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missaire, et fit sa déposition en justice à l'ouverture de la cassette, on reconnut les effets qu'il avait réclamés.

La pauvre servante emprisonnée n'avait que ses pleurs pour défense, et pour toute réponse aux interrogatoires, disait qu'elle était innocente. On ne saurait trop accuser notre jurisprudence criminelle, quand on songe que les juges n'eurent aucun soupçon de la scélératesse de l'accusateur, et qu'ils suivirent la loi dans toute sa rigueur; rigueur excessive, et qui devrait disparaître de notre code, pour faire place à un simple châtiment qui laisserait moins de vols impunis.

La fille innocente fut condamnée à être pendue. Elle le fut mal, parce que c'était le coup d'essai du fils de l'exécuteur des hautes œuvres. Un chirurgien avait acheté le corps. Il fut porté chez lui. Voulant le soir même y porter le scalpel, il sentit un reste de chaleur; l'acier tranchant lui tomba des mains, et il prit dans son lit celle qu'il allait disséquer.

Ses soins pour la rappeler à la vie ne furent pas inutiles; il manda en même temps un ecclésiastique dont il connaissait la discrétion et l'expérience, tant pour le consulter sur cet étrange événement que pour être témoin de sa conduite.

Au moment que cette fille infortunée ouvrit les yeux, elle se crut dans l'autre monde, et apercevant la figure du prêtre, qui avait une grosse tête et une physionomie fortement prononcée (car je l'ai connu, et c'est de lui que je tiens ce fait), elle joignit les mains avec tremblement, et s'écria: Père éternel, vous savez mon innocence, ayez pitié de moi; elle ne cessa d'invoquer cet ecclésiastique, croyant voir Dieu même. On fut longtemps à lui persuader qu'elle n'était pas décédée, tant l'idée du supplice et de la mort avait frappé son imagination. Rien n'était plus touchant et plus expressif que ce cri d'une âme innocente, qui s'élevait vers celui qu'elle regardait comme son juge suprême; et au défaut de sa beauté attendrissante, ce spectacle unique était fait pour intéresser vivement l'homme sensible et l'homme observateur. Quel tableau pour un peintre!

quel récit pour un philosophe! quelle instruction pour un homme de loi !

Le procès ne fut pas soumis à une nouvelle révision, ainsi qu'on l'a imprimé dans le Journal de Paris. La servante, guérie de son effroi, revenue à la vie, ayant reconnu un homme dans celui qu'elle adorait, et qui lui fit reporter ses prières vers le seul Ètre adorable, quitta pendant la nuit la maison du chirurgien, doublement inquiet pour cette fille et pour lui. Elle alla se cacher dans un village éloigné, tremblante de rencontrer les juges, les satellites et l'affreux poteau qui poursuivaient ses regards.

L'horrible calomniateur demeura impuni, parce que son crime, manifeste aux yeux de témoins particuliers, ne l'était pas de même aux yeux des magistrats et des lois.

Le peuple eut connaissance de la résurrection de cette fille; il accabla d'injures le scélérat, auteur de cette infamie. Mais dans cette ville immense ce forfait fut bientôt oublié, et le monstre respire peut-être encore : du moins il n'a pas porté devant les hommes la peine qu'il méritait.

Un livre à faire serait le recueil de tous les innocents condamnés, pour voir les causes de l'erreur et l'éviter dans la suite. Ne se trouvera-t-il point enfin un magistrat qui s'occupera de cet ouvrage important?

XLIV.

Bastille.

Prison d'État : c'est assez la qualifier. C'est un château, dit Sainte-Foix, qui, sans étre fort, est le plus redoutable de l'Europe. Qui sait ce qui s'est fait à la Bastille, ce qu'elle renferme, ce qu'elle a renfermé? Mais comment écrira-t-on l'histoire de Louis XIII, de Louis XIV et de Louis XV, si l'on ne sait pas l'histoire de la Bastille ? Ce qu'il y a de plus intéressant, de plus

curieux, de plus singulier, s'est passé entre ses murailles. La partie la plus intéressante de notre histoire nous sera donc à jamais cachée rien ne transpire de ce gouffre, non plus que de l'abîme muet des tombeaux.

Henri IV fit garder le trésor royal à la Bastille. Louis XV y fit enfermer le dictionnaire encyclopédique.

Le duc de Guise, maître de Paris en 1588, le fut aussi de la Bastille et de l'Arsenal. Il en fit gouverneur Bussi-le-Clerc, procureur au parlement. Bussi-le-Clerc ayant investi le parlement qui refusait de délier les Français du serment de fidélité et d'obéissance, conduisit à la Bastille présidents et conseillers, tous en robes et en bonnets carrés : là, il les fit jeûner au pain et à l'eau.

O murs épais de la Bastille, qui avez reçu sous les trois derniers règnes les soupirs et les gémissements de tant de victimes, si vous pouviez parler, que vos récits terribles et fidèles démentiraient le langage timide et adulateur de l'histoire !

