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obscur et impénétrable de la sage-femme, n'en trouvent pas moins un époux, en jouant le rôle d'Agnès, rôle que presque toutes les filles et même les plus soltes possèdent par instinct. Puis dans cette ville immense qui peut conter l'histoire de tel ou tel individu? Le changement de quartier suffit pour dérouter le plus habile, le plus curieux investigateur.

Les filles pauvres et sans ressources vont faire leurs couches à l'Hôtel-Dieu; on les y reçoit dès le sixième mois. Cette partie de l'administration est très-bien soignée; rien ne manque à ces femmes de ce qu'exige leur état. Les maîtres de l'art y inspectent journellemeut la manière dont elles sont traitées jusqu'à leur parfait rétablissement. La chose vue en grand me paraît exempte de reproches.

Ces sages-femmes qui reçoivent toutes celles qui se présentent, sans s'enquérir de leur nom et qualité, et l'hôpital des Enfants-trouvés font que l'infanticide est un crime inouï dans la capitale. Ce forfait n'était pas rare avant ce sage établissement; et voyez s'il n'est pas plus commun en Suisse que dans toute la France.

L'édit de Henri II est tombé en désuétude; et sur cent filles qui accouchent clandestinement, à peine y en a-t-il une seule qui sache qu'une vieille loi la condamne à la mort pour n'avoir pas révélé sa grossesse.

On compte à Paris deux cents maîtresses sages-femmes; il y naît environ vingt mille enfants : divisez.

LXX.

Comment se fait un mariage.

Le père entre dans la chambre de sa fille, qui est à sa toilette, et qui a appris de sa femme de chambre qu'on allait la marier. Le père s'avance: Mademoiselle, lui dit-il, je vois, à vos yeux, que vous n'avez point dormi. -Non, mon père.

Tant pis, ma fille; il faut être belle quand on se marie, et on est laide quand on ne dort pas. Je ne le suis pas assez, reprend-elle avec un soupir. — Vous n'êtes pas assez laide, dites-vous? c'est donc pour l'être davantage, que vous prenez l'air triste et maussade que je vous vois; allons, ne faites pas l'enfant, je vous prie; il faut de la modestie le jour du contrat, mais la modestie n'est pas l'humeur, et c'est de l'humeur que votre visage annonce. - Oh ! mon visage a bien raison. — Il a grand tort, et vous aussi ; je vous ordonne d'être riante. Vous m'ordonnez l'impossible. - L'impossible? et pourquoi, s'il vous plaît? quel mal vous fait-on de vous marier avec un homme bien né, très-aimable, et surtout fort riche? Je crois tout cela, puisque vous le dites; mais il est toujours bien cruel d'être livrée à un homme que l'on ne connaît pas. — Bon! est-ce qu'on connaît jamais celui où celle qu'on épouse? Ton futur ne te connaît pas davantage. Crois-moi, ma chère enfant; je ne vois dans le monde de mauvais mariages, que les mariages d'inclination; le hasard est encore moins aveugle que l'amour. Penserais-tu mieux connaître ton futur après l'avoir vu dix ans ; rien n'est si dissimulé que les hommes, si ce n'est peut-être les femmes. Celui qui désire, et celui qui possède, sont deux; on ne sait jamais ce qu'un amant sera le lendemain de la noce; et comment le saurait-on ? il ne le sait pas lui-même ; c'est un hasard qu'il faut courir. Ta mère et moi, par exemple, nous nous étions beaucoup vus avant de nous marier. Eh bien! elle m'a dit cent fois que je l'avais trompée ; je lui ai dit cent fois qu'elle m'avait surpris. Tout cela s'est arrangé; car il faut bien que cela s'arrange. En vérité, mon père, voilà d'étranges maximes! -Ce sont les maximes du monde, et le monde n'est pas un sot. Les petites gens ont besoin de s'aimer pour être heureux dans leur ménage; mais pourvu que les gens riches vivent décemment ensemble, leur aisance les met d'accord. Allons, ma fille, de la résolution, du courage, de la gaieté tout ira bien!

Le père sort après avoir prononcé ces mots. La fille, qui ca

che dans son sein une amoureuse faiblesse, écrit à son amant qu'on la marie malgré elle, mais que l'hymen lui rendra ce que l'usage lui ravit. Elle signe le contrat; la noce n'est pas différée, et six semaines après elle à l'art d'installer son amant dans la société. Celui qui s'en doute le moins, c'est le mari. S'il voulait en parler, on aurait une harangue toute prête pour lui démontrer qu'il n'est qu'un visionnaire.

Joailliers, bijoutiers, marchands d'étoffes, marchandes de modes, concourent à un mariage; mais il y entre aujourd'hui un artiste précieux, qui contribue plus que tous les moralistes à mettre la paix dans les ménages. Quand une demoiselle a quelque souvenir inquiétant, qu'elle touche au premier jour de ses noces, et qu'elle veut cacher le grand secret, elle ne croit pas tout-à-fait à la maxime de Salomon, quoiqu'il fût un grand clerc. La virginité a ses lignes; elle le sait mieux que Buffon. Il s'agit d'être bien avec son mari, et d'accroître sa tendresse. Elle a entendu dire qu'il y avait une résurrection. Il ne faut, dans ce monde, que croire pour être heureux; un serment n'a pas un effet rétroactif; il s'agit de promettre pour l'avenir, et de tenir si l'on peut. Les demoiselles honnêtes et timorées s'adressent au sieur Maille, lorsque le jour tombe; il vend le vinaigre qui rend la confiance à l'épousée, la joie aux époux, qui établit la concorde et la paix des familles. Ce monde est composé d'apparences; elles tiennent lieu des réalités.

