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Une analyse de la Pernette fribourgeoise la déclare en une certaine mesure conforme à celles que connaissent le Jura et la Savoie, et le chemin qui l'aurait conduite chez nous serait celui par lequel semblent nous être venues un grand nombre de chansons populaires: nous les devons aux provinces limitrophes de la France. Elles étaient autrefois très répandues dans toute la Suisse romande; grâce à des conditions spéciales, elles ne se sont conservées que dans les deux cantons restés un peu fidèles à leurs traditions populaires Berne et Fribourg.

La Pernette, on l'a vu, se compose de quatre parties vitales et peut-être à l'origine indépendantes les unes des

autres.

1° d'un début narratif traditionnel, ancien, français ou roman; celui de la famille méridionale n'est que le commencement d'une chanson de toile, celui du Poitou est emprunté à la Fille à marier, et celui de la famille normande se retrouve dans des chansonniers du xve siècle, et, altéré, dans la Belle enfermée dans la tour, souvent confondue avec la Pernette.

2o d'un dialogue, que la muse populaire a rajeuni dans cet exemple :

Ne pleurez pas, belle Fanchon,

Vous serez mariée,

Vous serez mariée

Dondaine, dondon....

O (avec) le plus beau de nos soldats....

Qui soit dedans l'armée....

De nos soldats je ne veux pas....
Je veux un capitaine....

Un capitaine tu n'auras pas1....

1 Cf. le Recueil de Rolland, I, p. 239.

3° d'une conclusion traditionnelle, non plus romane cette fois, car elle termine des chansons slaves et magyares, que M. Doncieux croit, bien que différentes, influencées par la Pernette (?).

4° d'un refrain, sans caractère spécial dans les versions du Midi, mais qui, en Normandie, est certainement beaucoup plus vieux que la chanson elle-même :

Las! il n'a nul mal qui n'a le mal d'amour.

et dont la lyrique du moyen âge possède plus d'un équivalent :

Nul ne set les maus s'il n'aime ou s'il n'a aimé.

Le dondaine, dondé poitevin, la violette d'Estavayer appartiennent à des pastourelles, et à un groupe de pastourelles assez curieuses, les unes contaminées avec l'éternelle Fille à marier1, les autres influencées par la Pernette; la plupart ou provençales ou franco-provençales:

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1 Cf. la chanson citée à la page précédente: Ne pleurez pas....

qu'il est intéressant de rapprocher de la chanson si connue: Mon père avait cinq cents moutons, j'en étais la bergère, le loup m'en a pris quinze; le fils du roi vint à passer, m'a rendu ma quinzaine. Belle que me donneras-tu ?— Quand nous tondrons nos blancs moutons, vous en aurez la laine. Ce n'est pas la laine, c'est ton petit cœur, bergère, que je veux. Pierre Mon petit cœur n'est pas pour vous, il est pour que j'aime. (Savoie.)

Ces comparaisons, qu'on pourrait et qu'on devrait multiplier dans un travail plus approfondi, aboutiraient aux conclusions suivantes : D'assez bonne heure et non loin de son pays d'origine (si celui-ci est en effet le Forez) la Pernette a glissé quelques-uns de ses vers dans des chansons, pastourelles ou chansons de filles à marier; celles ci ont réagi sur une Pernette tronquée et, en échange d'une strophe, lui ont rendu un couplet adventice. Si cette supposition est hasardée, un exemple final fera voir qu'elle est au moins plausible. Il existe de La claire fontaine une version que j'abrège :

En revenant de noces, j'étais si fatiguée
Qu'auprès d'une fontaine je me suis reposée.

Au bord de la fontaine croissait un peuplier,
Sur la plus haute branche un rossignol chantait.

C'est pour mon ami Pierre qui ne veut plus m'aimer.

L'ami Pierre est emprunté à la Pernette, cela ne fait pas de doute, et peut-être à la Pernette que caractérise ce vers:

Et sur la même branche nos deux corps s'uniront.

La claire fontaine, à son tour, s'est trouvée en rapport avec la ritournelle militaire la Jeannette1 et lui a donné l'équivalent de ce que la Pernette lui avait prêté:

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Je ne veux pas d'un prince
Je veux mon ami Pierre

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Nous te marierons

Ou celui d'un baron.

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Qui est dans la prison.
Tu n'auras pas ton Pierre-Nous le pendouillerons.
Si vous pendouillez Pierre, — Pendouillez-moi-z-avec.
Et l'on pendouilla Pierre, - Et la Jeannette aussi.
Sur la plus haute branche

« Ne pleure pas, Jeannette,

Le rossignol chanta :

Nous te marierons.... »

Ainsi, en étudiant les chansonniers populaires, nous voyons les chansons se transformer, se décomposer, se contaminer, se reconstituer sans cesse. Même les plus beaux morceaux ne sont pas épargnés. La Pernette fribourgeoise n'a conservé, assez bien du reste, qu'un fragment de l'original; l'entrée en matière est empruntée à un autre groupe de chansons, le refrain est encore d'origine différente. Comme c'est généralement le cas, la petite poésie a beaucoup perdu en voyage; seule la reconstruction de M. Doncieux, citée plus haut, en fait goûter tout le charme primitif.

W. HIRSCHY.

1 Chanson recueillie au service militaire et que tous les soldats neuchâtelois connaissent. Elle dérive de versions franco-provençales et n'a pas suivi le même chemin que La Pernette fribourgeoise.

TEXTE

La pir də mlain.

CONTE EN PATOIS DE PLAGNE (JURA BERNOIS.).

Sãe dǝ Kòr an ain mäer

Kɔ nə pa pu rò bãer ;

O sòli a ny a pè gró mố:

Pòr ain maer, s né pè ain défó.
O la kòvrè a-l-a parju la tét,
San pòr sòli ò-n-étra mant pu bét.
Tòt u hó d la montain,

Pòr ain tò na məlain,

LA MEULE

Ceux de Court ont un maire qui ne peut plus rien boire; à cela, il n'y a pas grand mal: pour un maire, ce n'est pas un défaut. A la corvée, il a perdu la tête, sans pour cela en être beaucoup plus bête. Tout au haut de la montagne, pour un

Note de la Rédaction. On raconte dans le Jura bernois les fameuses histoires de Gribouille, de la vache qu'on étrangle en la hissant au haut d'un clocher où croit une belle touffe d'herbe, de la graine de poulains, etc., en les mettant sur le dos des voisins, ici les habitants de Court. Parmi celles de ces facéties que notre excellent correspondant, M. Grosjean, a mises en vers, nous choisissons l'histoire, très répandue, du maire qui passe sa tête dans le trou d'une meule qu'on fait rouler du haut de la montagne pour pouvoir signaler l'endroit où elle s'arrêtera. Le patois de Plagne est intéressant à plusieurs égards: il forme la transition entre le type jurassien et ceux du canton de Neuchâtel; il renferme un grand nombre d'archaïsmes et de germanismes très curieux. Nous rendons par ain une diphtongue nasale unissant an et in avec leurs intermédiaires en une émission de voix.

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