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les planchettes verticales clouées contre les traverses qui relient les pieux. Ce dernier sens s'accorderait assez bien avec celui de statua. Le sens d'éclat de bois que étava prend dans le Bas-Valais pourrait s'expliquer par un ancien usage de se servir d'éclats de bois pour clôturer. Aucune difficulté phonétique, le v naît de l'u, comme dans vidua > véva.

15. Frib. tyin, s. m., « culot ».

Le mot tyin s'applique en Gruyère au dernier d'une nichée d'oiseaux, d'une ventrée de cochons, au cadet d'une famille, au dernier reçu dans une compagnie. On le retrouve dans les Alpes vaudoises, avec les mêmes sens, auxquels il faut ajouter celui de petit doigt << petit doigt » (kun, Rossinières). Cette dernière acception, qui figure déjà dans le Glossaire de Bridel, sous kin, rend certaine l'étymologie de quintus qu'on lit à la fin de cet article. Le petit doigt étant le plus faible a donné son nom d'ordre au dernier-né d'une nichée. Les autres significations s'en sont déduites aisément. La phonétique n'a rien à opposer à ce raisonnement.

16. Val. aɣlənā, « soigner le bétail le soir ».

=

De *adcœnare; le sens primitif était celui de « donner le repas du soir ». Le c latin devant e, i aboutit à / dans la vallée de Bagnes1, par exemple, cfr. Xlin cinq, lira = cire, etc. Cana se prononce donc lin-na et signifie 1o repas du soir, surtout en parlant des bêtes, pour l'homme, le terme est de moins en moins usité, 2o le lieu où ce repas est donné, l'endroit où l'on mène pâturer le bétail le soir, 3° le temps employé à ce repas. Comparez adɔnā (*addisjejunare) << nourrir le bétail le matin ».

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».

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17. Français pop. déquepiller, « débarrasser » Expression propre au parler provincial de Neuchâtel et de Berne. On entend dire: « On l'a fait déquepiller de la place;

1 Dans d'autres parties du Valais, le mot existe sous d'autres formes.

= dila

il faut déquepiller les mulots, les taupes; déquepille-toi d'ici, vilain merle; il a bientôt eu déquepillé son héritage pidé, dépensé follement ». Nous avons aussi le substantif déquepille, par ex. dans l'exclamation: « quel rude déquepille » = quel bon débarras! Le patois du Val-de-Ruz possède le verbe dèkplyi, ancêtre du terme français, dans le sens indiqué, ainsi que le substantif dèkpily', m. Le mot n'est pas rare dans les anciens documents neuchâtelois, où il a généralement la forme décupiller. Ex.: la femme dud. mons' Claude luy dict: Je veulx estre decupillée de mon mary (Procédure de 1568). Descupillera tous les vieux bâtiments qu'il faut oster pour remettre celuy cy en sa place (Chaux-de-Fonds, 1660). Le mot réapparaît dans le canton de Fribourg, mais avec un tout autre sens: dèkupilyī, « enlever les cupules des noisettes », etc., qui est dérivé de kupilya, involucre et cupule des glands, noisettes, etc. En Valais (Charrat) dèkòpèyi signifie débarrasser un vase. un panier de son contenu. Voir aussi, pour le vaudois, Bulletin, II. p. 20, no 47. Je n'hésite pas à identifier ces mots: débarrasser un fruit de ses cupules a pris le sens plus large de < débarrasser de n'importe quelle chose gênante ». L'étymologie serait dans ce cas dis+ cuppicula, ce dernier diminutif de cuppa, les cupules formant une espèce de petite coupe soudée à la base du fruit et l'entourant1.

Les fortes variations de signification qui peuvent se produire d'un de nos cantons à l'autre, prouvent combien nos connaissances sont fragmentaires et combien toutes nos investigations étymologiques sont livrées aux hasards d'une tradition mal connue et souvent interrompue.

L. GAUCHAT.

1 D'après déquepiller, on a créé enquepiller, prononcé aussi aquepiller ou équepiller, embarrasser, gêner. On dit au Val-de-Ruz: è zά èkplyłe de-z èfan d son frār, il a eu à sa charge les enfants de son frère. De ce verbe est tiré aquepille, embarras.

GENEVOIS OU GENEVOIS?

On sait que ces deux variantes du nom des habitants de Genève existent concurremment, la première étant seule usitée à Genève et dans les régions avoisinantes, tandis que les écrivains français se servent de préférence de la seconde. Un de nos compatriotes qui professe le français aux Etats-Unis, M. Albert Schinz, vient de consacrer à la question de savoir laquelle de ces deux formes doit être adoptée une étude qui ne saurait nous laisser indifférents1. L'auteur conclut (p. 300) que « L'ignorance des principes phonétiques de la langue. française seule peut laisser subsister le moderne Genevois. » Voilà une condamnation catégorique et qui surprendra probablement bien des Suisses romands. Est-elle sans appel et ne nous reste-t il qu'à abjurer au plus vite nos erreurs passées? Nous ne le pensons pas. M. Clédat, professeur à l'Université de Lyon et directeur de la Revue de philologie française, a

