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LXXVI.

Procureurs, huissiers.

Si vous avez dans votre maison un endroit sale, obscur, fétide, mal-propre, plein d'ordures, les souris et les rats s'y logent infailliblement. Ainsi dans la fange et le cahos abominable de notre jurisprudence, on a vu naître la race rongeante des procureurs et des huissiers.

Ils se plaisent dans les détours ténébreux de la chicane; ils vivent grassement dans le labyrinthe de la procédure : il faut les y suivre malgré vous; vous êtes forcé de vous soumettre à leur ministère. Ces paperasseurs ont acheté la déplorable charge qui en fait des vampires publics et privilégiés; mais comme le premier mal est dans une législation contradictoire et embrouillée, le praticien se rit de la misère du plaideur et tient au vice antique qui lui est si profitable.

Notre jurisprudence n'est qu'un amas d'énigmes prises au hasard dans les ouvrages de quelques jurisconsultes d'une nation étrangère; et quand les coutumes et les lois différentes sont privées de clarté, ne vous étonnez pas des monstruosités de la procédure.

Entrez dans un greffe de procureur, appelé improprement étude huit à dix jeunes gens piquant la dure escabelle, sont occupés à gratter du papier timbré du matin au soir. Bel emploi! Ils copient des avenirs, des exploits, des significations, des requétes; ils grossoient. Qu'est-ce que grossoyer? C'est l'art d'alonger les mots et les lignes, pour employer le plus de papier possible, et le vendre ainsi tout barbouillé aux malheureux plaideurs; de sorte qu'on puisse en former des dossiers épais. Et qu'est-ce qu'un dossier ? C'est la masse bizarre de ces épouvantables procédures. Et un dossier épais, que coûte-t-il bien? Sept à huit mille francs pour commencer à éclaircir un peu les choses.

Mais toutes ces paperasses servent-elles du moins au juge? Jamais. Quand il y a un rapporteur, son secrétaire fait sur une feuille volante un extrait de ces énormes grosses, et toutes les raisons du procureur restent au fond du sac: ainsi ce déluge d'écritures ne servira pas même dans la cause dont il s'agit, le juge ne verra que l'extrait du secrétaire fidèle ou infidèle ; et voilà ce qu'on appelle l'instruction chez un peuple civilisé, ou soi-disant tel.

Le procureur dans son greffe est environné de ces dossiers érigés en trophées et qui montent jusqu'au plancher, à peu près comme le sauvage de l'Amérique s'environne dans sa hutte, et suspend autour de lui les chevelures de ceux qu'il a scalpés.

Il y a environ huit cents procureurs, tant au Châtelet qu'au parlement, sans compter cinq cents huissiers exploitants; et tout cela vit de l'encre répandue à grands flots sur le papier timbrés.

Dites à un praticien qu'il y a plusieurs pays en Europe, où la justice se rend sans le fatal ministère d'un procureur ; où les frais de justice sont nuls, pour ainsi dire; où des pacificateurs, dans le vestibule du temple de la justice, vous arrètent avec un intérêt tendre, prennent à cœur d'arranger les parties et y parviennent ordinairement. Le praticien levera les épaules, sonnera et dira à son clerc, grossoyez, multipliez les incidents, et songez que la philosophie est dangereuse.

Les brigandages qui s'exercent dans ces greffes poudreux sont légitimés par les friands amateurs d'épices; on ne se fait point la guerre, on partage paisiblement le tiers des successions. Ils sont toujours en noir, disait un paysan: savez-vous pourquoi ? C'est parce qu'ils héritent vraiment de tout le monde.

Il faut que le brigandage soit porté loin, pour qu'il soit réprimé. Les procureurs en sont presque toujours quittes à l'audience pour des sarcasmes de la part des avocats, et des menaces d'interdiction de la part des juges. L'un d'eux disant un jour au plus effronté: maître un tel, vous êtes un fripon.

Monseigneur à toujours le petit mot pour rire, répondit le praticien.

Quelques procureurs roulent carrosse, et tirent de leur greffe quarante à cinquante mille francs par an. Les avocats les cour tisent assidument, pour avoir des causes; Ils font le soir la partie de madame en cheveux longs, et l'ensencent de tout leur pouvoir, afin que le choix tombe sur eux pour les pièces d'écritures, partie lucrative, chère à l'ordre, et qui mérite bien qu'on déroge un peu à l'art de l'orateur et que l'on ménage les bonnes grâces de la femme du praticien.

C'est toujours lui qui choisit l'avocat. Le plaideur ne connaît que la boutique du procureur: et comme il faut commencer par l'assignation, le praticien est nécessairement l'agent de toute la procédure : aussi les avocats sont-ils plus souples et plus dociles devant les procureurs, que l'apothicaire ne l'est devant un docteur de la faculté.

