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Maurice jusqu'à la frontière allemande; fori1 se dit dans le Bas-Valais (foryé) et dans le reste du domaine indiqué (aussi furi). On trouve aussi défori (Bas-Valais) et défourtin (à Grône), comme on a défær, dehors, à côté de fær.

2. Salyi, salyi-frou, salyaytǝ sont les mots vaudois pour printemps. Salyi est l'infinitif latin salire « sauter », conservé dans le français « tressaillir » et « assaillir ». Ce mot a pris dans nos patois le sens de sortir, comme en espagnol; lo salyi est donc le « sortir » et salyi-frou le sortir dehors », mot plus énergique que le simple infinitif. Salyayta, chalyaytǝ est le participe féminin du même verbe, c'est donc la « saillie », la << sortie ». Dans le Pays-d'Enhaut, le mot se dit encore pour la sortie du bétail pour la montagne, sans idée de printemps. Mais comme c'est l'événement principal, une fois l'hiver passé, dans la vie du paysan, le terme finit par désigner l'époque où l'on sort le bétail, donc le printemps. Salyi et salyi-frou s'emploient indifféremment dans tout le Gros-deVaud (surtout dans le Jorat et dans la Broye). Salyayta est usité dans le Jura vaudois (Vallée de Joux, Vallorbe, etc.) et par ci par là dans la plaine (Vuillerens, Penthalaz).

Rattachons à ces trois mots vaudois :

Pètchifà, partir dehors », qu'on trouve en Ajoie et à Bournois (Franche-Comté) [voir Merlo, p. 53, qui le dérive sans nécessité de partita foris].

L'idée de sortie et de départ a souvent donné lieu à des mots nouveaux pour printemps, c'est presque toujours l'infinitif ou le participe d'un verbe tel que salire, sortire, exire, partire, mais nulle part, semble-t-il, cette création n'a réussi à conquérir un aussi grand territoire que dans la Suisse romande.

1 Le i de fori étonne. Les formes de la vallée d'Aoste (type forye) ne permettent pas de dériver le mot de foris ire ni de forilem. C'est pour cela que M. Merlo suppose un foriarium (même un foricarium), qui en effet lèverait toutes les difficultés; mais, vu que le i de foris est tombé de très bonne heure, on ne voit pas ce qui aurait pu introduire ici une palatale.

Mentionnons deux mots analogues dans les patois allemands: l'Oberland bernois dit: Ustig1, littéralement dehors jour » jour où l'on sort; et certains patois montagnards de la Bavière appellent le printemps Auswärtszeit, temps où l'on sort >.

3. Bontin. C'est le mot courant pour printemps dans les cantons du nord: Neuchâtel et Berne. L'origine du mot n'a pas besoin d'explication. Après l'hiver si rigoureux dans le Jura, le printemps est le bienvenu, c'est le bon temps par excellence. Bontin est aussi très répandu dans le canton de Vaud, un peu moins dans celui de Fribourg, mais sans y avoir pris la signification précise de printemps. Le plus souvent il a gardé son acception étymologique de « temps agréable; tantôt il désigne seulement les beaux jours du printemps, tantôt tout le temps de la bonne saison, printemps et été ensemble; il est alors synonyme de bouna sèzon, qu'on emploie dans ce sens, par exemple à Montherond.

Rattachons à ce qui précède:

bétin, beau temps

qu'on entend dans la Montagne neu

châteloise à côté de bon tin.

rèlin, en Gruyère et à Châtel-Saint-Denis, et rèdou, à Bournois (Franche-Comté), désignent le temps doux qui, après le froid, annonce le printemps, donc quelque chose comme <l'avant-printemps; cp. l'allemand Vorfrühling.

Nous n'avons plus qu'à mentionner :

4. Kärin-n, « Carême », mot employé dans la vallée de Moutier (Malleray, Champoz, Crémine) et à Vauffelin-Plagne. Le printemps est donc la saison privilégiée de l'imagination. romande, on dirait que chaque région a mis son orgueil à donner au printemps une empreinte particulière: le Valais aime le fortin, Fribourg préfère le furi, Vaud l'appelle le salyi, et le Jura, qui souffre peut-être le plus des rigueurs de l'hiver, le salue comme le bon temps.

1 Et ustog à Alagna, une des intéressantes colonies de langue allemande au sud du Mont-Rose; c'est donc un mot antérieur à cette colonisation.

L'ÉTÉ

Autant de variété pour le printemps, autant d'uniformité pour l'été. C'est partout le tsótin (tchotin, tchatin, etc.), le temps des grandes chaleurs. Souvent le mot signifie en particulier l'époque où l'on récolte le foin et le blé, ou se précise en désignant le temps entre le 15 juin et le 20 ou le 22 septembre, ou entre le 1er juin et le 1er septembre. Par contre la Montagne neuchâteloise donne plus d'étendue au tchótin: c'est simplement la bonne saison, opposée en bloc à l'hiver et comprenant le printemps, l'été et l'automne. Ainsi la langue nous confirme dans une certaine mesure le fait climatérique connu que dans les plateaux jurassiens l'hiver et l'été se succèdent presque sans époque intermédiaire.

L'AUTOMNE

Les mots pour automne divisent notre territoire en deux : tout l'est, c'est-à-dire les cantons alpestres Valais, Vaud, Fribourg, a conservé le latin autumnus (òouton, Fribourg, Vaud; œuton, oukton, oupton, Valais) tandis que tout le long du Jura il y a eu remplacement.

