Page images
PDF
EPUB

qu'après dîner, pour prendre l'air et puis rentrer chez elles. Mais l'on voit aujourd'hui des femmes en crêpes paraître à nos spectacles. D'autres font de leur deuil un sujet de parures; elles donnent, au deuil d'un mari, l'air d'un deuil de cour. Le défunt n'en obtient pas davantage : ce reste de décence n'est pas observé par des femmes qui, plus jalouses de leurs attraits que de respect pour l'honnêteté publique, bravent, après le décès de leurs époux, des lois qu'elles ont méconnues pendant leur mariage. Cette conduite des femmes achève de leur faire perdre la considération dont elles jouissaient, le mariage, qui était une règle, est à la veille de devenir une exception.

On a profané le deuil; cet emblême de la douleur n'est plus qu'une mode, un faste, un changement d'habit, tel qu'on le pratique lorsqu'on joue une comédie. Oh! qu'un censeur public serait nécessaire pour conserver, à la mémoire des morts, ce respect dont l'oubli est la plus grande dépravation des mœurs.

Les filles de joie, chez la Gourdan, portaient régulièrement le deuil de cour, et se félicitaient d'un habillement qu'on leur fournissait gratis, et qui relevait leurs charmes.

Une marquise disait ce matin à sa femme de chambre : Voilà un deuil qui, depuis quinze jours, m'ennuie bien, mais dis-moi donc, Rosette, de qui suis-je en deuil? et Rosette le lui apprit.

Enfin la bizarrerie se mêle à ces témoignages de la douleur, respectés chez toutes les autres nations de la terre. M. de Brunoy ayant perdu sa mère, fit venir des tonneaux d'encre, et mit en deuil les jets d'eau de son parc, en les teignant de cette couleur lugubre.

XCV.

Messe de minuit.

La veille de Noël les églises se remplissent de monde; mais ce n'est pas toujours la dévotion qui y conduit la foule. Les jeunes gens entrent à minuit la tête haute, regardant les femmes

et les filles, et il leur paraît plaisant de les voir chanter et prier, à l'heure où elles sont ordinairement entre deux draps, occupées à tout autre chose.

On crut que c'était les organistes qui attiraient la foule bruyante. On les fit taire; mais les ténèbres d'un côté, les temples illuminés de l'autre, le renversement passager de la coutume, rendront toujours ces heures de la nuit plus intéressantes que celles du jour. C'est la seule fête nocturne que la religion autorise; et la licence qui profite de tout, s'y glisse malgré la sainteté du lieu.

Les cérémonies dans les grandes paroisses sont connues. Mais voulez-vous jouir d'un tableau vraiment curieux ? allez entendre une messe de minuit dans un village, à quelques lieues de la capitale.

C'est le tour de la fermière; elle doit présenter à l'autel l'agneau sans tache, par les mains de son berger. Une députation de douze filles tant vierges que bergères, est venue pour chercher le pauvre petit animal qui s'ennuie fort d'être étendu dans une manne ornée de pompons et de rubans couleur de rose.

La cloche sonne, la procession va commencer : en voici l'ordre et la marche.

Le premier personnage qui paraît est un bedeau, portant la fameuse étoile des trois mages dont l'apparition aurait fort embarassé les la Lande, les Cassini et Newton lui-même, s'ils avaient existé alors. Les trois mages suivent : l'un d'eux, le mage Maure, a le visage barbouillé de noir de fumée; c'est l'Arlequin; mais il est sérieux.

On voit ensuite quatre anges qui ne volent pas mieux avec leurs ailes de carton, que le sieur Blanchard avec son vaisseau volant et ses parasols. Les vierges folles portent leurs lampes éteintes; les vierges sages leurs lampes allumées.

Gabriel est là, plus beau que les autres; il se retourne de temps en temps pour saluer Marie qui le regarde tendrement. Un saint Joseph suit d'un air niais: on a chosi pour ce rôle

l'imbécile du village. Sa fonction est de garder le pauvre petit agneau qui bêle de toutes ses forces à la cérémonie. Les bergers s'avancent, enveloppés dans leurs grands manteaux, qu'ils relèvent de temps en temps pour faire l'exercice de la houlette.

Enfin on voit se développer, par des évolutions bien exécutées, un joli bataillon de bergères. Elles ont toujours plus de grâces que les garçons.

Leurs vêtements sont blancs, coupés d'écharpes et de ceintures de différentes couleurs; et leurs houlettes ornées de rubans. L'une porte l'arbre de Jessé ; la seconde, la verge d'Aaron, retrouvée de nos jours par l'hydroscope Bléton; la troisième, la pomme (non celle qui perdit Troie, mais celle qui perdit toutle genre humain;) la quatrième, le serpent qui fit cette belle équipée dans le paradis terrestre. Les autres n'ont en main que leurs houlettes, ou celles de leurs bergers favoris.

