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propre, sous les formes tsó ou tsā, selon la phonétique locale, écrit très souvent za et prononcé à tort zā par les étrangers et les indigènes qui les imitent. L'expression désigne les pâturages les plus hauts où on laisse paître les vaches en toute liberté, c'est-à-dire sans partager jour par jour » (Trient), une petite plaine surplombant un précipice > (Leytron), une < grande étendue d'alpages où les génisses, les moutons paissent en liberté » (Vollèges). « 300 pièces de bétail passent l'été à la chaux du Grand Saint-Bernard. >

Dans les autres cantons, y compris la plaine du canton de Vaud et la Vallée de Joux, Chaux n'est que nom propre. Le canton de Genève ne paraît pas même posséder le mot comme tel. Un seul correspondant bernois indique le sens de colline de pâturage s'élevant brusquement» (Charmoille). La forme bernoise est tcha. Dans les hautes vallées neuchâteloises, j'ai essayé vainement de faire définir le mot. Plusieurs personnes de la Montagne neuchâteloise et du Val-de-Travers prétendent cependant que Chaux a un peu le sens de vallée, de plateau long et élevé. Une très vieille femme a même formé l'exemple: èl è bè lérdj la tcho d l'abravna‹ elle est bien large la chaux de la Brévine 1. » Cela paraît donner raison au doyen Bridel, qui traduit le mot chaux par « sommet de montagne, pâturages élevés dans les Alpes.... puis: ce même mot signifie au contraire, dans le Jura, un vallon. › Le même mot aurait-il donc désigné dans les Alpes les pâturages près des sommets et dans le Jura le fond de la vallée ? La contradiction n'est qu'apparente et s'explique facilement par les conditions topographiques. Dans les Alpes, les sommets et leurs environs sont dénudés, dans le haut Jura ils sont boisés, et ce sont les dépressions, les combes, en partie marécageuses, qui prennent le nom de chaux.

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Il ressort de ce qui a été dit que le mot a été appliqué à

1 C'est donc plutôt l'Abrevine qu'il faudrait écrire; de* adbiberina, fontaine pour abreuver?

une étendue de terrain inculte, ensuite de l'absence d'eau et d'humus. La chaux peut se couvrir d'herbe, servir de pacage, elle ne peut être labourée, étant trop pierreuse (ou marécageuse). L'inclinaison du terrain, la situation par rapport au soleil, l'aptitude à servir de pâturage sont des éléments secondaires dans la définition du mot. Ce n'est que par extension qu'on nomme chaux un sommet, un mamelon gazonné. Ainsi à côté de la Chaux des Tallières (de la Brévine), du Milieu1, de Fonds, d'Abel (près Les Bois), Damin (au pied du Mont Damin, au-dessus des Convers), etc. qui représentent de vastes étendues de terrain, on trouve dans les mêmes contrées de petites Chaux sous la forme de replats, de mamelons, comme la rond' tcho dans la commune de la Brévine, ou le mamelon appelé tché près de Dombresson (Val-de-Ruz). Les lieux-dits Plana-Chaux (Chaux-plane 2), Bellechaux 3 (Ormonts) prouvent que toutes les chaux ne sont pas nécessairement abruptes ni dénudées. Sonchaud (sommet de la Chaux) sur Villeneuve montre que chaux ne peut à l'origine désigner le sommet lui-même. On ne dirait pas non plus si souvent à la Chaux, en la Chaux, sur la Chaux, s'il s'agissait du point culminant de la contrée.

L'étude de nos meilleures cartes conduit au même résultat. Jamais les chaux ne sont boisées par exemple. Le bois de la Chaux, sur Tramelan, n'est pas un bois sur, mais au-dessus d'une Chaux, de là son nom. La feuille no 276 de l'atlas Siegfried, intitulée La Chaux, reproduit une étendue à peu près plate entre le Bois du Veau (sic!) qui monte jusqu'à une hauteur

↑ Cette appellation se retrouve dans un document fribourgeois de 1693: La Chaux du Meyten, rière Villars-sous-Mont.

2 Comp. entre autres le Plan la Chaux du Grand Saint-Bernard, à 2056 mètres.

3 Comparez la Bella-Cha au-dessus de Chamonix.

Le cartographe responsable aurait facilement appris que ce bois appartenait autrefois au Vuax Travers, à la commune de Couvet.

d'une cinquantaine de mètres, et le Broillet, qui s'élève un peu plus. En somme les chaux sont situées dans le Jura à une altitude d'environ 1000 mètres, tandis que dans les Alpes elles se trouvent au-dessus de la zone des arbres à environ 2000 mètres. Mais il serait faux de croire que le mot appartient uniquement aux régions montagneuses. Les Chaux sont moins fréquentes, mais non pas rares dans la plaine. Les matériaux toponymiques du Glossaire que j'ai pu consulter m'ont démontré qu'il n'y avait pas beaucoup de communes vaudoises qui n'aient eu leur Chaux. Le nom devait être beaucoup plus répandu autrefois; il s'est insensiblement retiré de la plaine et s'est mieux conservé sur les hauteurs. Cela s'explique assez bien. Dans le bas les landes et bruyères ont été en grande partie changées en prés et en champs; une transformation de nomenclature a suivi ce travail de fertilisation. A la montagne, la lutte de l'homme contre la nature était inutile, et les chaux y ont triomphé de tout effort. Fin dè tsó, fin dè mó!

Sortons maintenant de notre territoire romand et tâchons de délimiter l'aire géographique de notre mot. Nous aurons en même temps la chance de rencontrer des formes moins raccourcies du vocable, surtout dans les patois allemands et du Midi de la France. Elles nous permettront de reconstituer la base étymologique.

