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seigne de la procession, Tire-à-Toi; tandis qu'à l'Opéra, les noms les plus harmonieux des saintes du calendrier sont élégamment choisis pour distinguer les superbes courtisanes; mais le métier n'est-il pas le même? Toutes ne reçoivent-elles pas également les offrandes volontaires du libertinage.

On a vu l'apologie du publicisme des femmes dans le Journal de Paris, cette apologie était là bien déplacée. Il n'était pas besoin de renforcer cette pente, et il est des tolérances publiques qu'il ne faut point du moins avouer publiquement; Sixte-Quint fit une guerre violente au publicisme des femmes. C'était un grand politique. Je pense que le gouvernement sera forcé, avant peu, de donner une attention sérieuse, moins au désordre qu'au scandale; il pourrait mettre à profit plusieurs idées saines, répandues dans le Pornographe, ouvrage de M. Rétif de la Bretonne, qui a enseigné l'art d'ôter au vice ce qu'il a de plus redoutable, son effronterie. Dès qu'il sera voilé, il n'offensera plus l'ordre public. Dans les mains d'un habile législateur, le bien · sort du mal, et voilà le grand secret de la politique.

La police ne permet pas à ces créatures d'ajouter l'adresse à l'impudence, et de se payer par leurs mains sur les effets et bijoux qu'elles peuvent surprendre à l'ivresse de la débauche, ou à la négligence de leurs dupes; les montres, les tabatières, les portefeuilles ne leur appartiennent pas plus qu'aux fiacres, lorsqu'on les oublie dans leurs voitures. Il faut qu'elles restituent ces effets; car c'est assez de manquer à la pudeur sans offenser encore la probité. Elles sont poursuivies lorsqu'elles volent ou qu'elles escamotent, et sont forcées de lâcher sur-le-champ leur proie.

On n'affiche point qu'on a été volé de sa montre ou de sa tabatière dans un mauvais lieu: on affiche décemment qu'on l'a perdue, et l'on promet une récompense honnête; et quoi de plus honnête que de rapporter un bijou du centre d'un mauvais lieu! Ainsi il y a combat d'honnêteté, et ce qui est honnête devient utile, comme l'a tant dit Cicéron; car on paye la fille

pour la montre volée. Alors elle est à l'abri de toutes poursuites: on suppose que le propriétaire l'a laissée tomber dans un moment inattentif, et la fille n'est point censée une escroque, terme qui devient une injure même pour une prostituée.

La vigilance des orfévres sert très-bien la police à cet égard; ils ont le coup d'œil exercé à reconnaître les bijoux volés : les prix qu'y met le vendeur, sa tournure, son maintien, tout les éclaire, et comme ils tiennent registres de tout ce qu'ils achètent, il est facile par eux de remonter jusqu'à la source du délit, et de reconnaître la première main, qui a usé d'une subtile adresse.

J'ai l'honneur de connaître le confesseur des galériens, des filles de la Salpétrière et des marmotes des boulevards. Je vous réponds que la conscience de telle marquise l'embarrasserait plus que toutes ces consciences-là. Ces pécheurs grossiers ne déguisent point ce qu'ils ont fait; on n'a pas besoin de les interroger pour tirer la vérité du fond de leur âme coupable et franche. Ils ont obéi à leurs passions brutales, et leur confession roule d'elle-même; ils se repentent autant qu'ils peuvent se repentir; ils veulent avoir l'absolution, parce qu'ils ne se confessent que pour cela. Le confesseur des galériens et des marmottes ne subdivise donc point un cas de conscience, comme s'il avait à ses genoux une jeune carmélite. Il gronde et il absout. Il retrouve le même péché au bout de six mois; il gronde encore, mais il absout toujours: s'il refusait l'absolution, il verrait tous ces pécheurs désordonnés aller chercher un autre pénitencier, qui aurait appris que les galériens, les filles de la Salpêtrière et les marmottes des boulevards marchent sur une pente insurmontable: il leur faut décidément l'absolution, parce qu'ils mettent tout dans l'aveu qu'ils font au confessionnal, pénitence, repentir, réparation, changement de vie.

O légers moralistes! vous ne connaissez pas les hommes. Vous n'avez point confessé les galériens et les filles de la Salpêtrière, ils se confessent sans détours, et avec la même aisance

qu'ils ont commis le péché. Ils sont plus criminels que vicieux.

Est-ce qu'il en coûterait moins de révéler un crime qu'un vice. Les gens vicieux se confessent mal, et ceux qui ont tous les défauts ne se confessent point du tout. Voilà pourquoi ils ridiculisent encore la confession.

XXXII.

Courtisannes.

On appelle de ce nom celles qui, toujours couvertes de diamants, mettent leurs faveurs à la plus haute enchère, sans avoir quelquefois plus de beauté que l'indigente qui se vend à bas prix. Mais le caprice, le sort, le manége, un peu d'art ou d'esprit mettent une énorme distance entre des femmes qui n'ont que le même but.

