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l'ennui qui doit les accompagner le reste de leurs jours. La villageoise aimait de bonne foi avant de sceller la foi promise devant le curé rustique; et la Parisienne, recevant le riche anneau, jure, avant d'aimer, qu'elle aimera toujours.

Le festin du village offre la même différence. Où est le rire ingénu, la table dressée sur l'herbe, la joie de la parenté, le broc de vin toujours rempli, le veau entier dépecé et rôti? Où sont les danses vives et les mouvements vrais de l'allégresse? Où les vieillards paraissent-ils en cheveux blancs, essuyant leurs yeux humides de larmes de tendresse? Où lit-on l'attente du plaisir dans les regards furtifs de la jeune mariée? Où l'époux paraît-il pétulant et impatient de voir luire l'étoile du soir? Où le lendemain l'épouse un peu pâle paraît-elle confuse et heureuse, étonnée et triomphante? Ce n'est point à la ville.

Une assemblée de parents à moitié divisés, qui ne se sont pas vus depuis longtemps, qui ne se reverront guère passé ce jour cérémonieux; des vieillards qui dissimulent leur caducité; l'étalage des étoffes, des révérences compassées, des saluts mesurés, une observation maligne, des compliments froids, un maintien composé, une dignité morne et imposante: voilà comme on s'unit dans la capitale.

Il faut descendre parmi la classe des bourgeois de second ordre pour revoir quelques images des anciennes noces. Là, elles sont moins brillantes, mais il y a du mouvement et du bruit. Là, on voit des assemblées de quatre-vingts à cent personnes; et les invités, chacun à leur tour, rendent le festin aux jeunes mariés : c'est un enchaînement de repas pendant onze semaines.

Les traiteurs se plaignent tous hautement que les festins de noces deviennent de jour en jour moins fréquents, qu'on s'enfuit à la campagne pour ne point faire de banquet; ils disent que la joie tombe, que la mélancolie domine la nation, puisqu'on renonce à la bonne chère et à l'intempérance dans le jour le plus solennel de la vie, que nos aïeux célébraient tous par la plus complète ivresse que leur franchise ne redoutait pas. Les ménétriers

se plaignent aussi qu'on ne danse plus comme on faisait jadis. Vous voyez, chez ces traiteurs plaignants, des salles immenses et vides, qui n'attendent que des convives et des danseurs. Il y a place pour la table immensément longue, et pour les contredanses en rond.

Le petit peuple danse encore fort et longtemps; car il est le dernier à abandonner les coutumes joyeuses, quoique l'on cherche de toutes parts à avilir ses divertissements.

La licence des paroles règne dans toutes les noces bourgeoises. Si l'on faisait un recueil de tout ce qui s'y dit de jovial, ces plaisanteries ne seraient pas fort délicates; mais elles offriraient de l'originalité, ce que le beau monde n'a pas. Le bourgeois rit, ces jours-là, de manière à avertir tous les passants qu'il est de férie. Un homme peu fortuné, gourmand de son naturel, et qui aimait conséquemment à faire bonne chère (ce qu'on ne fait pas sans de bonnes rentes), avait trouvé un singulier expédient pour être de noce tous les jours de sa vie : habillé en noir et fort proprement, il était assidu toute la matinée à Saint-Eustache, à Saint-Paul, à Saint-Sulpice, à Saint-Roch, enfin, dans toutes les grandes paroisses; et quand il voyait un mariage dont le cortége était un peu nombreux, il se mêlait parmi la foule. Certains jours, il avait à choisir; car, à la même heure on voit souvent trois ou quatre mariages de différentes classes et dans la même église.

A l'issue de la messe commence l'indispensable festin, toujours commandé d'avance, et qui se fait ordinairement chez le traiteur. Il est d'usage que les parents de chaque conjoint se réunissent à la même table, et le plus souvent ils se voient pour la première fois. Or, les parents du mari, qui l'avaient vu à la messe, croyaient notre étranger du côté de la femme, tandis que les parents de la femme le croyaient du côté du mari. Il faisait donc grande chère dans son rôle équivoque, distribuant de part et d'autre quelques légers compliments; et vous pensez bien qu'il possédait à fond le style et les propos du jour.

Il y avait quatre ou cinq ans que ce manége durait, lorsqu'un parent, qui rencontrait notre habit noir pour la troisième fois depuis huit jours, s'avisa de lui demander de quel côté il était. Du côté de la porte, reprit-il en se levant et posant sa serviette sur la table. On en était au dessert.

Si l'hymen n'est pas cher au village, s'il en coûte peu à l'habitant de la campagne pour sanctifier ses plaisirs, il n'en est pas de même à Paris. L'épouseur se jette dans toutes les dépenses du luxe et de la représentation, pour complaire à la future et à la sotte vanité de ses parents. Huit jours après les noces, viennent le regret et les lamentations. Ce sont des mémoires de fournisseurs, qui se succèdent chaque jour; c'est le vendeur de diamants, le marchand d'étoffes, le bijoutier, le tailleur, le traiteur, la lingère, la marchande de modes, le tapissier, le miroitier, le coiffeur: et paye, pauvre mari, paye! On ne t'a pris que pour cela : as-tu cru que ta jouissance serait purement gratuite?