Les nouvelles créations se font à l'aide de « saison dernière », << saison tardive. »

1. daritin, dari, indari, le « dernier temps », << le dernier, cp. le fortin et le fori, « l'endernier (cp. l'endemain), occupent le canton de Neuchâtel, y compris Péry et Plagne (Berne), le Jura vaudois et le canton de Genève; ils sont très répandus dans la Franche-Comté, d'où ils sont probablement entrés en Suisse. Daritin (déritin) est la forme neuchâteloise et vaudoise, dari, ädari et andari se partagent Genève.

Rattachons à ce groupe réuni par l'idée de « dernière saison › un mot isolé:

Tå, le « tard » usité à Sales (Fribourg) à côté de douton; c'est le commencement d'une nouvelle formation arrêtée dès son éclosion par le terme traditionnel. L'idée de « temps

tardif a par ci par là donné lieu à des termes nouveaux, par ex. dans les Vosges, dans les Pyrénées, et dans le Wurtemberg, qui dit Spätling.

2. èrba, s. m., est le mot particulier au Jura bernois; il est en outre attesté pour le Landeron (Neuchâtel) et pour la région de Montbéliard et Belfort. Le reste de la France ne le connaît pas. La forme de ce mot singulier varie entre: ärba, Ajoie et Delémont, arbé, Plagne, arbo, vallée de Moutier, arbé et arbo à Malleray, avec les intéressants dérivés èrbaton, petite prune jaune qui mûrit vers l'automne, èrbatat', s. f., fruit du prunier d'automne, et èrbati, s. m., prunier d'automne (Ajoie). En outre on trouve dans des documents du seizième siècle arbaulx, et aussi herbaulx champs d'automne » (FranchesMontagnes).

D'où vient ce mot? » On a proposé: 1o l'allemand Herbst, 2o un diminutif de herba: herbittum et 3° un dérivé adjectif de herba: herbale. Aucune de ces trois hypothèses ne satisfait entièrement, comme nous allons voir.

1. L'étymologie Herbst ne laisse rien à désirer au point de vue du sens, et l'on sait combien les mots allemands sont fréquents dans le Jura bernois. Ajoutons que les patois vosgiens se servent également d'un mot d'origine germanique pour désigner l'automne, qu'ils appellent « gain », du radical de l'allemand weiden; il y a cependant cette différence que le mot emprunté ne signifie pas « automne » dans la langue d'origine, comme ce serait le cas pour notre ärba. Que dit la phonétique? Au premier coup d'œil tout semble s'accorder à merveille. L'ancienne forme de herbst est herbest (herbist). Or on sait que dans presque tout le Jura bernois e + s + consonne donne a ainsi a de est, fra, frais, de friscu, épā, épais, de spissu, krātr, croître, de crescere; de même donc èrba de herbest, l'aspiration germanique ayant été supprimée.

On objectera arbé à Plagne, et arbo dans la vallée de Moutier. Pour la forme de Plagne, on a tort, care + s + consonne y devient régulièrement é et non pas ā: ainsi é est, fré= frais,

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épè épais (è par influence française ou par dissimilation vocalique), dékré décroît. Quant à l'a de arbé, comparez arbèdj herbage, barbijat', s. f. pl., nuages moutonneux, dérivé de brebis. Pour ce qui concerne la forme avec o, arbo, dans la vallée de Moutier, les mots qu'on pourrait citer à l'appui sont peu concordants entre eux (crescere = krétr ou krètr à Tavannes, Perrefitte, Grandval, krétr ou krètr à Court, Malleray, spissu épa à Tavannes, Perrefitte, épè à Court, Malleray); cependant Tramelan-dessus offre quelque analogie avec kråtr, épå. Les dérivés èrbaton, etc. auraient conservé le final de herbest. Pour herbaul du seizième siècle, il faudrait dans ce cas admettre une graphie inverse d'après chevaux, prononcé tchvā.

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Mais la grande difficulté est l'accent. Herbest est accentué sur la première syllabe, tandis que èrba l'est partout sur la terminaison. Comment admettre ce déplacement d'accent si contraire à ce qui se passe habituellement?

Voyons si les dérivés de herba sont moins récalcitrants. Le sens ne fait guère de difficultés. Pourquoi l'automne ne seraitil pas la saison des herbes ou des petites herbes, le temps où l'on mène le bétail brouter sur les prés le dernier regain qu'il ne vaut plus la peine de couper? Le mot herbittum se trouve dans l'ancien français herbet, mais au sens de ‹ herbette »; l'équivalent en serait èrba dans tout le Jura bernois, y compris Plagne et la vallée de Moutier qui disent tchvala, che-' valet, bida bidet, bia, biat', blet blette. Ainsi les trois formes arbé, arbo et herbaulx resteraient inexpliquées; il faudra donc renoncer complètement à tirer notre èrba de herbittum.

3. herbale satisfait mieux pour la formation aussi bien que pour la phonétique. On comprend très bien un herbale (tempus), temps herbal = époque où l'on broute l'herbe, cp. pour la formation printemps, fortin, daritin, fenal mois, « juillet », dans les patois wallons (Merlo, p. 146 etc.). Le dictionnaire vieux-français de Godefroy donne: herbal, s. m. 1o mois de

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