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3. Le contraire du type: nabit.

Un seul mot présente la perte de l'n initiale; c'est

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abo, s. m., pour nabo, moyeu d'une roue', Fribourg, s'il vient de l'allemand Nabe (voir Idiotikon, IV, p. 631), Bridel donne abot' essieu ', c'est sans doute le même mot.

4. Type: komotivǝ.

1. Dans le mot français locomotive, d'importation toute. récente, la syllabe initiale avait pour les patoisants du Jorat l'air de l'article masculin lo, de là la fausse séparation du mot en lo komotiva qui amène un changement de genre, fréquent dans les mots importés. Puis le mot redevient féminin, c'est ainsi que Favrat l'emploie dans la phrase: vatelé via avoué la comotive. (Mélanges vaudois, p. 243.) Comparez le sifèr, le diable', pour lucifer, dans le patois de Cellefrouin (dép. Charente-Inférieure).

2. mala, pour lamala, lamelle, lame' (Valais).

CONCLUSIONS

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Les pages qui précèdent sont loin d'avoir épuisé le sujet, tant pour le phénomène de l'agglutination en général, que pour les exemples à tirer de nos patois. Mais les mots que nous avons passés en revue, au nombre de plus de soixante, suffiront à donner une idée d'ensemble de la question.

Il n'est pas sans intérêt de voir comment nos exemples, tirés tous du même domaine géographique, se répartissent entre les différents procédés ou types indiqués. Ce qui frappe tout d'abord, c'est que les cas d'agglutination sont bien plus nombreux que ceux de déglutination, le procédé augmentatif est représenté par 47 cas, soit environ 3/ du total, le procédé inverse seulement par 17 cas, soit à peu près 1/4

Cette disproportion n'est pas l'effet du hasard, car en cherchant systématiquement des exemples d'agglutination et de déglutination dans tout le domaine des langues romanes, on

trouve partout que les substantifs ont été bien plus souvent augmentés que diminués par leur contact avec l'article.

Quant à l'explication de cette prédominance, elle est bien simple. En théorie, tous les substantifs, quelle que soit leur initiale, voyelle (type l-endemain) ou consonne (type: é-cornes), peuvent subir l'agglutination, tandis que la déglutination ne peut se produire que dans certaines conditions phonétiques: le mot doit commencer par / ou n (cas leckerli et nabe), ou par a (cas a[midon), par o, lo, la, etc. On voit qu'un nombre beaucoup plus restreint de mots remplissant ces dernières conditions, la déglutination a forcément moins de prise.

Le second fait qu'il importe de relever, c'est que, parmi les 9 types étudiés, il y en a 3 qui sont de beaucoup plus riches en exemples que les 6 autres. Ce sont tout d'abord les deux types: lendemain et écornes, remarquables par leur fréquence relative; ils sont à peu près de même force l'un que l'autre, et forment ensemble environ 2/3 du total. Aucun type de déglutination ne peut rivaliser avec eux; un seul, celui de a]midon, est d'une fréquence notable, englobant / du total des cas.

Cette statistique sommaire nous permet d'établir certaines conditions dans lesquelles l'agglutination ou la déglutination a lieu et sans lesquelles elle ne se produit pas. Ces conditions. sont d'ordre différent : elles concernent avant tout la composi tion phonétique de la syllabe initiale du substantif; cependant, la fonction et le sens du mot ne sont pas indifférents.

A. CONDITIONS RELATIVES A LA FORME DU SUBSTANTIF:

Sont surtout sujets à l'agglutination avec l'article les substantifs qui commencent par une voyelle quelconque (type: lendemain).

Sont sujets à la déglutination les substantifs :

I. qui commencent par 7 (ou n), type: Jécrelet;

2. dont la première syllabe est égale à la partie vocalique de l'article défini, type: a]midon.

B. CONDITIONS RELATIVES A LA FONCTION DU SUBSTANTIF :

Pour qu'une forme de l'article, plutôt qu'une autre, se soude plus ou moins définitivement au substantif, il faut que ce substantif soit ordinairement employé dans un des deux nombres : ainsi le lendemain, le haut, le pis, le nombril, le hibou, le hoquet, etc., tous mots qui ne sont guère employés au pluriel; ou alors les cornes, les ciseaux, les tenailles; les 'étours'; les yeux, les œufs, etc., qui sont surtout ou presque exclusivement employés au pluriel.

Enfin, quant aux conditions qu'imposerait à l'agglutination le sens des substantifs, notre collection ne confirme pas entièrement l'opinion de M. Meyer-Lübke, qui croit que la maladie de l'agglutination n'atteint guère que les mots rares, Romanische Grammatik, I, p. 356, car, pour ne citer que quelques exemples, qui oserait appeler rare l'emploi des mots : yeux, escalier, horloge, cornes, lendemain, le haut, leçon. En outre, des mots tels que la hotte, le pis, abri expriment des idées très familières à la vie du paysan.

