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sentent pas, et ne s'occupent que de rapports puérils et misérables.

Il est impossible à Paris d'avoir justice d'un grand : il obtient sur-le-champ un arrêt du conseil, et toute instruction cesse.

Un traitant ayant lu sur une colonne l'affiche d'un livre qui portait pour titre : Traité de l'âme, demanda quel pourrait être ce traité, le seul auquel il ne fût point intéressé, le seul dont il ne connût point la nature ni le produit.

On appelait autrefois les évêques révérends, révérendissimes ; aujourd'hui on les appelle Monseigneur, et personne ne leur refuse ce titre quoiqu'on sourie un peu tout bas en le leur appliquant: rien de plus curieux que de voir deux évêques se monseigneuriser avec une gravité soutenue.

Les princesses, les duchesses sont d'un caractère plus uni, plus rond, plus facile que les marquises, les comtesses et autres femmes de qualité, en général assez impertinentes.

C'est en province que l'on affecte de prendre les manières et le ton de Paris; mais celui-ci est aisé, facile, sans gêne, et celui qu'on affecte ailleurs est lourd, pesant, uniforme.

Cléon appelle Damis son ami : c'est un homme dont il a fait la connaissance il y a vingt-quatre heures; ainsi quelqu'un disait j'ai fait cette année trois cent soixante-quatre amis; il était au trente-un Décembre.

Toutes les villes du royaume s'inquiétent de Paris, autant par jalousie que par curiosité. Paris ne s'embarrasse d'aucune ville du globe, et ne songe qu'à ce qui se passe dans son sein, et à ce qui se fait à Versailles.

On entend parler de Lyon, de Bordeaux, de Marseille, de Nantes on croit à l'opulence de ces villes, mais point à leurs amusements, à leurs plaisirs, encore moins à leur goût. Le titre d'académicien de province est un titre qui fait rire; et tel versificateur qui ne fréquente que les cafés, haussera les épaules au nom d'un homme de mérite qui lui paraîtra ridicule, uniquement parce qu'il écrit en province.

Paris veut être le centre unique des arts, des idées, des sentiments et des ouvrages de littérature; et cependant il n'est plus permis qu'aux sots auteurs d'imprimer en France.

LXIV.

S'écrire aux portes.

Le beau monde consacre quatre ou cinq heures deux ou trois fois le semaine à faire des visites. Les équipages courent toutes les rues de la ville et des faubourgs. Après bien des reculades, on s'arrête à vingt portes pour s'y faire écrire; on paraît un quart-d'heure dans une demi-douzaine de maisons; c'est le jour de la maréchale, de la présidente, de la duchesse; il faut paraître au salon, saluer, s'asseoir tour-à-tour sur le fauteuil vide, et l'on croit sérieusement pouvoir cultiver la connaissance de cent soixante à quatre-vingts personnes.

Ces allées et venues dans Paris distinguent un homme du monde; il fait tous les jours dix visites, cinq réelles et cinq en blanc; et lorsqu'il a mené cette vie ambulante et oisive, il dit avoir rempli les plus importants devoirs de la société.

En entrant dans ces différents salons on y entend les mêmes futilités; répétitions uniformes, point de franchise; toutes les opinions sont masquées, et ce n'est jamais au salon que l'on s'explique. La nouvelle du jour se recommence à chaque visite; on conte huit fois de suite la même histoire, et la politesse ordonne d'écouter tout ce que le bavard importun, qui s'est emparé de la conversation, se hasarde à dire.

Le salon s'ouvre et se ferme soixante fois; les noms entrent; les robes et les habits s'examinent, on garde le silence; on s'esquive, on remonte en voiture pour aller trouver des personnes tout aussi indifférentes, et écouter dans un nouveau cercle ce qu'on sait déjà et ce qu'on a appris sans intérêt.

Cette vie ambulante et oisive, suite du désœuvrement, annonce

le vide profond du cœur et de l'esprit, et c'est ainsi que se passe la vie des gens à équipage. Est-ce la peine d'être pourvu des avantages de la naissance et de la fortune, pour prodiguer ainsi son existence? Et ces personnes affecteront encore, du dédain pour des sociétés qu'elles ne connaissent pas : et pourquoi ? parce qu'elles dédaignent réellement les sociétés qu'elles connaissent. Quand le jour tombe dans le salon, le notaire et le gros commis disent aux valets, des bougies; les maîtres des requêtes et les présidents disent des lumières; mais les grands seigneurs et les princes disent, apportez des chandelles; et pourquoi? c'est que le roi dit toujours, des chandelles.

Je ne doute pas que, profitant de cette remarque, quelque gentillâtre ne dise bientôt en province dans son châtel démantelé, des chandelles. Et j'aurai occasionné un trait comique; tant mieux, il fera rire.

