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LXIII.

Légères observations.

Les Parisiens sont fort sujets à grasseyer. Il y a plus, ils ne s'aperçoivent point de ce défaut dans leurs acteurs; et quand ceux-ci ne sont pas gratifiés de cet heureux talent, ils l'acquièrent au plus vite pour mieux plaire.

Un Parisien a une peine infinie à mouiller deux ll, et ne peut jamais prononcer comme il faut : bouillon, paille, Versailles.

Les Parisiennes sont maigres, et à trente ans n'ont plus de gorge: elles sont au désespoir quand elles commencent à grossir, et boivent du vinaigre pour se conserver la taille.

On criaille dans les sociétés de province; à Paris on parle bas. On appelle madame toutes les femmes, depuis la duchesse jusqu'à la vendeuse de bouquets; et bientôt on n'appellera plus les demoiselles que madame, tant il y a de vieilles filles qui sont équivoques.

L'étranger a peine à concevoir comment il y a dans le royaume un prince et une princesse qui n'ont pas d'autre nom que celui de Monsieur et de Madame, lorsque tout le monde s'appelle ainsi. Tous les autres individus sont donc des usurpateurs de ces deux augustes titres! un poëte, fort embarrassé du protocole, a mis à la fin d'une épître dédicatoire: Je suis, Monseigneur, de Monsieur le très-humble, etc.

On donne le nom de demoiselles à toutes les filles qu'on ne tutoie pas; les demoiselles commencent à aller dans le monde sans leur mère.

L'art et le goût paraissent plutôt dans le déshabillé que dans la grande parure.

Les hommes à Paris commencent à se faner à quarante ans. Tout se prend à crédit, sans quoi le marchand ne vendrait pas. Il aime mieux s'exposer à quelques pertes, que de ne pas

vider son magasin; il vend un peu plus cher, et passe en compte tout ce qu'il a perdu.

On n'est point humilié à Paris par un Monsieur l'intendant, par son subdélégué, par le gouverneur, par le commandant de la province, etc. On ne rencontre point monsieur le président, monsieur le procureur du roi à la mine rogue et fière; les hommes y sont plus égaux qu'ailleurs.

Quatre hommes sont toujours en simarre, mais on ne les rencontre nulle part; le chancelier, le premier président, le lieutenant civil et le lieutenant criminel.

Quand on se rencontre face à face avec un prince du sang, on le regarde fixement sans le saluer, et on lui fait place par politesse: c'est un plus grand seigneur que les seigneurs ordinaires; voilà tout. Il n'est pas fâché qu'on le regarde; cela veut dire qu'on le connaît.

Les évènements les plus extraordinaires n'occupent la capitale que pendant huit jours. Les gens à talents, qui abondent, ne sont fêtés que dans un moment d'effervescence: le lendemain on passe à un autre heureux qui met à profit l'éclair de cet enthousiasme. Et quel est le suprême talent? Celui d'amuser.

Quiconque a un suisse, refuse le payement à qui bon lui semble on publie avec ostentation que l'on est ruiné.

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Y a des amis de table, qui enlèvent leurs promesses avec la nappe; quand ils vous ont régalé, ils se croient dispensés d'acquitter leurs paroles.

Les femmes ne tiennent plus en main ni l'aiguille à coudre, ni l'aiguille à tricoter; elles font du filet ou brodent au tambour.

Tout l'argent des provinces reflue dans la capitale, et presque tout l'argent de la capitale passe par les mains des courtisanes. Les jolies femmes s'associent à quelques personnes laides, afin qu'elles leur servent d'ombre.

Les meubles sont devenus le plus grand objet de luxe ou de dépense tous les six ans on change son ameublement, pour se procurer tout ce que l'élégance du jour a imaginé de plus beau.

Il faut que les lits soient superbes, que tous les appartements soient boisés avec un vernis précieux et des baguettes en or. Et le stuc est venu pour imiter les colonnes de marbre, à s'y méprendre.

On foule des tapis de trente mille livres, dont l'usage n'était autrefois que pour le marche-pied des autels.

On ne voit plus de poutres dans les maisons; ce serait une indécence affreuse. Tous les appartements sont percés pour le conduit des sonnettes; c'est une science à part telle femme sonne quand son mouchoir est tombé, afin qu'on le ramasse.

Un salon n'est pas habitable, s'il n'a seize ou vingt pieds de hauteur les bourgeois sont mieux logés que n'étaient les monarques il y a deux cents ans. Il n'y a plus de tabourets que chez le roi et la reine, les metteurs en œuvre et les cordonniers.

Le laquais d'un seigneur porte la montre d'or ciselée, des dentelles, des boucles à brillants, et entretient une petite marchande de modes.

L'honneur d'une fille est à elle; elle y regarde à deux fois : l'honneur d'une femme est à son mari; elle y regarde moins.

Je crois que l'inventaire de notre mobilier étonnerait fort un ancien, s'il revenait au monde. La langue des huissiers-priseurs, qui savent le nom de cette foule immense de superfluités, est une langue très-détaillée, très-riche, et très-inconnue au pauvre.