Le mot est très peu répandu en allemand, preuve que la racine n'est pas germanique. Nous rencontrons quelquefois Galm ou Galen dans le Valais allemand et les régions du canton de Berne qui touchent au domaine romand. « L'alpe sur Loèche que les Romands appellent Chermignon (probablement un dérivé du mot Chaux) s'appelle en allemand Galm-Alp » (Jaccard, Etudes toponymiques). Le Haut-Valais connaît surtout la forme Galen, comp. le nom Galenstock. La carte de Zweisimmen (feuille n° 462 de l'atlas Siegfried) nous fait voir au-dessus du village de Matten un monticule (gazonné?) du nom de Galm, 2188 mètres, près de Zweisimmen le Kumigalm, élévation

Châtillon, Geschenen ou Gæschenen

Cham

italien

rocheuse, 2127 mètres, et le Muntigalm1, mamelon. La proximité des Chaux romandes, qui apparaissent dans les mêmes conditions, et la ressemblance des formes méridionales que nous allons citer, nous fait penser qu'il s'agit toujours du même mot. L'échange de g contre ch romand ou plutôt c de l'époque latine n'a rien de surprenant; comparez Gampelen pion, Gestelen cascina, Galmis - Charmey, etc. L'Idiotikon III 233 explique Galm par « Gipfel, Rücken eines Berges (Wallis), besonders sanft zulaufender (Bern, Simmenthal) », et renvoie à Galen, III 203: beraster Bergrücken zwischen zwei Taleinschnitten oberhalb der Waldregion; darauf liegende Alpen (Wallis)... wohl keltischen Ursprungs. >

En France nous trouvons le mot dans Contejean, Patois de Montbéliard: « tcha, s. f., nom propre donné à certaines localités où abondent les cailloux roulés, » Chambure, Glossaire du Morvan: « chaumá, s. m. (dérivé), terre inculte et engazonnée, chaume, s. f., terrain engazonné, ordinairement de peu de valeur, lande, espace vague et livré au pacage des animaux; > Chambure cite encore les dérivés (diminutifs) chaumed (Vendée), terre inculte, chaumasse (Forez), prairie humide, chaumea, chaumia (Poitou), petite chaume; Berthoud et Matruchot, Etude historique et étymologique des noms de lieux habités du département de la Côte d'or, I. Période anté-romaine, Semur, 1901, citent les formes chaume et chaux, avec la même signification: « terrain inculte, généralement situé sur les plateaux de notre région et ne fournissant qu'un maigre pâturage; Boucoiran, Dictionnaire des idiomes méridionaux,

Ne serait-ce pas une forme allemande de Chaumont? M. Jaccard voudrait identifier les différents Chaumont, Chaumontet, Charmontel de la Suisse romande avec calidus mons, ou même avec calvus mons pour le Chaumont de Saignelégier. Je crois qu'il fait erreur et qu'il y aurait avantage à rattacher toutes ces appellations, plus les Caumoun du Midi de la France, au mot que nous discutons.

nous fait connaître les mots caume, s. m. (!), plateau sur la montagne, et caumo 1, s. f., plateau exposé au soleil; Mistral enfin, dans son Dictionnaire provençal-français, mentionne les formes caumo, champ 2 (Auvergne), cam, cham (Languedoc), chaup? (Alpes), plateau désert, plateau rocheux qui domine une montagne; il énumère une quantité de noms propres: Lacalm, Lacam (Aveyron, Tarn), Lachamp (Lozère, Ardèche, Drôme), La Chalp, La Chaup, La Chau (Alpes et Auvergne) 3. Le dictionnaire du vieux français, de Godefroy, contient les mots chaumart, s. m., terre inculte, jachère, 1. chaume, s. f., montagne, et 2. chaume, s. f., le chaume, où je propose de traduire par lande, en réunissant les deux articles, sauf pour un exemple: « je brusle la chaume et la paille, » qui est de tout autre nature, et enfin le mot chaumoi, très fréquent dans l'ancienne littérature épique, que Godefroy traduit par lieu couvert de chaume, champ moissonné, et auquel, d'après tous les exemples cités, il faut évidemment donner le sens de bruyère. »

Si ce dernier rapprochement est exact, chaumoi étant répandu dans tout le Nord de la France, le mot simple chaux aurait une fois appartenu à tout le domaine gallo-roman. En dehors de ce domaine, je ne le trouve pas dans les dictionnaires courants, mais Du Cange mentionne (d'après le dictionnaire de l'Académie), le mot espagnol calma = ager exilis (c'est-à-dire sec)

1 Un o final équivaut à un ancien a au Midi.

2 Le pest probablement dû à une influence de campus, comme pense M. Thomas, Romania XXI, 9 n.

=

3 Voir encore Littré, Supplément, sous chaumat et chaume, 1 et 2, qu'il aurait fallu réunir; Sachs-Villatte, sous chaumes Steppen-Heideländereien; Cotgrave, A French-Englisch Dictionary, 1611, chaumes = desart or untilled grounds; lay lands, etc.

M. Thomas (1. c.) avait déjà proposé de rattacher chaumoi à notre mot chaux. En effet, comment peut-on identifier avec champ moissonné le passage où il est question de 30 000 Turcs sur un caumoi(s), ou celui-ci: Romain les suient a desroi, qui par chemin, qui par chaumoi. Le chaumoi est le lieu où l'on se livre bataille, où l'on fait un camp, etc. En allemand, on traduirait par Brachfeld ou Heide.

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