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conditions, se trouve un traître qui va vendre un secret important qui va donner une clarté fatale. La nation est lésée, si la foudre ne l'atteint à propos. Les formes lentes des tribunaux, d'ailleurs si étrangers à ces faits, donneraient au coupable le temps de compléter son audace avec pleine impunité.

Toutes les lettres de cachet ne sont donc pas injustes; il en est de nécessaires, même d'inévitables. Si le bien qu'elles ont produit était mis au grand jour, on jugerait de leur importante utilité dans certaines circonstances. Plus d'une fois l'autorité a purgé l'État et la société de monstres ténébreux, qui se flattaient que les lois civiles seraient impuissantes à leur égard.

Le mal, c'est qu'on les a trop employées pour des fautes indifférentes ou pardonnables, ou sur de faux aperçus. La lettre de cachet devrait être considérée comme la foudre du redoutable Jupiter, faite pour terrasser les géants ambitieux ou téméraires, pour les ensevelir en un clin d'oeil sous leurs rochers audacieux. Mais il est indigne, je crois, de la majesté de ces flèches foudroyantes, de tomber sur ces roseaux babillards, où le barbier a enfoui son souffle, pour soulager la démangeaison de sa langue intempérante.

Il est des délits d'une nature si particulière, dans une constitution monarchique, qu'elle a besoin quelquefois de cette force coercitive, prompte et terrible. Heureux, sans doute, les gouvernements dont toutes les parties sont tellement jointes, que la vigilance active de tous les citoyens supplée aux prisons d'État! Mais ces gouvernements ainsi organisés sont rares sur la face du globe.

Quand il n'y aura ni vengeance, ni surprise, ni petitesse dans la distribution des lettres de cachet; que ce tonnerre, s'élançant à propos du sein du paisible Olympe, n'aura point l'air d'une misérable fusée qui vous blesse au hasard, cette foudre des rois absolus, ce témoignage de leur grand courroux retentira avec majesté à l'oreille des citoyens. Loin de redouter ces

traits de force et de puissance, ils les regarderont comme la sauvegarde de l'État et du trône.

On ne saurait détruire, hélas! ce qui est fondu aujourd'hui et incorporé avec tout le reste. L'autorité qui s'éclaire et qui n'est plus inhumaine, rendons-lui pleinement justice, admet chaque jour des modifications; elle a senti qu'il était de sa dignité et même de son intérêt d'effacer les anciens abus. Ils tomberont insensiblement, du moins tout le promet, tout l'an

nonce.

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Le comique (car où n'est-il pas ?) se mêle au sérieux d'une lettre de cachet. La foudre qui va vous terrasser est dans la poche de l'exempt, personnage qui n'exerce pas sans plaisir ses fonctions redoutables. Il est orgueilleux en secret de la foudre qu'il porte; il se croit l'oiseau de Jupiter: mais il marche à la manière des serpents; il se glisse, vous guette, se courbe devant vous, s'approche de votre oreille, et, l'œil baissé, d'une voix flûtée, vous dit en ployant les épaules: Je suis au désespoir, monsieur; mais j'ai un ordre, monsieur, qui vous arrête, monsieur, de par le roi, monsieur. Moi, monsieur? - Vous même, monsieur. Vous balancez un instant entre la colère et l'indignation, prêt à vomir toutes les imprécations..... Vous ne voyez qu'un homme poli, révérencieux, honnête, qui s'incline, qui a la parole douce, les manières civiles. Vous seriez le plus furieux des hommes, que vous voilà tout à coup désarmé. Vous auriez des pistolets, que vous les tireriez en l'air et jamais contre l'exempt affable. Bientôt vous lui rendez ses révérences; il s'établit entre vous un combat de politesse et d'honnêteté. C'est une réciprocité de mots civils, de compliments, jusqu'à l'instant où les verroux retentissants vous séparent de l'homme poli qui va rendre compte de sa mission, et dont le métier, assez lucratif, est d'enfermer les gens avec toute la grâce, la douceur et l'urbanité possibles.

XLIX.

Tête tranchée.

C'est un phénomène, tandis que les pendus sont communs. Une tête tranchée laisse un long souvenir, et l'on en parle comme d'un événement extraordinaire. La dernière qui tomba sous le fer du bourreau fut celle du comte de Lally. Il fut décapité le 9 mai 1765, après avoir été conduit à l'échafaud dans un tombereau, lié et bâillonné. Le bourreau le manqua.

Le préjugé veut que le parent de celui que le bourreau a étranglé avec la corde soit flétri; mais quand il tue en séparant la tête du corps avec le glaive, aucune honte n'est imprimée sur le front de ceux qui tiennent au décollé par les liens du sang. Ainsi rien de plus faux parmi nous que la maxime que renferme ce vers:

Le crime fait la honte et non pas l'échafaud (1).

