Page images
PDF
EPUB

souv., p. 124) et le C. V., 1892, no 7; mais il doit reposer sur une fausse lecture, comp. l'ordonnance du Conseil de Lausanne de 1454: « utile esse quod falie que portantur per villam cassentur » (Mém. doc. S. r., XXXV, p. 176). Failles est aussi la forme employée par Bonivard. Il dit, parlant des premières assemblées de Huguenots, en 1518: « Soubz couleur de faire guet, l'on s'assembloit à belles torches et fallotz et faisoit-on des banquetz tour à tour et chescun le sien et faisoit-on ardre ung brandon, comme l'on a de coustume la première dimenche de caresme, lesquelz brandons s'appelloient failles, jouxte la langue savoysienne » (cité d'après Blavignac, Emprô, p. 164). Bridel décrit ces torches de la manière suivante: « C'était des torches, fagots ou faisceaux de bois odoriférans, tressés avec de la paille, dans lesquels on mettait de la canelle et d'autres aromates » (Cons. suisse, X, p. 171). Dans le Jura bernois, ce sont des flambeaux de bois gras, fendu menu, et qu'on prépare bien à l'avance afin qu'il soit très sec (Arch. s. d. trad. pop., VII, p. 179, 180), ou une espèce de massue en bois de tilleul bien sec, dans le gros bout de laquelle sont plantées des bûchettes de pin ou bois gras, ou encore c'est un fagot composé de bûchettes de bois de sapin ou de pin bien sèches (B, Mettemberg). On emploie aussi des racines de pins. Ailleurs l'on se contente d'un bouchon de paille au bout d'un bâton (Vd, Vaulion), ou même de branches de bruyère sèches et facilement inflammables, liées au bout d'une perche assez longue (Arch. s. d. trad. pop., VII, p. 161, G). Le Gloss. de Duret définit les failles comme des rameaux et branches entortillés, mêlés quelquefois à des bouchons de paille à l'extrémité de perches.

L'usage de ces brandons, comme des feux de joie, nous est attesté pour tous les cantons romands. Mais c'est dans la cam. pagne genevoise que ces flambeaux semblent avoir le mieux conservé un ancien usage symbolique se rapportant à la prospérité des jeunes ménages. Le dimanche des Brandons, les enfants vont demander les alouyè devant les portes des jeunes

mariés qui n'ont pas encore d'enfant et qui s'empressent de les leur jeter, c'est-à-dire de leur lancer des bonbons, dragées, caramels, etc. Le couple qui voudrait se soustraire à ce tribut est menacé d'avoir un garçon chétif, contrefait, mal venu, un < garçon d'hiver » et il risque qu'on lui fasse un charivari. Les nouveaux mariés qui ont eu leur premier enfant avant le dimanche des Brandons « gagnent les alouyè », c'est-à-dire qu'ils sont dispensés de les donner. Le soir, on allume les failles en l'honneur des jeunes époux, et l'on crie: falyè, fålyèzon! la fèn' a N. fara on bó garson! Faille, faillaison, la femme à N. fera un beau garçon (voir Arch. s. d. trad. pop., VII, p. 161, où est reproduit un article de L. Reichstetter paru dans la Tribune de Genève du 4 mars 1903, et où ces paroles ne sont pas données correctement; voir aussi Const. et Dés., Dict. sav., sous Alouĭā). Duret (Gr. publiée par Koschwitz, p. 13, 14, n. 2) donne une autre forme de cette rimaille: É-z aloûlle, La fènna é groússa Date de kan? Dè Karmàntràn, aux alouilles, la femme est grosse, dites depuis quand? depuis le carnaval. Ces paroles correspondent presque exactement à celles indiquées par le Dict. sav. Duret nous enseigne que les campagnards promenaient le dimanche des Brandons les failles ou chauffairons dans les jardins et vergers et sur les coteaux, les présentant aux arbres fruitiers et les brandissant comme pour les menacer d'être brûlés s'ils ne portaient pas de fruits, et il nous donne encore la variante que voici du couplet ci-dessus: Falle, falleron, Que le bon Diu nos balleysse 'na bouna sayson! Se ma máre me fát pás mejir de bougnon, De meto le fua à son cotlyon (Aviernoz, Savoie), Faille, failleron, que le bon Dieu nous donne une bonne saison! Si ma mère ne me fait pas manger des beignets. Je mets le feu à son cotillon (Duret, Gl). Cet usage aurait aussi été pratiqué dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Blavignac (Emprô, p. 162 ss.) rapporte encore un peu autrement la formule des alouilles: Es alouilles, La fenna est groussa, Dé quan? Dé la San-Dian (Saint-Jean)! Lla fera dei biau einfan. Alouilles! Alouilles! Il ajoute que dans

certaines localités le jour des alouilles s'appelle le dimanche des Escarnavex. Les mariés sans enfants sont raillés par les quolibets suivants: Escarnavex! Escarnavatte! Une telle est mésalle (ladre, c'est-à-dire improductive), ou bien: Un tel est moulet (mulet, improductif), Escarnavex! Escarnavex! ou encore: Escarlavai! Escarlavata! D'ai de l'amadou dian ma fatta (dans ma poche), Si vo me bailli (donnez) pa des bounions (beignets), De brulo vutra mèzon (Je brûle votre maison). Il est facile de reconnaître dans l'expression « dimanche des Escarnavex » (tirée de dimanche des carnavé, par redoublement de es, comme dans les tenailles, les estenailles, etc.) le mot carnavalet cité plus haut comme signifiant masque de carnaval, en Valais, et dont (Es)carlavata serait le féminin. La coutume existe encore à Hermance (G), où l'on se déguise, parcourt le village en cortège, en s'amusant et en criant: Eskarnavé, eskarnavala, na tåla (une telle, remplacé par un nom) è bin mézala. Cela se dit aujourd'hui d'une femme peu estimée, dont on se moque, souvenir atténué des coutumes d'autrefois. Mézăla a le sens de maigre, maladive. Le mot eskarnavé désigne aussi les torches des Brandons.