Aussi a-t-on fait une estampe parlante, où l'on voit la dot de l'épousée s'envoler en différents jets, et tomber dans les mains et le tablier d'une multitude de gros et petits marchands. Le mari, qui suit d'un œil triste et étonné le vol irrésistible de ses espèces, porte douloureusement la main sur des sacs vides; et pour tout dédommagement, il a à ses côtés une femme éternelle, brillante de clinquants et de colifichets.

Le premier enfant achève la confection entière de la dot; l'époux abusé prend de l'aigreur; les reproches mutuels s'élèvent, et chacun maudit au fond de son âme le mariage trompeur, et les noces dispendieuses que la vanité a commandées.

LVI.

Mariage, adultère,

L'indissolubilité du mariage fait les adultères: on ne peut délier le nœud, on le rompt. Faut-il s'en étonner? On a bâti le

même contrat pour des êtres d'ailleurs si différents dans leur physique, dans leur fortune, dans leurs emplois, dans leurs idées! Ici, la chaîne a été lâche; là, trop tendue; ici, tyrannique; là, servant de voile à la cupidité. Le soldat, le matelot, le juge, le militaire, l'écrivain, le négociant, le cultivateur, le postillon sont asservis aux mêmes usages.

Après cela, un homme qui veille sur sa femme passe pour jaloux, et on le blâme. Est-elle infidèle? on ridiculise le mari. La loi qui empêche le divorce, sans avoir égard à l'antipathie des caractères, est une loi bizarre. Elle règne à Paris; mais qu'en arrive-t-il? Vous le savez!

Le lendemain des noces bourgeoises, ou tout au plus huit jours après, quel changement s'opère dans l'esprit de l'amoureux mari! De quelle hauteur tombent les espérances de tel honnête artisan! Il croyait avoir épousé une femme économe, rangée, attentive à ses devoirs: il lui trouve tout à coup l'humeur dissipatrice; elle ne peut plus rester à la maison; elle joint la dépense à la paresse. L'inconséquence, la légèreté, la folie remplacent les occupations utiles, où elle avait été élevée dès l'enfance. Loin de fixer dans son ménage l'aisance et la paix par un sage travail, elle se livre à la frénésie des pa

rures.

Qui l'eût dit, que le mariage altérerait à ce point ses premières dispositions? Cette fille timide, craintive, occupée dans la maison paternelle, est devenue une femme exigeante, altière, qui ne songe qu'à ses propres jouissances, parce qu'elle a mis dans sa tête que tout l'entretien d'une maison, devait rouler sur le mari, tandis que le rôle de la femme était de se livrer à une vie dissipée.

Cet artisan aura beau être laborieux et économe; l'insouciance journalière de son épouse mine une maison qui s'abîme insensiblement, parce que la mère de famille a manqué de vigilance, de tendresse et d'économie. Tous les désordres sont nés du prcmier désordre; les enfants héritent de la misère de leurs pa

rents, et voilà l'histoire de la moitié des mariages qui se font à Paris dans le second ordre de la bourgeoisie.

Autrefois, l'adultère était puni de mort; aujourd'hui, celui qui parlerait de ces lois austères et antiques serait prodigieusement sifflé.

Voyez dans toutes nos comédies si l'on ne rit pas toujours aux dépens des maris: voyez les petits vers de nos poëtes légers; ils plaisantent incessamment sur le mariage avec un sel qui réjouit tout le monde. Ces gentillesses ne sont qu'une apologie perpétuelle de l'adultère: on dirait qu'on a peur que les femmes ne comprennent assez tôt que leurs charmes ne sont pas faits pour n'appartenir qu'à un seul.

Tous les arts deviennent complices de ces exhortations à l'infidélité, tous s'empressent à les confirmer dans cette idée, à achever d'éteindre tout scrupule dans leurs âmes. Nos tableaux, nos statues et nos estampes, qu'offrent-ils? Tous les tours heureux et triomphants joués au pauvre dieu d'Hymen. Nos peintures ne sont pas plus chastes que nos vers.

Mais de nos jours, ô raffinement criminel! on a été encore plus loin que l'adultère; on a corrompu l'institution la plus auguste; on s'est servi des lois même pour consacrer le libertinage et en produire les fruits avec audace. Cette dépravation, ce nouveau scandale, date de notre siècle : c'est encore un crime du luxe.

Un homme opulent est attaché à une fille, en a des enfants dont la loi ferait des bâtards. Il imagine de leur donner un nom et un rang; il ordonne qu'on lui cherche quelqu'un de noble, mais dont les adversités ont dénaturé l'âme: on le trouve, on le marchande; il est sorti d'une famille qui a un nom, mais indigente; il a été élevé dans une fierté oisive, et il n'a pas de pain. Réduit à une pareille extrémité, l'honneur n'est pour lui qu'un vain nom. On lui propose d'épouser cette fille, et d'en reconnaître les enfants: il aura une pension qu'il ira manger dans le coin d'une province éloignée.

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