Depuis l'altière Laïs qui vole à Longchamps dans un brillant équipage (que sans sa présence licencieuse on attribuerait à une jeune duchesse), jusqu'à la raccrocheuse qui se morfond le soir au coin d'une borne, quelle hiérarchie dans le même métier ! Que de distinctions, de nuances, de noms divers, et ce pour exprimer néanmoins une seule et même chose! Cent mille livres par an, ou une pièce d'argent ou de monnaie pour un quart d'heure, causent ces dénominations qui ne marquent que les échelles du vice ou de la profonde indigence.

On peut placer les courtisanes entre les femmes décemment entretenues et les filles publiques. Un auteur les a très-bien définies. « On les prendrait, dit-il, pour les femmes des courti<< sans; elles ont effectivement tous les mêmes vices, emploient << les mêmes ruses et les mêmes moyens, font un métier aussi « désagréable, ont autant de fatigues, sont aussi insatiables; en <«< un mot, leur ressemblent beaucoup plus que les femelles de «< certaines espèces ne ressemblent à leurs mâles. »

XXXIII.

Filles entretenues.

Au-dessous des courtisanes par le rang, elles sont moins dépravées. Elles ont un amant qui paye, dont elles se moquent, qu'elles rongent et dévorent, et un autre à leur tour, qu'elles payent, et pour lequel elles font mille folies.

Ou ces femmes deviennent insensibles, ou elles aiment jusqu'à la fureur. Alors elles payent à l'amour le tribut d'un cœur délicat. Sur le retour elles ont la rage de se marier. Ceux qui préfèrent la fortune à l'honneur les épousent et s'avilissent. Ces épouseurs sont ordinairement un petit violon, un médiocre peintre, un mince architecte.

On ne dit point en Perse (selon le marquis d'Argens) la Zaïde, la Fatime; mais la cinquante tomans, la vingt tomans. (Un toman vaut quinze écus de notre monnaie.) De même, ajoute-t-il, aux noms de nos filles entretenues on devrait substituer ceux de la cent louis, la cinquante louis, la dix louis, etc. le tout pour l'utilité publique et l'instruction des étrangers, qui payent fort souvent à un prix excessif ce qui est à très-bon marché pour tout le monde.

XXXIV.

Matrones.

Terme reçu qu'on a substitué à un mot moins honnête. Il y a des matrones de plusieurs sortes. Les filles entretenues du plus haut rang ont leurs matrones qui les accompagnent partout. C'est une dame de compagnie pour les actrices renommées, ainsi que pour les danseuses; c'est une nourrice et une entrepreneuse pour les filles pauvres ou pour ces beautés vaga

bondes qui vont de spectacle en spectacle chercher des aventures, c'est-à-dire des soupers.

Les matrones n'ont plus besoin de mettre en jeu l'art de la séduction; la licence des mœurs modernes, le goût du libertinage et la pauvreté, mauvaise conseillère, conduisent tout naturellement une infinité de filles chez elles.

Les matrones, dites apareilleuses, font des avances à toutes les jolies grisettes qu'elles aperçoivent. Elles tiennent une sorte de pension plus ou moins nombreuse, et c'est dans leurs maisons que se rendent sourdement les petites bourgeoises et filles de boutique de toute espèce, qui, pour avoir des robes et soutenir leur parure, vont passer la soirée chez les matrones.

L'étendue de Paris fait qu'elles dérobent l'irrégularité de leur conduite à leurs parents et tuteurs; elles paraissent chastes et honnêtes, et n'en ont que l'apparence. Des femmes qui conservent dans le monde tous les dehors de la décence se rendent aussi dans ces maisons, où le libertinage est fort à son aise.

D'autres matrones distribuent des adresses, n'appellent les filles qu'au besoin, et les colportent en fiacre le matin chez les vieux garçons, les hypocondres, les goutteux, les ennuyés et les jeunes gens blasés.

L'expérience leur ayant appris à deviner les caprices et les fantaisies des hommes, elles font jouer toutes sorte de rôles à leurs filles. La marchande de modes devient une petite villageoise nouvellement débarquée; l'ouvrière en linge est une timide provinciale toute neuve, qui a fui la cruauté insigne d'une belle-mère impérieuse. Le langage répond à l'habillement. Comme nos plaisirs dépendent beaucoup de l'imagination, les hommes trompés n'en sont pas moins satisfaits.

Viennent ensuite les matrones qui ont entrepris un sérail en grand. Vous y verrez ensemble ou tour à tour la façonnée, l'artificielle, la niaise, l'alerte, l'éveillée, l'achalandée, l'émérillonnée, l'éventée, la superbe, la follette, la fringante, l'attiffée, la pimpante. Toutes les nuances sont là: la mignonne, la grasse, la

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