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nous trouvons youtsi, youtséyi (radical youts + idiare), qui viennent sans doute de l'allemand suisse juchzen, « pousser des cris de joie,» mot qu'on emploie aussi tout particulièrement pour les cris peu joyeux du hibou 1.

Restent plusieurs cas isolés:

12. lòta, s. f. « la hotte,» mot fort répandu dans les patois de Vaud et de Fribourg. Il vient de l'allemand méridional: hutte (u fort ouvert), « panier à bretelles. » Les dérivés et composés de ce mot présentent aussi la forme agglutinée; ex: lòtāra, lòtayə; tsavó dè lòta « chevalet à trois pieds sur lequel on pose la hotte pour la remplir.

«

13. le loquet pour « le hoquet, » forme attestée dans le français régional de Genève, Neuchâtel et Fribourg.

14. la ló « le haut, le sommet » (Ormonts), mot que je dérive de l'adjectif ó, óta, «haut. »

Dans ces trois mots l'aspiration n'a pas empêché l'agglutination de se produire, non plus que dans le français le layon, fermeture d'une voiture de déménagement, qu'on dérive de hayon, haie, all. haag.

15. landiule, en français populaire de Genève longeole (Humbert), correspond au français << andouille. »

16. luiset a le sens de « petite lucarne » à Genève (Humbert); des formes analogues se rencontrent en Valais et dans le canton de Fribourg avec le sens de « contrevent, » et rendent probable la dérivation de ostium > franç. huis.

17. loirie au lieu de hoirie, mot vieilli pour « héritage, » est donné par Humbert comme usité à Genève.

18. louèytan, « mesure pour les droits d'alpage » (Evolène), dérive de octo et devait être à l'origine ouèytan.

(A suivre.)

E. TAPPOLEt,

1 Quant à la forme yutseyi que donne Bridel, je me l'explique par une contamination de utsi « hucher, et youtsi. Lutsévi (Bridel) semble être dérivé du substantif agglutiné.

LES PARTIES DU VISAGE

DANS LES LOCUTIONS POPULAIRES DE LA GRUYÈRE

On a souvent dit qu'une langue ne se compose pas de mots, mais de phrases dont les éléments gisent en partie tout faits dans notre mémoire, prêts à donner une forme aux pensées multiples qui traversent journellement notre esprit. L'originalité d'un parler ne consiste pas seulement dans l'emploi de certaines formes caractéristiques, de certains mots restreints à un petit territoire, mais encore dans la façon dont les mots usuels se combinent en tours de phrases, pour revêtir une nuance de la pensée. Les mots sont les matériaux bruts qui ne prennent vie que dans le corps de la phrase. Comme le Glossaire a pour but de refléter aussi complètement que possible la langue d'autrefois du pays romand, c'est-à-dire la forme de sa pensée, nous ne saurions assez recommander à nos collaborateurs de bien envisager sous tous leurs aspects et dans leurs multiples combinaisons les mots qui constituent le vocabulaire patois.

Pour donner une idée de la variété de sens et d'emplois des mots les plus communs, nous extrairons de la riche collection de locutions gruyériennes composée pour le Glossaire par M. Louis Ruffieux celles qui renferment les noms des diverses parties du visage.

Nous laisserons de côté les nombreuses locutions communes à la langue littéraire et au patois et nous ne citerons que celles qui paraissent intéressantes à un titre quelconque. Remarquons toutefois que plusieurs locutions françaises se retrouvent en patois avec une signification un peu détournée, avec une

qu'on

nuance spéciale, comme avi bon nå, << avoir bon nez, » emploie aussi dans un sens ironique: t'a bon na de vini ché, << tu as bon nez de venir ici, » = tu viens inutilement; chè fér' təri pè l'òròlyə, « se faire tirer par l'oreille,» se faire désirer. Quelquefois un mot changé d'une locution française imprime un caractère propre à la locution patoise, comme dans trér' di gró-j-yè,« sortir de gros yeux, » etc. Une variante d'une locution établit souvent une nuance assez délicate: n'a på dèchara lè bòtsè, « il n'a pas desserré les lèvres,» a le sens ordinaire de «< il n'a rien dit, » tandis que n'a på dèchara lè pòtè, où l'on emploie le mot plus grossier, ajoute au sens indiqué « il n'a rien dit la nuance et pour cause. »

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«

Les locutions que nous énumérons démontrent les facultés d'observation du peuple qui les a créées, comme fér' di prèmè botsè, faire des minces lèvres, >= paraître mécontent, fér' la gròba pòta, faire la grosse lèvre, bouder, etc. Mais elles sont surtout dues à la généralisation de certaines situations ou à un simple jeu de l'imagination. Sous ce rapport, ce sont les yeux, « le miroir de l'âme, » qui ont le plus donné lieu à la création de dictons, puis vient le nez, qui est si souvent l'objet de la raillerie, puis l'oreille, et enfin les lèvres et la bouche; les autres parties du visage ne se rencontrent guère dans les locutions caractéristiques du langage rustique.