Il y a d'autres extravagances dans ces coutumes du beau monde. Un laquais va régulièrement tous les matins savoir comment se porte madame une telle; mais il est de son devoir de ne jamais rendre compte à sa maîtresse de sa mission. On s'envoie des salutations, des compliments réciproques, et l'on demeure porte à porte.

D'autres femmes ont l'affectation de s'écrire tous les jours de la vie. Ce sont des amitiés excessives, des transports; on ne saurait vivre l'une sans l'autre, on déclare son intimité sentimentale à la face de l'univers. Au bout de six mois on devient de la plus belle indifférence, et ces femmes si affolées ne se reconnaissent plus.

Depuis longtemps on ne fait plus les incommodes visites du jour de l'an; il n'y a plus que les commis de bureau qui vont offrir leurs hommages à leurs supérieurs, qui les attendent ce jour là, et les reçoivent avec toute la dignité d'un protecteur.

Ceux qui ne reçoivent pas de gages ne font aucune visite. On s'envoie réciproquement des cartes par des domestiques.

La petite poste se charge aussi des visites. Le porte-claquette

met un habit noir, l'épée au côté, et soulève le marteau des portes cochères; elles bâillent et se referment quand la carte est glissée. Rien n'est plus aisé, personne n'est visible; chacun a eu l'honnêteté de fermer sa porte. Le porte claquette prend partout le nom de celui dont il est le commettant.

On se rejette le sur lendemain dans la société, et on laisse le cordonnier et le tailleur se donner l'accolade vraie ou fausse, qui était encore familière au beau monde il y a quarante ans. Voilà comme on détruit insensiblement ces gênes futiles qui nous tyrannisaient à des époques renaissantes.

LXV.

Étiquette.

Les princes qui commandent à tout, obéissent à l'étiquette: Le philosophe sourit de cet étrange esclavage; et quand il voit les princes enchaînés eux-mêmes dans les entraves d'un vain cérémonial, il reconnait l'égalité des conditions; ces fiers mortels qui disposent de la liberté d'autrui, n'ont plus de liberté ; cette belle princesse, qu'envie tout son sexe, vit dans une gêne perpétuelle le respect les fatigue et chasse la cordialité : l'hommage n'est plus naturel; il est factice ainsi que tout le reste. Il faut vivre pour la représentation; et c'est un théâtre où les coulisses même ne permettent pas au comédien de reprendre son attitude naturelle.

L'étiquette établie dans les cours demanderait les pinceaux d'un Rabelais: mais les princes eux-mêmes ne doivent-ils pas être étonnés de suivre avec tant de ponctualité les ordres d'un être fantastique ?

Les princes, au milieu de gens faits pour les servir, attendent quelquefois patiemment que leurs souliers soient mis, parceque l'officier qui, par sa charge, a droit de chausser le pied du

prince, ne se trouve pas présent. Cette sujettion bizarre fait, des princes, des hommes asservis à des coutumes singulières.

On a vu en Espagne un sujet fidèle condamné à perdre la vie, parce qu'ayant sauvé d'un incendie une reine en chemise, il avait été obligé de la porter entre ses bras.

Manger avec un prince est une chose que l'étiquette repousse: il conversera avec vous, vous lui serez utile et agréable; mais manger sur la même nappe vous est interdit: Sa volonté expire dans le domaine borné par la circonférence d'une table.

C'est l'étiquette qui préside à la naissance d'un prince. Tous les grands officiers de la couronne sont là. C'est l'étiquette qui voudra qu'après sa mort on lui serve une table splendide, et qu'on l'interroge, à chaque instant, sur l'état de sa santé.

Les princes auraient plus de peine à se dérober aux lois de l'étiquette qu'aux lois de la constitution de l'État. Souvent le monarque s'est trouvé dans l'impossibilité de faire un voyage, d'entrer dans une maison, parce qu'il n'avait pu concilier les prétentions respectives de ses serviteurs.

Nous rions en apprenant certains usages de peuples éloignés de nous; de ce que le roi de Loango, en Afrique, par exemple, prend ses repas dans deux maisons différentes; de ce qu'il boit dans l'une, mange dans l'autre : et l'habitude nous familiarise avec ces étiquettes, dont l'asservissement est plus encore pour les princes que pour ceux qui les environnent. On dirait qu'ils sont livrés, dès le moment de leur naissance à une foule de farfadets capricieux qui arrangent tous les moments de leur vie au gré de leurs fantaisies.

Les pauvres humains vivent de tout cela; mais je suis fâché qu'on ait banni de la cour le fou du roi. De toutes les charges de la couronne c'était la plus nécessaire. Un naturel enjoué, qui avait la liberté de parler, acquérait le droit de dire une foule de choses que les rois n'entendent plus depuis qu'ils ont banni le fou, tristement remplacé par une multitude de fous titrés qui ne le valent pas.

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