C'est précisémeut le contraire. L'opinion régnante est visiblement déraisonnable et injuste; elle pouvait avoir son équité lorsque les familles étaient patriarcales, et qu'on punissait, pour ainsi dire, les chefs qui n'en avaient pas surveillé les membres. Mais aujourd'hui que toute famille est hachée, que le fils à peine adulte quitte son père, que le frère est étranger à son frère, comment l'absurdité et la cruauté de ce préjugé n'ont-elles pas encore servi à le ruiner de fond en comble?

Un descendant des Montmorency, des Biron, des Marillac, comptera avec gloire les têtes tranchées dans sa maison. Les parents du comte de Horn, coupable du plus lâche assassinat,

(:) Ce vers ameux a fait naître ceux-ci, auxquels je souhaite une bonne fortune : L'échafaud n'est honteux que pour le criminel;

Quand l'innocent y monte, il devient un autel.

(Note de Mercier.)

ne seront pas déshonorés, quoique celui-ci ait été rompu vif en place de Grève sous la régence; et un marchand de drap, parce que son beau-frère qu'il n'a jamais vu se sera fait pendre, ne pourra parvenir aux petites charges distinctives de sa petite communauté!

Quoi, les grands ont su s'affranchir de ce préjugé, et ils l'imposeront encore aux petits, et les petits ne sauront pas raisonner comme les Montmorency et les Biron? Quoi, pour le crime d'un seul, diffamer toute une famille! Quoi, cette déraison ne tomberait pas devant l'exemple de nos voisins qui, se dérobant à toutes les espèces de tyrannies, ont détruit ce préjugé révoltant!

Qu'arrive-t-il parmi nous? c'est que le juge qui va prononcer l'arrêt contre un criminel s'arrête quelquefois en voyant une famille bientôt deshonorée. Les punitions ne tombent plus, pour ainsi dire, que sur des gens de la lie du peuple; les autres classes forcent l'impunité, le châtiment a perdu sa terreur, et les lois leur majesté.

On a vu sans frémir le plus monstrueux des spectacles. Des parents avertis que leur cousin serait exécuté, pour éviter la honte d'une telle mort, pénétrer dans la prison et mêler du poison aux aliments du condamné ! Cet attentat, qui offense toutes les lois divines et humaines, a été préconisé, tant le point d'honneur aveugle l'homme, et le prive des lumières naturelles! Une famille entière, qui empoisonne par orgueil un de ses membres plutôt que de laisser aux lois leur dignité et à la punition son exemple! est-il un plus grand crime contre la société ?

Tel malheureux qui monte à la potence n'aura volé qu'une petite somme; mais tel qui sera condamné à perdre la tête aura causé les plus grands maux à la patrie et à l'humanité. Le fils du premier vivra dans le déshonneur; le fils du second aura encore droit aux distinctions honorifiques. Il est ignoble d'être pendu pour un vol très-réparable; il est presque honorable d'avoir la tête tranchée pour avoir trahi son pays, délit que rien ne répare. Les hommes qui adoptent gratuitement des

idées aussi absurdes, méritent d'être dominés en tout point par le joug le plus dur et le plus assujettissant, car il ne tient qu'à l'opinion publique de se réformer elle-même. Les nobles ont dit: Nous monterons sur l'échafaud sans honte; que les roturiers aient le courage et le bon sens d'en dire autant, et le préjugé tombera.

On ne sait plus trancher les têtes, disait un ancien officier un peu chagrin, se promenant aux Tuileries. Du temps du cardinal de Richelieu, les bourreaux étaient bien plus habiles; le cimeterre brillait, frappait et passait comme l'éclair. Et comment tranchait-on alors les têtes? demanda un badaud. L'officier passant du grave au plaisant avec cette légéreté qui n'appartient qu'aux Français : Un gentilhomme, continua-t-il, condamné à mort sous Louis XIII, recommanda au bourreau de ne frapper que lorsqu'il ferait un certain signal. Il le répéta, croyant que le bourreau n'y avait pas pris garde. L'exécuteur lui dit C'est fait, monsieur, secouez-vous; et la tête tomba.

Le badaud eut une grande idée de l'habileté des bourreaux sous le règne de Louis XIII, et déplora le siècle où l'on a perdu l'habitude de bien couper les têtes.

L.

Vie d'un homme en place.

Un ministre se lève, son antichambre est déjà pleine de gens qui l'attendent: il paraît; des milliers de placets passent dans les mains embarrassées de ses deux secrétaires, qui, froids et immobiles, représentent à ses côtés. Il sort; des solliciteurs. se trouvent sur son passage, et le poursuivent jusqu'à sa voiture. I dine; des recommandations à droite et à gauche l'investissent pendant le repas, et des femmes lui parlent à l'oreille pendant le dessert. Il rentre dans son cabinet; il voit sur son bureau cent lettres qu'il faut lire; des audiences particulières le tyrannisent encore.

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