra, nos cuisiniers ont bientôt marché sur leurs traces et n'ont pas manqué d'asservir à nos modes,

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à nos usages les nations voisines. Voilà les conquérans qui ont fait prévaloir le nom français dans toutes les contrées, et qui ont été les vengeurs de nos revers politiques. Nos voisins pourraient donc faire un traité sur la pernicieuse introduction des friseurs parmi eux, et sur l'avantage qui aurait résulté d'une proscription prompte et raisonnée.

XCVIII.

Boutique de perruquier.

Imaginez tout ce que la malpropreté peut assembler de plus sale. Son trône est au milieu de cette boutique où vont se rendre ceux qui veulent être propres. Les carreaux des fenêtres, enduits de poudre et de pommade, interceptent le jour; l'eau de savon a rongé et déchaussé le pavé. Le plancher et les solives sont imprégnés d'une poudre épaisse. Les araignées pendent mortes à leurs longues toiles blanchies, étouffées en l'air par le volcan éternel de la poudrière. N'entrez jamais dans cet antre infecte; mais regardez avec moi à travers une vitre cassée. Voici un homme sous la capotte de toile cirée, peignoir bannal qui lui enveloppe tout le corps. On vient de mettre une centaine de papillotes à une tête qui n'avait pas besoin d'être défigurée par toutes ces cornes hérissées. Un fer brûlant les aplatit et l'odeur des cheveux brûlés se fait sentir.

Tout à côté, voyez un visage barbouillé de l'écume de savon ; plus loin, un peigne à longues dents qui ne peut entrer dans une crinière épaisse. On la couvre bientôt de poudre, et voilà un accommodage.

Quatre garçons perruquiers, blêmes et blancs, dont on ne distingue plus les traits, prennent tour-à-tour le peigne, le rasoir et la houppe. Un apprenti chirurgien, dit major, sorti de l'amphithéâtre où il vient de plonger son bras dans des entrailles humaines, ou dont la main fétide sent encore l'onguent

suspect, la promène sur tous ces visages qui sollicitent leur tour; car le manant à Paris, pour aller à vêpres et à la Courtille, veut porter le dimanche tête frisée et saupoudrée.

Des tresseuses faisant rouler des paquets de cheveux entre leurs doigts et à travers des cardes ou peignes de fer, ont quelque chose de plus dégoûtant encore que les garçons perruquiers. Elles semblent pommadées sous leur linge jauni. Leurs juppes sont crasseuses comme leurs mains; elles semblent avoir fait un divorce éternel avec la blanchisseuse, et les merlans eux-mêmes ne se soucient point de leurs faveurs.

La matinée de chaque dimanche suffit à peine aux gens qui viennent se faire plâtrer les cheveux. Le maître a besoin d'un renfort; les rasoirs sont émoussés par le crin des barbes. Soixante livres d'amidon dans chaque boutique passent sur l'occiput des artisans du quartier. C'est un tourbillon qui se répand jusques dans la rue. Les poudrés sortent de dessous la houppe avec un masque blanc sur le visage. L'habit du perruquier pèse le triple. Battez-le ; je parie pour six livres de poudre : il en a bien avalé quatre onces dans ses fonctions, d'autant plus qu'il aime à babiller.

Eh bien, le dimanche, à quatre heures du soir, ce même perruquier, lassé de sa blanche poussière, monte dans une chambre, se met nu de la tête aux pieds, se lave, s'essuie, et passe dans une seconde chambre, voisine et séparée, où il s'habille proprement en noir. Il n'ose lui-même repasser par sa farineuse boutique ; il sort aussi propre qu'un conseiller.

Où va-t-il ? à l'opéra, voir danser mademoiselle Guimard, dont il vante les grâces. Il se trouve à côté de celui qu'il a coiffé le matin. Alors il peut se frotter sans crainte à son voisin, et rouler parmi les flots du peuple extasié. Ce n'est plus un merlan, c'est un juge en musique.

