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dons (et du Carnaval) sont quelques feux de joie allumés encore çà et là, le plus régulièrement dans le Jura bernois, l'habitude de se régaler de merveilles en ce temps et la coutume des alouilles dans le canton de Genève. Au XVe siècle on abolit d'abord les feux et les flambeaux dans les villes, puis on les interdit formellement dans tout le canton de Vaud (1538). On craignait les incendies, mais le zèle religieux des protestants n'était pas pour peu de chose dans cette suppression. D'après le Mémorial de Frib., un ministre bernois déclara en 1536 hérétiques ceux qui prenaient part à ces réjouis. sances. Dans le canton de Fribourg, les feux ne furent supprimés que vers le commencement du dix-neuvième siècle.

Bibliographie. Travail d'ensemble de M. E. Hoffmann-Krayer: Die Fastnachtsgebräuche in der Schweiz, dans Arch. s. trad. pop., I, et dans le Dict. géogr. de la Suisse, V, p. 41 ss. Suisse rom. Bridel. Cons. suisse, X, p. 169, 171, 172; Mém. de Frib., III, p. 78-80; C. V., 1880, no 23; 1892, n° 7; 1894, n° 47; 1903, no 11; 1905, n° 10; Arch. s. trad. pop., I, p. 100; II, p. 14; IV, p. 134; VI, p. 92 ss.; VII, p. 161, 179; Jura du Dim., I, p. 12; L'Eveil, 6 et 10 mars 1897.

COMMENT ON NOMME LE FROMAGE DANS NOS PATOIS

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En consultant la carte N° 613 de l'Atlas linguistique de la France, on s'aperçoit que l'appellation fromage a plusieurs concurrents dans la Suisse romande. Laissons tout à fait de côté le second fromage ou sérac. Pour le fromage proprement dit, la carte indique encore les expressions tomme et mòta1. Mais, outre le terme général que l'Atlas cherche à

1 L'ò est bref, non long, comme on pourrait le croire d'après la notation de M. Edmont.

reproduire, il existe chez nous un grand nombre de noms donnés à certaines espèces de fromages, et dont quelques-uns sont aussi usités, occasionnellement, dans un sens plus large. L'abondance de nos vocables est même étonnante. L'industrie laitière est une des principales ressources d'une partie de notre population, le fromage l'un de ses meilleurs aliments, mais on ne soupçonnerait pourtant pas qu'on ait jusqu'à 24 termes pour le désigner.

Remarquons d'abord que le mot latin CASEUS, son représentant le plus répandu dans les pays romans, et bien au delà 2, a laissé très peu de traces. On trouve dans la partie orientale du Valais romand le mot tséjyóra pour l'endroit où on fait le fromage, mais le produit lui-même n'est plus appelé de ce nom, au moins sous une forme indigène. Nous n'avons que des néologismes plus ou moins récents. On pouvait se placer à différents points de vue pour le dénommer. C'est ce que je me propose d'étudier sommairement.

I. Le fromage envisagé comme produit: 1° fruit3, mot usité comme terme général dans les cantons de Fribourg, Vaud (Alpes) et dans le Bas-Valais. Les formes patoises de cette expression poétique varient: fra, froui, etc.; 2° arpyézo, s. m. (Valais: Mage, Vernamiège), tiré du verbe *alpidiare au moyen du suffixe -ATICUM. Le mot a signifié autrefois la redevance en beurre et en fromage qu'une montagne devait à son seigneur.

II. Comme nourriture: 3° yinda (Lavaux, Voc. de Dumur, Champéry, Valais), yéda (Vionnaz, Bas-Valais), yèna (Rossinière, Alpes vaudoises). Le mot signifiait une fois : nourriture

Les sujets interrogés ont souvent fourni des termes spéciaux à côté ou à la place du terme général.

2 Caseus a envahi de bonne heure les pays de langues germaniques. 3 C'est de là que vient l'expression fruitier, fruitière, pour fromager, fromagerie ou laiterie communale. Ces dérivés sont très répandus dans nos cantons, tandis que le mot simple fruit fromage est resté local. Le fruitier représente du reste le fromager de profession, dont l'apparition n'est pas ancienne. La Gruyère paraît avoir fourni le modèle de l'institution de la fruitière, et le mot en même temps.

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en général; Dumur le définit comme « viande, fromage, toute substance animalisée (?) qu'on mange avec le pain. » Bridel, sous ienna, ieinda, dit : « petit fromage maigre, pitance ». Dans un exemplaire du même ouvrage, annoté par L. Croisier, nous trouvons: « ienda, pain et fromage Ollon. A Champéry, on a encore la locution: alā a la yinda = mendier 1. C'est du reste le même mot que le français viande qui signi fiait en vieux français tout aliment qui entretient la vie ». Au seizième siècle encore, Rabelais parle des champignons comme de << viande des dieux », et Olivier de Serres règle la manière de distribuer la viande (c'est-à-dire des grains) aux pigeons. Le mot a passé tôt au Midi, où viando, selon Mistral, signifie vivres, fruits de la terre, récoltes, viande; puis biens, aisance, et enfin hardes, nippes. En italien, vivanda, tiré du français (avant la disparition du v intervocalique ?), est synonyme de pietanza; en espagnol, vivienda (remontant directement au latin populaire) a le sens de manière de vivre, habitation, hôtel. Dans nos patois, le mot ne signifie jamais viande, idée rendue par l'ancienne expression latine CARO, chair; le sens de fromage représente un rétrécissement de signification: nourriture → fromage, bien explicable dans un pays où l'on mange peu de viande. C'est à Paris, paraît-il, que s'opéra l'évolution sémantique: nourriture chair, grâce à la prédominance de cet aliment. On ne serait pas étonné de rencontrer des patois où viande signifierait pain ou poisson2, selon les ressources du pays.