↑ Autour d'un accent, dans la Revue de philologie française et de littérature, t. XXII (1908), p. 291-301. Aux renseignements de fait qu'il donne sur l'emploi des deux formes, M. Schinz aurait pu ajouter que Littré, dans le Supplément du Dictionnaire, écrit genevois et s'appuie pour cette orthographe sur le Complément du Dictionnaire de l'Académie de 1842. Mais il fait observer que l'usage est différent à Genève. Le Dictionnaire phonétique de la langue française, par Michaelis et Passy (Hanovre, 1897), ne donne pas genevois; en revanche, à côté de genevois, il enregistre une prononciation genevois, qui est aussi attestée, et même placée avant les deux autres, dans le grand dictionnaire françaisallemand de Sachs-Villatte. C'est évidemment une dérivation analogique récente, créée par des personnes qui ignorent les formes traditionnelles. Le Dictionnaire de Trévoux (Nancy, 1734) écrit genevois et ne mentionne que pour les condamner les variantes génevois et génois, qui ne se disent plus, «à moins que ce ne soit en quelque province ».

déjà fait suivre de réserves l'article de son collaborateur, et admet que genevois «semble bien être la forme régulière de l'adjectif. »

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Nous ne suivrons pas M. Schinz dans l'établissement laborieux des principes phonétiques sur lesquels il prétend appuyer sa thèse. Ses déductions manquent trop de base historique pour être concluantes. A notre avis, le problème se réduit à ceci : Etant donné le mot Genavensis, attesté dès l'époque latine (civitas Genavensium, pagus Genavensis), qu'at-il dû devenir en français par l'application des lois phonétiques qui régissent le développement de notre langue? Or n'importe quel manuel de grammaire historique nous dira qu'un e protonique initial devient dans la règle e sourd (que nous notons par ǝ; M. Schinz l'appelle semi-muet) et que l'a de la seconde syllabe, en vertu de la loi dite de Darmesteter, aboutit également à 2. Genevois est donc le produit tout à fait régulier de Genavensis, et cette forme a dû être jadis la seule employée partout. Genevois n'est cependant pas une déformation isolée et purement accidentelle, et nous ne saurions l'attribuer avec M. Clédat à une simple « fausse lecture ». Il est incontestable qu'il y a dans la langue moderne une tendance marquée à remplacer l'ancien e sourd par e accentué en syllabe initiale, et surtout lorsque la syllabe suivante renferme aussi ǝ. C'est ainsi que des mots comme prévôt, pépin, quérir, férir, chéneau, génisse, désirer, chènevière, chènevis, et quantité d'autres, étaient anciennement prevôt, pepin, querir, etc., avec e sourd. Mais c'est là une simple tendance, qui, dans nombre de cas, n'a pas triomphé ou n'a triomphé qu'à une époque toute récente1. On trouvera dans l'ouvrage de Thurot, De la

1 M. Schinz s'est appliqué à représenter comme absolu le principe suivant lequel deux syllabes consécutives ne peuvent contenir un e sourd en français. Ne pouvant cependant pas éliminer des exceptions aussi gênantes que devenir, recevoir, relever, et autres composés avec re-, il s'efforce d'en affaiblir la portée par des considérations où se fait cruellement sentir le manque de connaissance du développement historique. S'il récuse Geneviève comme exception, parce que c'est un nom

prononciation française depuis le xvr siècle, t. I, p. 121-142, d'abondants détails sur ces modifications, ainsi que sur les hésitations qui en sont résultées et qui, pour quelques mots, durent encore aujourd'hui.

Le parler de la Suisse romande s'est montré en général plus conservateur à cet égard que la langue de Paris. Il n'a pas seulement maintenu genevois, mais il connaît encore genisse, pepin (pépin n'est devenu officiel qu'en 1878), chenevière, chenevis (abandonné par l'Académie seulement en 1835), cheneau, etc. Pour les mots qui font partie de la langue commune et sur lesquels l'Académie s'est prononcée, nous ne songeons naturellement pas à défendre la forme sans accent, qui n'est plus qu'un archaïsme provincial. Mais le cas de genevois est différent. Il s'agit d'un dérivé de nom de lieu, et l'usage local indigène est ici bien autrement important que l'emploi occasionnel et restreint qui a pu se développer ailleurs, fût-ce même à Paris. Comme, au surplus, nous avons montré que genevois est parfaitement normal et correct au point de vue de la phonétique française, nous ne voyons vraiment pas pourquoi les milliers d'individus qui emploient journellement cette forme devraient l'abandonner pour y substituer une altération postérieure plus ou moins récente, qu'aucune autorité décisive n'a consacrée. Bien loin donc d'accepter les conclusions de M. Schinz, nous sommes au contraire d'avis qu'il est du devoir de tous les Genevois et de tous les Suisses romands de maintenir énergiquement, dans l'écriture comme dans la prononciation, la bonne forme traditionnelle genevois, et d'aider ainsi à son adoption générale en France, où elle compte déjà des partisans tels que MM. Lemaître et Lanson et de puissants auxiliaires comme les dictionnaires Larousse.

Quant au développement du nom même de Genève, dont

propre, il sera permis de lui signaler encore chevelure, échevelė, ensevelir. Est-il besoin d'ajouter que « l'euphonie de la langue française », cette grande ressource des grammairiens à court d'explications précises, n'a rien à voir dans la question?

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