Nous n'avons pas la prétention de donner pour gruyériennes des locutions répandues en partie dans toute la Suisse romande et ailleurs. Les locutions voyagent vite, elles sont facilement traduites. J'ai été surpris de retrouver en patois fribourgeois un assez grand nombre de locutions usitées dans le canton de Berne; ainsi le dicton bien connu nüt ich' goust' für dòougə est rendu en fribourgeois par rin lyè bon pò lè-j-yè, « il n'y a pas de remède pour les yeux. » Telle locution frappée au coin du bon sens a fait le tour du monde. Notre désignation de locutions gruyériennes n'indique donc que le lieu où elles ont été constatées, non leur origine.

L'ŒEIL.

Kan on-n-a mó i-j-yè i n fó lè tòtchi tyè avi lè-j-èrtè, « quand on a mal aux yeux, il ne faut les toucher qu'avec les orteils, » = pas du tout; avi on tèvi dèvan lè-j-yè, « avoir une planche devant les yeux, » = ne pas comprendre ses intérêts; avi lè-j-yè in-n-ètsarpa, « avoir les yeux en écharpe, >

même sens; avi l ka pri di-j-yè, « avoir le cœur près des yeux,>= pleurer facilement; i n li chạbrè tyè lè-j-yè po plyòrå, <«il ne lui reste que les yeux pour pleurer, » = il est dénué de tout; in m'a på balyi chin k pòri mè gravå din l'yè, « il ne m'a pas donné ce qui pourrait me gêner dans l'œil, » = rien donné; avi dou travó pè chu lè-j-yè, « avoir du travail pardessus les yeux; i chrè pò mè trér' lè-j-yè dè la tiva, « il serait pour me tirer les yeux de la tête, » = très irrité; avi oun' yè k chè fò dè l'ótrò, « avoir un œil qui se fiche de l'autre, › = loucher; avi oun' yè k di mèrda a l'ótrò (variante grossière du dicton précédent); avi plys gró-j-yè tyè gró vintro, « avoir [de] plus gros yeux que gros ventre, avoir peu d'appétit; » = vəri l' yè, « tourner l'œil,» mourir ; i n'a på frè i-j-yè, « il n'a froid aux yeux, » c'est-à-dire les yeux enflammés, il pas est amoureux, etc....

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LE NEZ.

N på chè léchi pacha la bouts' dèjò l nå, « ne pas se laisser passer le fétu de paille sous le nez,» être susceptible; avi di mòtsè din l nå, « avoir des mouches dans le nez, » = être contrarié; on fts' nå, « un fiche-nez, » = un fureteur; avi chi pi dè tera chu l nå, « avoir six pieds de terre sur le nez, » = être enterré; balyi chul nå, punir; avi chu I nå, être puni; avil nå de bou fèrå dè hlyou, « avoir le nez de bois ferré de clous, » = trouver porte close (« visage de bois »); chè trér' I na pò fér' vèrgòny' a chè dzoutè,« se tirer le nez pour faire honte à ses joues, = être dupe de soi-même, etc....

=

=

L'OREILLE.

Prindr' la lèvra pè lè-j-òròlyè, « prendre le lièvre par les oreilles,» saisir une occasion; tini l la pè lè-j-òròlyè, « tenir le loup par les oreilles,» être dans une position embarrassante; lè-j-òròlyè n gråvon på i-j-ano dè pòrta lǝ bå, « les oreilles n'empêchent pas les ânes de porter le bât, › = même l'âne peut rendre des services; on-n-a djèmé jou yu oun' ano a kourtè-j-òròlyè, << on n'a jamais eu vu un âne à courtes oreilles, les sots sont toujours orgueilleux; lè-j-òròlyè mè chublyon, troupa mè chu 1 pi gótsò, « les oreilles me sifflent, marche-moi sur le pied gauche »; chri on ni dè ratè din l'òròlyǝ d'on tsa, « ce serait un nid de souris dans l'oreille d'un chat, c'est une chose impossible, etc....

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LES LÈVRES.

I n vou på ouja chè bòtsè dè prèyi, « il ne veut [= futur] pas user ses lèvres à prier »; fér' la pòta, = faire la moue; chin lyè a cha pòta, « cela est à sa lèvre, » = cela lui convient, etc....

LA BOUCHE.

Balyi bouna bots', « donner bonne bouche, » faire espérer; balyi krouy' bots', le contraire; oura la bòts', = parler; oura la bòts' è nyon moadr', « ouvrir la bouche et ne mordre personne, » = bâiller; ch'òda l pan dè la bóts', « s'ôter le pain de la bouche, » = se faire déshériter; lyè kmin la gouna à dou dè Brò, lya adi l rir' a la bòts', » il est comme la truie à ceux de Broc, il a toujours le ris (riz) à la bouche,» (jeu de mots qui dénote la provenance française de ce dicton), etc.....

L. GAUCHAT.

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