Aucun doute que notre yinda ne remonte directement au latin VI(V)ENDA, s. neutre pluriel. Le deuxième est tombé par dissimilation, comme en français, et devient régulière

ment y, comp. VIATICUM → yādzo, VI(D)UTUM -➤ yu, VIOLITTA

1 M. Gilliéron, Patois de Vionnaz, p. 182, ajoute à la traduction par fromage: « c'est aussi le repas qu'on prend à 4 heures de l'après-midi consistant en pain et fromage ».

2 Dans un dialecte sarde, le mot signifie « minestra di farina », voir Arch. gloss. it., XV, p. 486.

→ yolèta, etc.; les exemples ne manquent pas. La fonction de la terminaison gérondive est inusitée, comme l'avait déjà observé Diez. Je m'explique l'origine du substantif neutre de la façon suivante: on aura parlé d'abord de ce qui est nécessaire, AD VIVENDUM, puis de VIVENDUM tout court. L'étymologie VITANDA, « ce qu'il faut éviter 2 », donc la chair, en temps de carême, par exemple, est inacceptable 3, car: 1o elle ne rend compte que du sens auquel est venu aboutir le français moderne, 2o nos formes patoises démontrent que la base contenait la nasale EN, non AN 4. La forme italienne vidanda, qui apparaît rarement à côté de vivanda, s'explique comme padiglione-paviglione. Le développement VITA →

nourriture, assez fréquent dans les patois, est un fort appui sémantique. L'évolution VI(V)ENDA -➤ viande est généralement citée comme parallèle de celle de HABE(B)AM - *avea, que postulent les langues romanes. Comme on le voit, l'exemple est irréprochable.

La variante patoise yèna, de Rossinière, offre la réduction. très curieuse dans nos contrées de nd à n; mais c'est sans aucun doute le même mot que yinda; Bridel l'avait reconnu instinctivement en réunissant les formes ienna et ieinda, et le vieux vocabulaire du doyen Henchoz (inédit) définit yèna comme « petit fromage maigre considéré sous le rapport de l'alimentation. »

III. Le nom est tiré de l'un des stades de la fabrication du fromage: 4° pré, petit fromage (Champéry), fromage tendre, à

Une des gloses de Reichenau traduit cibaria par cibus vivendi. Vivanda, « nourriture », se rencontre déjà dans les capitulaires des rois francs, en 803.

* Proposée par M. Körting, Lat. rom. Wörterbuch, No 10 266. L'auteur a l'air de vouloir la retirer dans la 3e édition.

3 On est surpris de voir M. Pieri l'adopter dans son intéressante étude des fonctions gérondives: Il tipo morfologico di volandola, Zeitschr. f. rom. Phil., XXVII.

Il est vrai que CANTANDO se transforme dans nos patois en *cantendo, de sorte que le verbe VITARE, s'il avait existé chez nous, aurait pu avoir un gérondif *vitendus.

pâte molle, fabriqué à la maison, ou avec une petite quantité de lait (Leysin, Vérossaz en Valais). Du latin PRESSUM, ce qui désigne l'état du caillé au moment où il devient compact, prêt à être retiré de la chaudière. L'opération suivante consiste, dans les chalets, à mettre la masse caséeuse dans la presse où elle reçoit sa forme. Dans la fabrication domestique, la forme peut être donnée au moyen de vases de différentes dimensions1. De là le nom de fromage, FORMATICUM, qui est devenu le terme courant dans la plus grande partie de la Gaule romane et qui a même pénétré en Italie: formaggio. Il s'est surtout répandu dans les cantons romands où la fabrication du fromage est restreinte: Berne, Neuchâtel, Gros-de-Vaud, Genève. L'extension du terme correspond probablement à un perfectionnement du façonnage de la matière caséeuse (à l'invention de la presse à fromage, très primitive encore dans la plupart des chalets?) Fromage a dû désigner à l'origine l'opé ration elle-même, le fromage était le formé. Et, en effet, nous rencontrons encore l'expression: 6o lɔ froumā dans la Vallée de Joux (Le Chenit). En Valais, fromage s'emploie plutôt pour la grosse pièce de fromage que pour la nourriture. Le verbe fromadji a conservé, dans le même canton, des acceptions très diverses, sans rapport avec le sujet de cette étude3. A Genève, on appelle: 7° rablyoon un petit fromage gras de forme ronde. Le terme et la chose sont d'importation savoyarde 5. Le verbe rablyodi doit avoir en Savoie (il n'est pas enregistré par le Dictionnaire de Constantin et Désormaux), comme en Valais, le sens de faire sortir par une nou

1 Voir l'étude instructive de M. Luchsinger: Das Molkereigerät in den romanischen Alpendialekten der Schweiz, Arch. s. d. trad, pop., IX, avec de nombreuses illustrations.

2 Autrefois aussi en Allemagne, voir Kluge, Etym. Wörterb., sous Käse. 3 Le diminutif fromaget désigne un petit fromage, usité surtout dans le Jura bernois.

En français populaire, reblochon, reblosson, reblaichon. Les ouvriers genevois, qui l'estiment beaucoup, l'appellent aussi « poulet d'horSpécialité des vallées de Thônes et du Grand-Bornand.

loger ».

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