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de ce vice national. Les chefs de ce spectacle sont parvenus à donner quelque perfection à la symphonie; mais plus symphonistes que musiciens, ils croient toujours que les voix sont faites pour accompagner leurs violons et leurs contre-basses. En vain le public leur crie qu'il n'entend point les paroles de leurs motets; rien ne les guérit de la manie française, qui veut que toute musique soit bruyante et confuse. On croirait qu'on ne peut remuer le cœur sans briser le tympan de l'oreille.

Que ne pourrait-on pas encore dire sur l'articulation usitée, sur la prosodie, sur la manie des petites notes, sur les vices attachés toutes les espèces d'agréments dont nos maîtres de chant font un usage si ridicule, et surtout sur le récitatif, genre de musique entièrement éloigné des règles ordinaires, et qui, mal connu, a fait déraisonner pour et contre dans tous les journaux!

LIII.

Chapeaux.

Le Parisien change avec la même facilité de système, de ridicules et de modes. La figure de nos chapeaux, comme toutes les choses humaines, a subi le sort de la variation. Les coiffures, dans les boutiques des marchands, se succèdent comme les nouvelles méthodes dans l'empire des lettres. Le chapeau haut et pointu a prévalu quelque temps, ainsi que le style académique, qui tombe enfin, et que l'on n'imite plus.

Cependant, pour tout ce qui varie, cette passion qui nous pousse à créer de nouvelles modes nous fait adopter ce que les princes imaginent en se jouant, ou par fantaisie; tantôt c'est l'invention d'une énorme paire de boucles, tantôt c'est celle d'un frac. Ainsi Alcibiade donna son nom à une sorte de souliers; et sa vanité était flattée lorsqu'il entendait dire qu'elle était de sa création.

Quelquefois des intérêts particuliers font naître une mode;

l'origine des paniers fut inventée pour dérober aux yeux du public des grossesses illégitimes, et les masquer jusqu'au dernier instant; les grandes manchettes furent introduites par des fripons qui voulaient filouter au jeu et escamoter des cartes.

Nous avons rogné insensiblement le haut bord de nos larges feutres; nous les avons ensuite rendus petits; et enfin nous avons fait disparaître ces trois cornes si incommodes. Aujourd'hui nos chapeaux sont ronds; et voilà les chapeaux à la mode.

On ne les porte plus le matin sous le bras. Ils couvrent la plus noble partie du corps, et pour laquelle ils sont faits. A-ton vu le Turc mettre le turban sous son bras, les évêques tenir leurs mitres à la main? Mettons donc constamment notre chapeau sur notre tête, pour garantir nos faibles cerveaux des rayons du soleil, et que ce précieux dôme s'oppose aux évaporations de notre cervelle. N'était-il pas ridicule de l'employer incessamment à la main à des exercices de civilité et de minauderie?

Je ne ferai point ici l'histoire des chapeaux ; je ne remonterai point aux chapeaux gras de Louis XI, qui les portait tels par saleté et par avarice; je ne parlerai point de la vertu magique concentrée dans tels chapeaux : les uns font d'un mauvais prêtre un grand seigneur, et les autres un docteur d'un idiot. On sait l'effet que produit tel chapeau fourré, mis sur la tête d'un grenadier et le diadème enfin n'est-il pas un chapeau qui produit une certaine ivresse?

J'ai vu des chapeaux, dans ma jeunesse, qui avaient de trèsgrands bords; et, quand ils étaient rabattus, ils ressemblaient à des parapluies: tantôt on releva, tantôt on rabaissa les bords. par le moyen des ganses. On leur a donné, depuis, la forme d'un bateau. Aujourd'hui, la forme ronde et nue paraît la dominante; car le chapeau est un Protée qui prend toutes les figures qu'on veut lui donner.

Demandez-le à nos femmes, qui, après tant d'essais multipliés, ont définitivement adopté le chapeau anglais, malgré leur antipathie pour l'Angleterre ; je leur conseille de s'y tenir, qu'elles

l'ornent de perles, de diamants, de plumes, de cordons, de rubans, de houppes, de boutons, de fleurs ; que les poëtes, dans leur langage, y attachent des astres et des comètes; qu'elles les portent rouges, verts, noirs, gris, jaunes; mais qu'elles gardent constamment le chapeau anglais : les laides y gagnent, et les belles aussi.

Nous n'avons donc plus ni chapeau pygmée, ni chapeau colossal: les dames avaient élevé ridiculement leurs coiffures au moment que les hommes avaient arboré les petits chapeaux; aujourd'hui que les hommes en ont augmenté et arrondi le volume, les coiffures ont prodigieusement baissé. Un poëte disait alors :

J'ai vu Chloris, j'ai vu la jeune Hélène,

De rubans de Beaulard leurs fronts étaient ornés;
Le moule étroit de la baleine

Faisait gémir leurs corps emprisonnés.