Cette gentille phalange est accompagnée d'un orchestre ambulant, composé de deux violons, d'une clarinette, d'un serpent et de cinq cornemuses. Le concert de Rousseau chez M. de Treytorens n'approche pas de celui-là. Un chien qui a suivi son maître à l'église sans en être aperçu, entendant cette superbe harmonie, se met à hurler lamentablement, pour faire sa partie dans le concert. Bedeaux et bergers veulent le chasser, et la cacophonie redouble.

Enfin, deux bergères s'avancent pour chanter des cantiques pieux, décents, et surtout très-spirituels, ainsi qu'on en peut juger par celui-ci que j'ai retenu :

Gabriel chez Marie
Vint par compassion,
Et lui fit œuvre pie
Sans copulation.

Après la messe, qui a été entendue avec dévotion et simplicité de cœur par ces bonnes gens, le réveillon se fait. Les cabarets se remplissent malgré l'ordonnance du bailli; et qui sait si la lampe de quelque vierge sage ne s'éteint point!

XCVI.

Samaritaine,

Petit, vilain bâtiment carré, adossé au Pont-Neuf, dressé sur pilotis, et qui rompt de toutes parts un superbe coup d'œil. Cette masure est un gouvernement.

Le fameux gouverneur de ce gouvernement a dans toutes ces immenses parties la fonction de faire entretenir l'horloge, et l'horloge ne va point. Ce cadran vu et interrogé par tant de passants, est des mois entiers sans marquer les heures. Le carillon est aussi défectueux que l'horloge; il déraisonne publiquement: mais du moins on a le droit de s'en moquer.

Il sonne dans toutes les cérémonies publiques, surtout quand le roi passe. Le roi peut entendre le morceau de musique qui réjouissait son trisaïeul; et si la figure de Henri IV, qui est tout à côté, avait des oreilles, elle pourrait achever l'air.

Vu la réputation dont la Samaritaine jouit dans toute l'Europe, on devrait bien moins négliger son carillon et son horloge; mais c'est un gouvernement; c'est tout dire les clochettes n'y seront jamais d'accord.

Quand fera-t-on disparaître ce bâtiment sans goût, qui s'offre à l'œil avec le quai du Louvre et le quai des Théatins, qui gâte l'ensemble des deux rives, et qui ne sert qu'à élever l'eau pour quelques bassins qui n'en sont pas moins à sec les trois quarts de l'année (1) ?

(1) La Samaritaine, commencée en 1603 par Jean Lintloër, s'achevait, trois ans après, en dépit des résistances du prévôt des marchands, qui fit tout pour s'opposer à cette construction. Sur la façade du côté du pont, on voyait un groupe en bronze doré représentant Jésus et la Samaritaine conversant auprès du puits de Jacob.

Arrêtez-vous ici, passant ;

Regardez attentivement,
Vous verrez la Samaritaine
Assise au bord d'une fontaine :

XCVII.

Perruquiers.

Nos ancêtres ne livraient pas chaque matin leur tête, pendant un temps considérable, à un friseur oisif et babillard. Se faire le poil, imprimer à leurs moustaches, ornement de leurs physionomies mâles, un ton martial, tel était toute leur toilette. Il y a deux siècles que nous avons eu la faiblesse d'imiter les femmes dans cet art de la frisure qui nous effémine et nous dénature.

Où est le temps qu'un brave, lorsqu'il avait besoin d'argent, détachait sa moustache et la mettait en gage chez le prêteur, au lieu de lui faire un billet d'honneur? Point d'hypothèque plus assurée le prêteur dormait tranquille, et jamais la dette ne manqua d'être acquittée à son échéance.

Nous n'avons plus, il est vrai, le ridicule d'ensevelir notre tête sous une chevelure artificielle, de coiffer le front de l'adclescence d'un énorme paquet de cheveux; le crâne chauve et ridé de la vieillesse n'offre plus ce bizarre assortiment; mais la rage

Vous n'en savez pas la raison,
C'est pour laver son cotillon.

Regardez de l'autre côté :
Comme le Seigneur est planté.
Il l'entretient sur la grâce;

Il lui parle sur l'efficace;
Mais il lui parle doucement,
De crainte d'emprisonnement.

Son carillon fut longtemps la merveille des merveilles pour le bourgeois parisien, ainsi que son jaquemart, qui, déjà sous Louis XIV, avait disparu, ce qu'indique une complainte de la Samaritaine sur la perte de son jaquemart et sur le débris de la musique de ses cloches, par d'Assoucy. Le gouvernement de la Samaritaine rapportait de cinq à six mille francs. Rulhière, si nous ne nous trompons, en fut le dernier gouverneur. Cette étrange sinecure périt, cela va sans dire, avec la monarchie Quant au souhait de Mercier, il ne se réalisa qu'en 1815, que l'on mit à bas cette très-inutile et très-gothique construction. (Note de l'éditeur.)

« PreviousContinue »