Le sieur Maille n'a pas besoin de lire le calendrier pour être instruit des temps où l'église défend les mariages. Dès que le carême et l'avent prennent fin, il voit arriver les fragiles beautés, qui veulent posséder le cœur d'un époux, et le tromper un peu sur le passé, seulement pour le rendre plus fortuné. Elles ne font qu'avancer la main, prendre le vinaigre réparateur, saluer et disparaître. L'artiste ne les regarde pas; leurs grandes coiffes voilent leur demi rougeur, si elles rougissent. Un petit imprimé, vertueusement instructif, accompagne la liqueur subtilement astringente, et dispense l'artiste de parler. Les attentats du

violateur, ou les victoires de l'amant chéri, disparaissent également; c'est une vierge enfin qui, huit jours après, marche sous le chapeau virginal à l'autel de l'hyménée.

L'époux n'en doutera point. Tout est régénération devant les lois de la chimie, la félicité des époux est encore liée à cette science sublime que j'idolâtre; elle fait la gloire, le bonheur et le repos des demoiselles parisiennes. Mais celles des provinces sont loin de cet inestimable avantage; elles n'ont point à leur porte un artiste aussi recommandable que le sieur Maille. Je les plains, que de paroles artificieuses, que de mensonges frauduleux, pour remplacer une fiole qu'on peut cacher dans la main.

Demoiselles de tous les pays qui tremblez de, l'expérience d'un époux, et qui désirez assujettir son cœur, en y versant l'estime profonde, quand vous verrez sur un pot de moutarde du sieur Maille, l'union paisible des armes des trois premières puissances de l'Europe, songez que cet artiste unit de même la femme et le mari, prévient leur dissension, leur rupture; et leur ôtant les fâcheux soupçons, les craintes importunes, les reproches désespérants, consolide leur bonheur dans la pleine confiance des caresses mutuelles. Ailleurs une petite voix contrefaite est nécessaire; elle devient tout à la fois honnête et trompeuse. Ici le mari s'énivre de sa conquête, et vante son propre triomphe. L'épouse n'a pas besoin d'une voix fallacieuse pour qu'il se félicite lui-même de sa victoire. On disait à la cour, il y a quarante ans : L'honneur y recroît comme les cheveux. Oh! il y recroît bien autre chose, ainsi que dans la capitale!

Une demoiselle bien majeure proposa tout naturellement à un galant homme de lui faire un enfant, mais sans exiger qu'elle se mariât. Dès qu'elle fût grosse, elle congédia le galant. Elle eut un fils qu'elle allaita. Le père plaida pour épouser la mère, qui lui tint rigueur, et lui demanda combien il voulait pour la peine qu'il avait prise de la féconder. Il perdit son procès, dépens compensés.

LXXI.

Jeune mariée.

Cléon rencontre Damis, l'embrasse, l'étouffe et lui dit: je suis le plus heureux des hommes; j'épouse une jeune fille qui sort du couvent, et qui n'a vu, pour ainsi dire, que moi. Elle porte sur son front l'empreinte de la douceur et de la bonté. Rien de plus ingénu, de plus naïf et de plus modeste; ses yeux craignent de rencontrer les regards que sa beauté fixe sur elle. Quand elle parle, une aimable rougeur colore son visage; et cette timidité est un nouveau charme, parce que je suis sûr qu'elle naît de la pudeur, et non de la médiocrité d'esprit. Les malheurs qui affligent l'humanité la trouvent sensible, et elle ne saurait en entendre le récit sans se trouver presque mal. Qu'il est doux de lui voir répandre des larmes sur les infortunes d'autrui! Il n'y a point d'âme plus sensible, plus douce, plusaimante; elle ne vivra, elle ne respira que pour moi; elle chérira ses devoirs, et je serai le plus fortuné des maris.

Cléon épouse. Au bout de six mois Cléon rencontre le même Damis, et ne lui dit rien de sa femme : Damis apprend que cet ange marié, qui n'a plus besoin de se contraindre, a remplacé la modestie par la fierté, la timidité par la hardiesse, et que si elle rougit encore quelquefois, c'est d'orgueil ou de dépit : il apprend qu'elle a déjà son appartement séparé; qu'elle est en société avec la marquise, la baronne, la présidente; qu'elle a pris leurs maximes hautaines et dédaigneuses; qu'elle persiffle son mari, et qu'à la moindre contradiction elle s'emporte et le peint comme un jaloux, un brutal, un avare.

Elle ne se lève qu'à deux ou trois heures après midi, et se couche à six heures du matin; elle sort à cinq heures. On la cite comme enjouée et aimable dans la liberté du souper. On ne sait pas au juste quel est son amant, et c'est ce qui désespère surtout son mari. Il est réduit à souhaiter qu'elle en ait un, parce

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