Selon Duret (GI), les failles, près de s'éteindre, sont jetées en tas, et c'est ce brasier-là que les jeunes gens les plus agiles s'amusent à franchir d'un saut.

5. On peut conclure de toutes les indications mentionnées : jeune mariée allumant le bûcher, femmes dansant autour du feu en criant: au long chanvre, flambeaux présentés aux arbres, satires adressées aux mariés sans rejeton, que ces feux symbolisaient la fertilité. Leur sens était de saluer solennellement le retour prochain du printemps. Dans la Suisse allemande, la coutume s'est perpétuée de brûler dans le feu des Brandons un mannequin représentant probablement l'hiver. On voit encore immoler cette poupée, appelée Bögg, toutes les années à Zurich lors du Sechseläuten. Des traces de cet usage se sont conservées en Valais. Barman ne se trompe point en disant. dans son Gl., que les Brandons étaient les restes d'une fête

célébrée anciennement en l'honneur de l'agriculture. Il est probable que des coutumes romaines et germaniques ont été combinées à l'occasion des Brandons. Les failles correspondent aux moccoli du carnaval romain.

6. Les Brandons désignaient aussi l'époque où reprenaient les danses en plein air accompagnées de chansons nommées coraules (korāola, Vd, F) ou vwèyəri (B), voir ces mots (Arch. s. trad. pop., IV, p. 134; VI, p. 94). Quel bonheur quand jeunes et vieux pouvaient entonner de nouveau leurs gais refrains interrompus pendant le long hiver!

7. C'est encore l'époque des bons repas (hérités du mardi gras?) et de toutes sortes de beignets nommés bouny0 (G), bounyè (V, Vd), merveilles, pisa benata, crèpi ou crapé (Vd, B), derbonnards (F), oriettes, totes (B), kutyètè, talyè (F), etc., qui se mangent aussi en d'autres occasions, et pour lesquels nous renvoyons à l'article bougnè. On cite aussi du riz au lait comme mets traditionnel des Brandons (C. V., 1880, d'après une conférence lue en 1824 à la Soc. d'émulation de Vevey). Barman dit que dans le district de l'Entremont (V), les jeunes gens des deux sexes célèbrent la fête des Brandons par un repas commun. De toutes les coutumes des Brandons, la fabrication de merveilles est celle qui est encore le plus scrupuleusement observée (v. Lien vaud., 1902, 10 févr.). Bridel raconte, en parlant des pisa benata, qu'on en remplissait des corbeilles le soir des Brandons et qu'on en offrait à tout venant. « Souvent, dans nos Alpes vaudoises, on met des étoupes dans les beignets des brandons pour attraper les gourmands; plus d'une jeune fille sut y cacher un billet, un ruban, un anneau, et faire tomber le beignet receleur entre les mains de celui auquel il étoit destiné » (Cons. suisse, X, p. 172). Détails à noter: Ce sont les jeunes filles qui font les frais des Brandons, en offrant des pâtisseries à leurs galants. Un garçon qui conduit une fille au feu des Br. en reçoit des œufs à Pâques (B, Epauvillers).

8. Les mascarades des Brandons revêtaient facilement un

caractère satirique. Ainsi, en 1872, on représenta à Payerne le fameux Schulvogt» (inspecteur fédéral des écoles). C'est à cette occasion qu'avaient lieu les cortèges des métiers. Genève a conservé celui des bouchers. On y joignait autrefois certaines cérémonies superstitieuses. Kuenlin, Dict., I, p. 282, mentionne qu'en 1580 il fut défendu de baiser le fourneau, de parcourir la ville (de Fribourg) avec une charrue, etc., le mercredi des cendres. Les masques de carnaval portent chez nous les noms de fou, bouffon, kamintran (= carnaval), karnivalè (carnavalet), farata (V, Savièse), kòkyè (V, Isérables). Nous ne voyons guère se développer certains types de masques comme dans la Suisse allemande, où toutes ces coutumes sont restées beaucoup plus vivaces. Les déguisements de fous de carnaval prennent souvent un caractère licencieux, et, en parcourant les vieux papiers, nous rencontrons des plaintes à leur sujet et des demandes d'abolition. La Suisse romande a aussi eu, à l'occasion du carnaval, ses sotties ou pièces satiriques représentées publiquement par des sociétés de sots, témoin la Sottie des Béguins, jouée à Genève le 22 février 1523, et la Sottie du Monde, jouée dans la même ville le 14 février 1524 (reproduites par E. Picot dans son Recueil général des Sotties, t. II).

9. Enfin les Brandons donnaient lieu à des joûtes, c'està-dire des combats de garçons qui se servaient de jeunes arbres ébranchés comme lances. De là le nom de Bordes (voir Du Cange, sous Bordae, Bohordicum). Une curieuse variante de ces joûtes existait à Estavayer jusqu'en 1731, année où la coutume fut abolie. Les jeunes mariés étaient obligés de joûter ensemble sur le lac. Postés sur la proue de petits bateaux conduits par des rameurs à leurs ordres, et armés d'un bouclier au bras gauche et d'un poussoir en guise de lance, ils se culbutaient dans l'eau jusqu'à ce qu'il n'en restât plus qu'un, proclamé vainqueur et porté en triomphe par la ville (voir Volmar, Us et coutumes, dans Arch. s. trad. pop., VI, p. 98, 99, d'après les Annales de Dom Grangier).

10.

Tout ce qui reste de ces vieilles réjouissances des Bran

« PreviousContinue »