Il faut passer par les longues épreuves de la cléricature, pour être habile à posséder une charge; il faut monter lentement la pénible échelle. Ce triste noviciat est de huit à dix années. Ainsi les procureurs ont des clercs à bon marché ; le maître clerc lui même, limonier de l'étude, n'a que de faibles gages; les autres clercs barbouillent le papier du matin au soir pour leur pauvre nourriture. Ils vivent d'espérance, logent dans les mansardes, en attendant une charge vacante.

Les plus adroits, dans les petites études, tâchent d'intéresser la procureuse, afin d'adoucir la rigueur de leur joug; mais dans les grandes, madame ne saurait se résoudre à manger avec des clercs.

Elle oublie que son mari n'est qu'un ancien clerc qui vient d'acheter une charge. Le nigaud approuve le noble orgueil de sa femme, son panache, ses polonaises, ses femmes de chambre, ses tons, ses airs. Il ne veut plus communiquer qu'avec les amis de madame, parce qu'ils lui ont promis une riche clientelle. Les huissiers, qui marchent à la suite des procureurs, ne sont

pas moins redoutables et plus ardents encore à la curée. Quand une fois la brèche est ouverte, alors ils montent à l'assaut, et traitent une maison comme une ville livrée au pillage. Voyez le vautour acharné sur sa proie, et qui la dépèce avec son bec noir et crochu; c'est l'image de leur joie avide, quand leurs mains armées de la fatale plume, saisissent les meubles pour les porter en vente sur la place publique.

Ces mêmes huissiers qui, comme une meute dévorante, se déchaînent contre les particuliers, pour peu que la bride leur soit lâchée, n'osent porter un exploit à un membre du parlement ou à un homme en place; c'est à qui se refusera à cet office. Quand on veut poursuivre un grand, il faut avoir rècours au procureur-général, pour obliger un simple huissier à faire son devoir.

Ainsi le bourgeois à Paris, outre ses autres fardeaux, a dans la noblesse impérieuse et hautaine une véritable aristocratie à combattre; il rencontre une ligue qui insensiblement devient plus formidable que jamais.

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C'est par ces agents subalternes de la justice, et qui infectent les venues de son temple, que l'on n'en approche plus qu'avec crainte et tremblememt. C'est par eux que les juges se sont trouvés aux milieu des piéges et des surprises et que la longueur des affaires à fait renoncer aux meilleurs droits, parce que la ruine inévitable des familles a paru devoir suivre la demande la plus légitime.

Ce fléau, que les tribunaux supérieurs ne songent pas à réprimer, dévore la partie indigente; l'on a vu des hommes iniques menacer encore de la justice ceux qu'ils avaient dépouillés, s'ils n'étouffaient pour toujours leurs plaintes et leurs murmures; et les infortunés voulant conserver les débris de leur fortune, se sont tus, craignant que le monstre de la chicane ne vint leur enlever ces faibles restes.

Tous ces praticiens ont entr'eux un genre de plaisanterie qui équivoque perpétuellement sur les mots de leur profession. Il

n'y a rien de plus gothique et de plus maussade que les railleries des hommes d'affaires : pour être plates et grossières, elles n'en sont pas moins inhumaines; car ils plaisantent encore ceux qu'ils ont vexés et rongés.

Ce n'est pas que l'improbité soit attachée à la profession : quelques procureurs honnêtes ne présentent pas sans cesse la justice à leurs parties, pour ne leur en faire embrasser que l'ombre. Ils emploient leur habileté à sauver leurs clients d'un dédale d'erreurs et d'un embrasement funeste. Plusieurs ennoblissent leur profession par la vertu qui les orne toutes; ils servent de modèle aux autres, et ils méritent l'estime et la confiance du public: mais on peut dire d'eux aussi :

Apparent rari nantes in gurgite vasto.

Ces communautés de procureurs sont liées au parlement d'une manière forte étroite. Elles en suivent les mouvements, et en épousent les idées avec la plus grande chaleur.

LXXVII.

La bazoche.

C'est une communauté de clercs qui jugent entre eux de leurs différends. Autrefois il y avait le roi de la bazoche, maître du royaume de la bazoche, et qui établissait des juridictions bazochiales; mais attendu que le nombre des clercs allait à près de dix mille, Henri III révoqua le titre de roi. Il était bien peureux, dira-t-on; mais souvent les hommes se sont laissé conduire par des mots, et plus loin qu'ils n'auraient d'abord imaginé.

Les armoiries de la bazoche sont trois écritoires (1). Oh ! quel fleuve dévorant, semblables aux noires eaux du Styx, sort de ces armes parlantes, pour tout brûler et consumer sur son pas

(1) Il existe une vieille ronde de la bazoche, qui n'avait pas moins de quarante

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