Leurs cheveux hérissés fuyaient loin de leur tête;
Un panache orgueilleux en surmontait le faîte.
Près de là j'aperçus la Vénus Médicis ;

Sa taille libre et naturelle

Déployait aisément ses contours arrondis.

Tout en elle était simple et tout charmait en elle.
J'admirai tant de grâce, et tout bas je me dis:
L'art enseigne à Chloris à devenir moins belle.

Hommes et femmes se coiffent beaucoup mieux. Si nous sommes dans une voiture, il nous est permis du moins d'enfoncer la tête dans le coin du carrosse, et nous ne risquons pas d'éborgner notre voisin avec les pointes de notre ancien triangle.

C'est toujours celui-là qu'on porte sous le bras lorsqu'on est habillé mais on ne s'habille plus qu'une ou deux fois la semaine, les jours de grandes visites. On voit les gens comme il faut, à l'heure même du spectacle, le chapeau sur la tête.

Le dernier caprice, je crois, est le meilleur; il a influé sur la couleur. Les chapeaux ne sont plus noirs; on les porte blancs, comme font les carmes et les feuillants depuis plus d'un siècle, et surtout en été; le soleil échauffe moins la tête. L'œil, qui

s'étonne d'abord, s'accoutume à tout: on porterait des chapeaux rouges et bleus, vert-pomme et lilas, qu'on s'y ferait chacun arborerait sa couleur favorite. Ce serait un nouveau coup d'œil.

On commence par condamner les nouvelles modes; chacun se récrie sur la folie changeante : au bout d'un mois, elle est adoptée par ses plus violents contradicteurs ; et tel qui la fronde aujourd'hui, prendra demain les idées qu'il avait combattues.

Puisque c'est à nous à inonder la terre de nouveaux bonnets, jouissons de notre génie inventif; plaçons nos chapeaux d'hommes sur les têtes suissesses et hollandaises. Continuons de donner toujours la loi prédominante des coiffures. Toutes les femmes ont pris nos chapeaux : il s'agit de les faire adopter définitivement à Vienne, à Berlin et à Pétersbourg. Et qui sait si nous` n'étendrons pas encore plus loin, en triomphateurs heureux, nos illustres conquêtes?

LIV.

Hauteur des panaches.

Il n'y a pas longtemps que les hautes coiffures, les plumes, panaches, etc., étaient sur toutes les têtes de femmes. Et au spectacle une rangée de femmes, placées à l'orchestre, bouchait la vue à tout un parterre; la même chose à l'amphithéâtre et dans les loges. C'était un vrai désespoir pour les spectateurs: on murmurait tout haut; mais les femmes en riaient, et la politesse parisienne se contentait de gronder, mais n'allait point au delà.

Il n'y eut qu'un seul homme, Suisse de nation et fort impatienté, qui, tirant une paire de ciscaux, fit mine, dans une loge, de vouloir couper l'excédent qui l'empêchait de voir : alors, pour s'y soustraire, la dame fut obligée de se mettre derrière et de laisser passer à sa place l'homme, qui y consentit très-bien. Ce n'est donc plus le temps où le parterre criait place aux dames! et où l'on ne pouvait être sûr d'avoir une place au spectacle tant qu'il pouvait y arriver une femme, fût-elle douairière ou borgne.

Autrefois l'on ne pouvait voir, aujourd'hui l'on ne saurait entendre; le caquet de ces femmes à panache ne discontinue pas pendant toute la pièce. On entend sortir des petites loges des voix bruyantes, des éclats de rire : c'est un babil qui oblige celui qui veut entendre d'aller ailleurs. On en fait la remarque tout haut; les causeuses l'entendent très-bien; elles se taisent et puis recommencent de plus belle trois minutes après. Elles sentent que la colère des hommes se bornera à quelque réflexion maligne et qui tournera même à leur avantage : car, pendant la petite diatribe, on les considère, et le grondeur désarmé finit par rire le premier de son accès de mauvaise humeur. Oh! les femmes, à Paris, ne redoutent, dans aucune circonstance, le courroux des hommes!

LV.

Noces.

Que celui qui a vu une noce champêtre, le couple du hameau qui s'avance vers l'église, les doigts amoureusement entrelacés, portant dans leurs regards le désir ingénu; les parents qui les suivent au même autel où ils se sont mariés; les garçons de la fête en habits du dimanche, les rubans au chapeau, le bouquet au côté; les filles en blanc corset, regardant, ce jour-là, leur amant avec plus d'assurance; et le violon un peu aigre, mais qui conduit gaiement la marche et ferme le cortége, ne s'attende point à trouver sous le superbe portique de nos temples ni la gaieté vive et franche ni le riant tableau de cette joie naïve, ouverte et abandonnée.

L'hymen ici se célèbre à grands frais on ne marche point sur la pelouse, le long des haies fleuries, pour arriver à l'autel du bonheur. On s'enferme dans des carrosses à glaces; on est chargé d'atours: les coiffeurs ont occupé toute la matinée; on s'observe tristement; le cérémonial règle tous les pas; et le couple opulent, sous des habits d'or, porte déjà sur son front

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