Lorsqu'il rentre, il se déshabille avec soin, range son habit propre, met de côté sa chemise à dentelles, et revient dans la chambre grasse reprendre ses vêtements lourds et poudreux,

qu'il portera six jours de suite, si une fête ne coupe point la semaine pour le ramener au palais magique, où il claquera Vestris, le dieu de la danse.

Il faut que ce métier si sale soit un métier sacré; car dès qu'un garçon l'exerce sans en avoir acheté la charge, le chambrelan est conduit à Bicêtre, comme un coupable digne de toute la vengeance des lois. Il a beau quelquefois n'avoir pas un habit de poudre; un peigne édenté, un vieux rasoir, un bout de pommade, un fer à toupet deviennent la preuve évidente de son crime; et il n'y a que la prison qui puisse expier un pareil attentat.

Voilà comment, avec des lois mal entendues, on se joue indécemment de la liberté des hommes. On cite encore S. Louis, législateur et patron des perruquiers, dans la vue de consacrer de si respectables priviléges!

Oui, pour raser le visage d'un fort de la Halle, poudrer une chevelure de porteur d'eau, peigner un savant, papillotter un clerc de procureur, il faut préalablement avoir acheté une charge.

Quelque chose encore, qui tout à la fois attire et repousse l'œil dans la boutique d'un perruquier, c'est le páté de cheveux sorti du four. Sa croûte, sa ressemblance extérieure avec les bons pâtés de Périgueux, dites, cela ne fait-il pas frissonner?

Il n'y a pas plus de cent ans que la perruque était un ornement rare et coûteux. Une perruque (frémissez, têtes chauves!) se vendait jusqu'à mille écus; il est vrai qu'elle était d'un volume énorme, et qu'il fallait dépouiller plusieurs têtes pour en couvrir une seule. Aujourd'hui, sans se ruiner, on couronne son chef d'une chevelure artificielle pour quatre pistoles; et cette perruque moins chère est mieux faite, mieux plantée, et imite le naturel à s'y méprendre.

Les maîtres d'école des environs de Paris, les vieux chantres, les écrivains publics, les huissiers vétérans n'y regardent pas de si près. Ils ne veulent pas en imposer; ils achètent des per

ruques de hasaid, qui laissent un pouce d'intervalle entre la peau et les cheveux factices. Ils vont au grand magasin établi quai des Morfondus. Là est un tas de tignasses: mais malgré les revers et les années, les cheveux anciennement tressés y tiennent encore.

Les têtes humaines, en dehors comme en dedans, quoiqu'on en dise, sont à peu près égales. Ce qui en fait la différence ne mérite guère d'être compté. D'ailleurs cette jauge de l'orgueil disparaît à une légère distance.

Le maître d'école de village a embrassé ce consolant systême; il ramasse, avec le coup d'œil supérieur de la philosophie, lepremier bonnet chevelu qui ne jure pas trop avec son poil. Dès qu'il fait heureusement le tour de la boîte où gît sa haute pensée, il lui convient, il l'adopte. Son prédécesseur raisonnait-il mieux que lui? Était-il mieux coiffé? Qui pourra décider affirmativement entre deux têtes et deux coiffures? Le maître d'école ne met pas une si grande distance entre génie et génie, perruque et perruque; il paye trente sols, et marche ainsi coiffé vers la classe où l'on ne se moquera pas plus de son bounet que de sa tête.

Il n'y a eu à Paris qu'un seul vieillard assez courageux pour braver l'art des perruquiers, lequel soumet tout occiput. Cet homme a osé dire: ils n'existent pas pour moi. On l'a vu paraître en tout lieu sans perruque. Dès lors, il a paru un grand homme; il n'avait qu'à se coiffer comme le maître d'école, et ce n'aurait plus été qu'un homme ordinaire.

XCIX.

Femmes de chambre.

Une femme qui sert une autre femme a besoin de bien plus d'art et de souplesse qu'il n'en faut à un homme dans la même condition. Point de milieu; les femmes de chambre sont dans

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