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sage! Quoi, Montesquieu, Rousseau, Voltaire et Buffon ont aussi trempé leur plume dans une écritoire ! Et l'huissier exploitant et l'écrivain lumineux se servent chaque jour du même instrument !

LXXVIII.

Théâtre bourgeois.

Amusement fort répandu, qui forme la mémoire, développe le maintien, apprend à parler, meuble la tête de beaux vers, et qui suppose quelques études. Ce passe-temps vaut mieux que la fréquentation du café, l'insipide jeu de cartes et l'oisiveté absolue.

On pense bien que ces acteurs, qui représentent pour leur propre divertissement, ne sont pas assez formés pour satisfaire l'homme de goût; mais en fait de plaisir, qui raffine à tort. Pour moi, j'ai remarqué que la pièce que je connaissais devenait toujours nouvelle, lorsque les acteurs m'étaient nouveaux. Je ne sais rien de plus fastidieux que d'assister à une troisième et quatrième représentation par les mêmes comédiens.

Je n'ignore pas qu'on y déchire sans miséricorde les chefs

couplets, et qu'on voudrait faire remonter à la bataille de Pavie. Voici l'un de ces couplets:

L'encrier, la plume et l'épée
Étaient les armes de Pompée;
La bazoche est son héritière,
Elle en est fière!
Soldat clerc, le bazochien

Est bon vivant et bon chrétien.

Vive la bazoche!

A son approche
Tout va bien !

Cet encrier, cette plume et cette épée, n'en déplaise à Mercier, sont, bien plus que trois simples écritoires, l'expression parlante de cette jeunesse turbulente et aventureuse, toujours prête à en venir aux mains, et à laquelle la jeunesse de nos écoles ne saurait être comparée. (Note de l'Éditeur.)

d'œuvre des auteurs dramatiques, qu'on y estropie les airs des meilleurs compositeurs; que ces assemblées donnent lieu à des scènes plus plaisantes que celles que l'on représente : et tant mieux; le spectacteur s'amuse à la fois de la pièce et des personnages. Puis les allusions deviennent plus piquantes; car l'histoire des actrices a la publicité de l'histoire romaine.

On joue la comédie dans un certain monde, non par amour pour elle, mais à raison des rapports que les rôles établissent. Quel amant a refusé de jouer Orosmane? et la beauté la plus craintive s'enhardit pour le rôle de Nanine.

J'ai vu jouer la comédie à Chantilly par le prince de Condé et par madame la duchesse de Bourbon. Je leur ai trouvé une aisance, un goût, un naturel qui m'ont fait grand plaisir. Vraiment ils auraient pu être comédiens, s'ils ne fussent pas nés princes.

Le duc d'Orléans, à Saint-Assise, s'acquitte aussi très-bien de ses rôles, avec facilité et rondeur. La reine de France enfin a joué la comédie à Versailles dans ses petits appartements. N'ayant pas eu l'honneur de la voir, je n'en puis rien dire.

Ce goût est répandu depuis les plus hautes classes jusqu'aux dernières; il peut contribuer quelquefois à perfectionner l'éducation, ou à en réformer une mauvaise, parce qu'il corrige tout à la fois l'accent, le maintien et l'élocution. Mais cet amusement ne convient qu'aux grandes villes, parce qu'il suppose déjà un certain luxe et des mœurs peu rigides. Gardez-vous toujours des représentations théâtrales, petites et sages républiques; craignez les spectacles: c'est un auteur dramatique qui vous le dit.

Parmi les anecdotes plaisantes que fournissent les amateurs bourgeois, dont la fureur est de jouer la tragédie, je choisirai cette historiette, que je trouve dans le Babillard.

Un cordonnier habile à chausser le pied mignon de toutes << nos beautés, et renommé dans sa profession, chaussait le co<< thurne tous les dimanches. Il s'était brouillé avec le décora

<<teur. Celui-ci devait pourvoir la scène au cinquième acte, d'un « poignard, et le poser sur l'autel. Par une vengeance mali<«< cieuse, il y substitua un tranchet; le prince, dans la chaleur << de la déclamation, ne s'en aperçut pas ; et voulant se donner « la mort à la fin de la pièce, il empoigna, aux yeux des spec<< tateurs, l'instrument benin qui lui servait à gagner sa vie. »> Qu'on juge des éclats de rire qu'excita ce dénouement, qui ne parut pas tragique.

LXXIX.

Comédie clandestine.

Je ne parlerai pas ici de ces farces irréligieuses où une jeunesse indévote se permet des gaietés très-indiscrètes; où l'on voit le prêtre disant la messe, qui va cherchant l'hostie que la souris a emporté pendant le Dominus vobiscum, et déjà à demi croquée. Je ne répéterai point le dialogue de l'abbesse se confessant au cordelier; il faut laisser ces bouffonneries sous le voile qui les couvre.

Je dois parler de certaines petites pièces libres et voluptueuses qu'on vient d'accueillir en secret, comme infiniment propres à débarrasser les femmes de ce reste de pudeur qui les fatigue.

Là, Thalie, comme on l'a tant de fois reproché aux dramatistes, n'est plus une régente, le théâtre n'est plus une école : on en a chassé toute morale; ce n'est point l'esprit assommant de Dorat; ce n'est point le jargon quintessencié de la comédie moderne, c'est la peinture aisée d'un riant et facile libertinage; ce sont les caractères à la mode, le goût du jour, le ton nouveau d'une débauche raisonnée, et qu'on appelle décente.