Les femmes ne se mêlent plus du ménage, à moins qu'elles ne soient femmes d'artisans.

Etre malade à Paris est un état; les femmes le choisissent de préférence, comme le plus intéressant.

Le ton du siècle a fort abrégé les cérémonies, et il n'y a plus guère qu'un provincial qui soit un homme cérémonieux.

De toutes les coutumes antiques et triviales, celle de saluer lorsqu'on éternue, est la seule qui subsiste encore de nos jours.

On ose presque se vanter d'avoir un bon estomac, ce qu'on n'aurait pas osé faire il y a vingt ans. Les laquais ne s'en vont plus au dessert, et restent jusqu'à la fin du repas. On ne

l'allonge plus, il est plus court; et ce n'est plus à table que l'on discourt en liberté, ni que l'on fait des contes amusants.

Je ne conseille pas à l'honnête homme qui n'a point de laquais, d'aller dîner dans une grande maison. Là, on ne boit qu'à la discrétion des domestiques. A votre modeste commandement, ils feront une pirouette sur le talon, et courront au buffet chercher à boire pour un autre. Bientôt la sécheresse du gosier vous empêchera d'élever la voix : on n'interprétera pas mieux vos regards suppliants que vos demandes. Vous sentirez le feu prendre à votre palais, et vous ne pourrez plus goûter aucun des mets qui seront sur la table. Il faudra attendre la fin du repas pour vous humecter enfin d'un grand verre d'eau. Cette méthode a été imaginée pour donner une sorte d'exclusion aux personnes qui n'ont pas de domestiques : c'est ainsi que les riches préservent leur table d'une trop grande affluence.

La plupart des femmes ne commencent à dîner qu'à l'entremets.

L'air de cour est d'avoir, comme les gens de lettres, une épaule plus élevée que l'autre.

Les hommes portent maintenant un très-gros diamant au cou, et n'en ont plus à leur montre.

Il n'y a qu'un homme absolument délaissé, qui doive passer tout l'été à Paris.

Il n'y a plus d'hommes rustiques, mais le fat est encore

commun.

Les femmes du rang le plus distingué trichent quelquefois au jeu avec une tranquille audace: elles ont en même temps l'effronterie de dire à celui dont elles ont placé l'argent sur une carte qui gagne, qu'elles n'ont pas mis. Comme cela arrive au jeu des princes, on ne peut se venger d'elles, qu'en publiant le fait le lendemain dans tout Paris. Elles font semblant d'ignorer le bruit qui court (1).

(1) Mercier n'exagère point. Voici ce qu'on lit, à la date du 18 novembre 1778, dans les Mémoires secrets : « Tout le monde a su l'événement arrivé au jeu de

Le ton des femmes de qualité est devenu extrêmement fier, tandis que le ton des seigneurs est honnête.

Les Parisiennes achètent quatre ajustements contre une chemise. On a de la toile en province, et des blondes dans la capitale.

Un ouvrage en plusieurs tomes n'est jamais lu à Paris, que quand la province et l'étranger ont décidé son mérite.

Il n'y a rien de si rare que de trouver parmi nos moines un visage de pénitent; et les jeunes gens ont un air pâle et livide qui ne vient pas toujours de la débauche, mais du peu d'exercice.

Nos pensées deviennent si subtiles, qu'elles s'exhalent de manière qu'il ne reste rien : la chimie est la science que l'on étudie le plus.

Tel journaliste est quelquefois, conformément à ses intérêts différents, le plus vil des flatteurs et le plus insolent des critiques.

Les grands, en général, ont aujourd'hui l'esprit aussi vulgaire que le peuple même : ils dédaignent comme lui ce qu'ils ne

Marly, de ce rouleau de louis faux substitué à un véritable. C'est un mousquetaire nommé Dulugues qui était l'auteur de cette fraude, il a été arrêté et enfermé: on assure qu'il avait été présenté le matin. Cette police, est, sans doute, très bien faite; mais il serait à désirer qu'on l'étendit aux duchesses, qui journellement escroquent les joueurs crédules leur confiant leur argent. Cette filouterie se pratiquait dès le temps du feu roi, qui en avait pris plusieurs en flagrant délit et les avait averties; mais comme il n'y a rien de si impudent qu'une femme de cour, au moyen de l'impunité elles continuent. Dernièrement Madame disait à messieurs de Chalabre et Poinçot, les banquiers du jeu de la reine On vous friponne bien, messieurs. Madame, nous ne nous en apercevons pas », lui répondirent-ils par décence: mais ils s'en aperçoivent très-bien et n'osent le manifester.

Et quelques pages plus loin: Les banquiers du jeu de la reine, pour obvier aux escroqueries et filouteries des femmes de la cour qui les trompent journellement, ont obtenu de S. M. qu'avant de commencer, la table serait bordée d'un ruban dans son pourtour, et que l'on ne regarderait comme engagé pour chaque coup que l'argent mis sur les cartes au delà du ruban. Cette précaution préviendra quelques friponneries, mais non celles exercées envers les pontes crédules qui confient leur argent aux duchesses, et que plusieurs nient avoir reçu lorsque leur carte gagne. »

(Nole de l'éditeur).

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