Auprès de la Bastille se trouve l'Arsenal, qui recèle le magasin à poudre; voisinage tout aussi terrible que la demeure.

La tour de Vincennes renferme encore des prisonniers d'État, qui paraissent devoir y finir leurs tristes jours. Qui a pu calculer au juste les lettres de cachet délivrées sous les trois derniers règnes?

On a une histoire de la Bastille en cinq volumes, qui offre quelques anecdotes particulières et bizarres, mais rien de ce qu'on souhaiterait tant d'apprendre; rien, en un mot, qui puisse porter quelque jour sur certains secrets d'État, couverts d'un voile impénétrable. Si l'on en croit l'historien, on y traitait, sous un d'Argenson, avec une rigueur inouïe et une violence tyrannique, les prisonniers déjà trop punis par la perte de leur liberté.

Le gouvernement, aujourd'hui plus doux et plus humain qu'il ne l'a jamais été depuis la mort de Henri IV, s'est beau

coup relâché sans doute de cette cruelle sévérité, et l'on n'y inflige plus de ces punitions affreuses et inutiles.

Quand un prisonnier décède à la Bastille, on l'enterre à SaintPaul, la nuit, à trois heures du matin. Au lieu de prêtres, des guichetiers portent le cercueil, et les membres de l'état-major assistent à la sépulture. Ainsi le corps n'échappe au terrible pouvoir que par la route du tombeau.

Dès qu'on parle de la Bastille à Paris, on récite soudain l'histoire du Masque de fer: chacun la fabrique à son gré, et y mêle des réflexions non moins imaginaires.

Au reste, le peuple craint plus le Châtelet que la Bastille; il ne redoute pas cette dernière prison, parce qu'elle lui est comme étrangère, n'ayant aucune des facultés qui en ouvrent les portes. Par conséquent, il ne plaint guère ceux qui y sont détenus, et le plus souvent il ignore leurs noms. Il ne témoigne aucune reconnaissance aux généreux défenseurs de sa cause. Les Parisiens aiment mieux acheter du pain pour vivre que le plus beau discours où l'on prouverait qu'ils ont droit à une vie aisée. On y mettait autrefois les écrivains pour bien peu de chose : on a reconnu que l'auteur, le livre et ses opinions en acquéraient plus de célébrité; on a laissé l'opinion de la veille s'effacer par celle du lendemain, et l'on a compris que lorsqu'on avait la force physique, il fallait peu s'inquiéter des idées politiques et morales, versatiles et changeantes par leur nature.

XLV.

Maisons de force.

Indépendamment du château de la Bastille et du château de Vincennes, affectés aux prisonniers d'État, les ministres, avec. des lettres de cachet ou par des formules particulières, vous envoient à Bicêtre et à Charenton. Ce dernier endroit est pour les insensés et pour les maniaques. Mais sous ce nom sont encore

quelques prisonniers d'État; ce sont des religieux de la Charitê qui sont les geôliers de ces prisons.

Sur les plaintes d'une famille, les jeunes libertins sont enfermés à Saint-Lazare. Les femmes (car on les enferme aussi), sont conduites aux filles de la Madeleine, à Sainte-Pélagie et à la Salpêtrière.

Ces différents emprisonnements sont nécessités quelquefois par des circonstances impérieuses; mais il serait toujours à désirer que la détention d'un citoyen ne dépendît pas d'un seul magistrat, et qu'il y eût une sorte de tribunal pour examiner quand ce grand acte d'autorité (soustrait à l'œil des lois) cesse d'être illicite.

Quelques avantages réels compensent ces formes irrégulières; et il y a, en effet, une infinité de désordres, que la marche lente et grave de nos tribunaux ne saurait ni connaître, ni arrêter, ni prévoir, ni punir. Le criminel audacieux ou subtil triompherait dans le dédale tortueux de nos lois civiles. Les lois de police, plus directes, le surveillent, le pressent et l'environnent de plus près. L'abus est à côté du bienfait, j'en conviens; mais beaucoup de violences particulières et de délits bas et honteux sont réprimés par cette force vigilante et active, qui devrait néanmoins publier son code et le soumettre à l'inspection des citoyens éclairés.

Les inspecteurs de police, hommes nouveaux dans notre législation, sont beaucoup écoutés du lieutenant de police, surtout dans les cas particuliers et obscurs; mais leurs rapports peuvent être fautifs, exagérés, passionnés. La première impression demeure dans l'esprit du magistrat, qui, vu ses occupations trop étendues, ne saurait donner à chaque objet qu'un rapide coup d'œil.

Les inspecteurs de police, qui occasionnent un grand nombre de détentions, ne devraient être qu'investigateurs des délits et captateurs mais, faute d'une procédure exacte, ils deviennent juges, pour ainsi dire, puisque c'est sur leur simple déposition

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