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ARGOT DE MALFAITEURS

DANS LA SUISSE ROMANDE

AU XVIe SIÈCLE

Il existe aux archives de l'Etat de Soleure (Schreiben von Neuenburg, I, 168-171) un document datant de 1567, qui n'est pas sans intérêt pour l'histoire des mœurs et du langage dans notre pays. C'est une liste de quarante et un malfaiteurs, organisés en bande, qui opéraient à cette époque dans la Suisse occidentale et que les autorités de Neuchâtel signalent à celles de Soleure, afin qu'elles puissent se mettre en garde contre cette « malheureuse secte. » L'indication de chaque nom est accompagnée dans la règle de la mention du lieu d'origine et de quelque détail typique concernant le personnage. Ces renseignements, qui constituent un signalement rudimentaire, étaient dus aux aveux d'un des membres de la bande, Pierre Cherdon, qui avait été capturé et exécuté à la Neuveville l'année précédente. C'est sans doute sur les indications du même individu qu'a été dressée la curieuse liste suivante qui termine le document:

<< S'ensuivent aulcungs noms qu'ilz avoyent changés et qu'ilz parloient par ensembles afin que l'on ne les entendit:

« Au pain, de l'arty; au vin, de l'eau forte; au grenier, ung carar; bourse, follieuse; argent, paillie ; la corde, joyeuse; linceulx, large; chausses, tirans; sac, boyau; chemise, lyme robe, sobre; manteau, vollant; soulliers, passans; chappeau, perfond; chair, desterie; fromage, doraine; espée, trenchie;

es grandes villes comme Berne et autres cantons, grands buchies; es petites villes, abergies et temps; la prison, abergies de mydy; es gaigneurs [paysans], les pagans; l'hospital, le chasteau; la buia [lessive], la mollieuse. »

L'emploi par les malfaiteurs de profession d'un langage de convention leur permettant de communiquer entre eux sans être entendus des non initiés est un fait bien connu, et les documents qui nous ont conservé des restes plus ou moins considérables de ce jargon remontent en France jusqu'au xve siècle. Une comparaison attentive de tous ces documents avec les mots de notre liste donnerait peut-être lieu à des rapprochements intéressants, mais nous ne pouvons songer à entreprendre ici cette étude. Bornons-nous à constater que des termes tels que tirants, 'bas', volant, 'manteau', passants, 'souliers' sont encore aujourd'hui en usage dans l'argot parisien et que d'autres de nos mots du xvre siècle se retrouvent dans ces jargons du Jura et de la Savoie, basés en grande partie sur le patois local, qui ont servi jusqu'à une époque toute récente de langage secret à certaines corporations d'artisans, maçons, tailleurs de pierre ou peigneurs de chanvre, lors de leurs émigrations périodiques. C'est ainsi que arti 'pain', fait partie du « bellau » du Jura1 (des formes analogues se rencontrent également dans l'argot de Paris), follieuse bourse' se trouve dans le «mourmé » de Samoëns 2; lyme, 'chemise' est évidemment le même mot que linma, chemise', dans le « terratsu » de la Tarentaise3, et peut-être faut-il voir dans doraine, 'fro

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1 Voy. CH. TOUBIN, Recherches sur la langue bellau, argot des peigneurs de chanvre du Haut Jura.

(Mém. de la Société d'Emulation du Doubs, 1867).

2 Voy. TH. BUFFET, Vocabulaire mourmé-français, Annecy, 1900. 3 Voy. Abbé PONT, Vocabulaire du terratsu de la Tarentaise, Chambéry, 1869.

mage' une erreur de transcription pour dorame, correspondant au mourmé drame, 'fromage'. Quant à carar, ‘grenier', c'est sûrement le mot valaisan racard modifié par le procédé si commun dans ces jargons de la transposition des syllabes. Comme la plupart des affiliés de la bande était originaires du Pays de Vaud, du Valais, de la région de Genève et de la Savoie, il n'est que naturel que certains éléments de leur argot proviennent de ces contrées.

J. JEANJAQUET.

ADDITIONS

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I. A propos de la remarque de M. le professeur Singer sur le proverbe Nichts ist gut für die Augen, j'ai entendu à Delémont, à la pharmacie d'un de mes amis, des paysans demander pour 10 ou 20 centimes de rien ou de nix. On donnait une pommade de zinc (d'oxyde de zinc, je crois). Un professeur de Lausanne m'a expliqué que certain composé du zinc ne laissait aucun résidu lors de la combustion; d'où son nom pharmaceutique de: nihilum (sic) album.

Bâle.

A. ROSSAT.

II. Dans le N° 2 du Bulletin de 1903, p. 25, on cite le mot lou-z-anari comme exemple douteux. Rien de moins douteux que ce mot. Nous disons ò-n-anari pour une narine, et lou-zanari pour les narines, tout comme nous disons ò-n-ǝpouä pour un point au côté et, lou-z-apouä pour les points et la pleurésie, ò-n-ǝtòr pour un étourdissement passager, et lou-z-ǝtòr pour le tournis ou des maux de tête fréquents.

Leysin.

A. NEVEU.

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