Un abbé se plaint de la facilité d'avoir des femmes, et de la difficulté d'avoir des abbayes. Les soubrettes chantent des couplets qui font hausser l'éventail, mais pleins de vérités. Des équivoques, des plaisanteries, une corruption bien profonde, le

vice orné de toute la gaieté possible, voilà ce qui distingue ces monodrames qui attestent notre esprit, et la singulière licence de nos mœurs (1).

Les romans de Crébillon fils sont chastes, en comparaison de ces petites pièces, où la dérision de la vertu et l'oubli des principes sont affichés au point que l'auteur, quoiqu'il imagine, ne scandalise jamais l'auditoire. Il est toujours plus dépravé que le poëte.

Ces monodrames font sortir le talent pittoresque de nos bouffons. Ainsi tous les moyens de l'ancienne comédie sont tombés; elle n'est plus que décrépite et froide, auprès de cette muse moderne à l'œil vif et hardi, au ton décidé, au geste libertin, qui a réponse à tout, qui voit tout avec le sourire dominant d'une malice spirituelle.

Notez que toutes ces femmes dont on peint l'esprit et la dépravation, sont toutes ou comtesses, ou marquises, ou présidentes, ou duchesses; et les hommes à l'avenant. Il n'y a pas une seule bourgeoise personnifiée dans ces pièces. Il n'appartient pas à la bourgeoisie d'avoir ces vices distingués ; le libertinage roturier est si loin d'un idiôme aussi fin, aussi délicat; il n'est pas digne des pinceaux qui célèbrent les mœurs ingénieuses des femmes de qualité.

On joue aussi dans des salons privilégiés, des proverbes qui tiennent à des aventures récentes et connues. On a besoin de la causticité pour sortir de l'atonie. La simple médisance ne frapperait pas assez profondément la victime; il faut qu'elle expire sous les pointes les plus acérées, et le tout par amusement (2).

(1) On jugera, par les titres seuls, de la décence de ces pièces, représentées dans la plus haute et la meilleure société, à Bagnolet, par exemple, sur le petit théâtre du duc d'Orléans : Léandre grosse, l'Amant poussif, Léandre étalon, de Collé toutes trois. La Vérité dans le vin, passe, et à raison, pour le chef-d'œuvre du genre. Mais quelles mœurs, quel jargon et quelle société !

(Note de l'éditeur.) (2) Depuis que la fureur de jouer des proverbes, dit Grimm, s'est répandue dans les sociétés de Paris, nous avons vu des facétieux aller de cercle en cercle

Voilà donc les atellanes naturalisées parmi nous; elles ne se présentent point sur les théâtres publics. Tout à la fois licencieuses et impudentes, elles ne sont dans l'ombre que pour exciter plus vivement la curiosité. Les lois ne peuvent les interdire; c'est une jouissance pour ces êtres blasés, qui croient aviver ainsi leur âme abâtardie. Mais, malgré tant d'efforts, le rire du libertinage ou celui de la méchanceté ne sera jamais le bon rire. J'en préviens les auteurs et les auditeurs.

LXXX.

Spectacle des boulevards.

Le peuple, qui a besoin d'amusements, s'y précipite en foule; mais ces théâtres sont ceux qui mériteraient le plus l'attention du magistrat, et les pièces devraient être des compositions agréables et morales; car il n'y a pas d'opposition entre ces deux mots, quoi qu'en disent les poëtes corrupteurs.

Pourquoi ces pièces sont-elles pour la plupart basses, plates,

contrefaire des gens ridicules et bien connus, et représenter de ces petits drames dont ils donnaient ensuite le proverbe à deviner aux spectateurs. Cette manière de contribuer à l'amusement de la société n'est pas précisément le chemin qui mène à la considération, mais elle donne une sorte d'existence à Paris, et l'accès auprès de la bonne compagnie, où cette classe de personnes n'aurait jamais figuré sans l'amusement qu'elle procure. Nous avons vu briller, pendant un certain temps, une mademoiselle Delon, de Genève, qui avait épousé ici un gentilhomme, et se faisait appeler la marquise de Luchet. M. le comte d'Albaret était un autre acteur principal de ce genre. Un commis dans les fourrages, homme original et plaisant, qui contrefait les Anglais dans la perfection, et qui est généralement connu à Paris sous le nom de milord Gor, était aussi de cette troupe, qui se mêlait quelquefois avec Préville et Bellecour, de la Comédie-Française, excellents en ce genre, lesquels amenaient encore avec eux l'avocat Coqueley de Chaussepierre, qu'on dit sublime... » La vogue qu'eurent ces folies donna l'idée de composer des pièces régulières de ces scènes décousues, et que l'on improvisait séance tenante. Ce fut Carmontelle qui, le premier, s'avisa de réduire ces amusements en système et écrivit des Proverbes dramatiques. Collé, Théodore Leclerc et Alfred de Musset sont les classiques de ce genre éphémère qui devait tomber avec le goût des théâtres de société, et qui serait mort, à l'heure qu'il est, sans le succès incroyable du Caprice, et de Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. (Note de l'éditeur.)

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