Toujours est-il que de notre soixantaine d'exemples, il y en a une bonne trentaine dont l'usage peut être vraiment qualifié de rare, comme par ex. : tournis, hoquet, gerçure, chenét, amidon, alène, etc. Pour s'en mieux convaincre, on n'a qu'à prendre un groupe d'idées et à chercher la proportion entre les mots rares et les mots fréquents; ainsi dans les parties du corps nous trouvons 5 mots rares: cils, narines, luette, nombril, orteil, contre 3 mots plus ou moins fréquents: yeux, écornes, pis. Parmi les noms d'animaux, la proportion est encore davantage en faveur de la thèse des « mots rares; » on ne peut pas même considérer le mot oie comme étant d'un usage fréquent; des autres bêtes: lézard, orvet, salamandre, loriol, hérisson, hibou, on n'en parle pas même tous les mois.

Nous ne nous éloignerons donc pas trop de la vérité en disant que, toutes les autres conditions étant égales, un mot

rarement employé a un peu plus de chance de subir l'aggluti nation qu'un mot d'un usage fréquent.

Ajoutons que les quelques mots d'origine étrangère (écrelet, ègrafas, brǝmèl, abo), ou d'origine savante (léthargie, amidon, locomotive) confirment cette façon de voir, car au moment de leur introduction dans le patois la chose qu'ils désignent était nouvelle et rare.

Je me hâte cependant d'ajouter que, si la rareté du mot est pour quelque chose dans l'agglutination, le facteur le plus favorable à produire cet accident de langage, est sans aucun doute le contact intime d'un substantif avec telle forme de l'article plutôt qu'avec telle autre, de là les cas si étonnants au premier abord les zyeux et les écornes, qui semblent narguer la théorie des « mots rares. »

LA BOUA

E. TAPPOLET.

La bibliothèque du collège de la Chaux-de-Fonds renferme, réunies dans un portefeuille, 41 pièces patoises ou relatives au patois, qui sont de la plus haute importance pour la connaissance de l'ancienne langue, aujourd'hui absolument éteinte, de la Montagne neuchâteloise. Cette collection constitue le No 7639 du catalogue manuscrit. Elle a été composée jadis par Célestin Nicolet, dont les héritiers ont eu la bonne idée de la déposer à la dite bibliothèque, sauvant ainsi ces précieux papiers de l'oubli. Plusieurs de ces documents sont inédits, notamment les petits vocabulaires, dont l'un contient entre autres des mots très rares, par exemple des noms de plantes, etc., qui figurent sous les Nos 7 à 15. C'est d'une pièce de vers humoristique que j'aimerais aujourd'hui entretenir nos lecteurs.

Elle est intitulée La boua (la lessive), émane de feu l'avocat Auguste Bille1, et se rencontre quatre fois dans le recueil, sous les Nos 25, 32 a et b, et 33. Disons tout de suite que les Nos 25, 32 a et 33 sont identiques, sauf les variantes orthographiques inévitables dans la copie de documents patois. Comme la façon d'écrire les dialectes n'a jamais subi l'influence des académies, chacun est libre de suivre ses goûts et préjugés. Ce qui frappe davantage, c'est la grande indépendance du texte donné sous le N° 32 b. Nous pouvons distinguer, comme pour les grandes épopées de l'ancienne littérature française, plusieurs familles de manuscrits, que j'appellerai les familles A (Nos 25, 32 a, 33) et B (No 32b). Lequel de ces deux groupes repose sur la bonne tradition, et représente le plus fidèlement l'original? Comme, au fond, toute poésie populaire est sujette à des remaniements arbitraires, cette question n'est pas sans intérêt, et l'on voudra me permettre d'étudier, à la manière des philologues, les rapports qui existent entre les variantes de texte de notre petit poème, tout moderne et tout patois qu'il soit.

Le comité du patois neuchâtelois a reproduit le morceau dans le volume que je viens de citer en note, p. 131, d'après le No 32 6. Etait-il bien inspiré en préférant cette rédaction? Notons dès à présent que la copie du Patois neuchâtelois a sauté le huitième vers de la rédaction B, de sorte que la rime gôdillon se trouve sans correspondance. Je ne critique pas la transcription souvent erronée. Quant aux variantes de texte, le lecteur verra plus loin quelle confiance elles méritent.

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1 Quant à l'auteur, Lucien Landry parle, dans une note du volume Le patois neuchâtelois, Neuchâtel, Wolfrath, 1894, p. 131: de l'esprit piquant, humoristique à l'excès, de ce bossu à l'air chétif, mais qui avait su se faire une place distinguée dans la société des femmes d'esprit et élégantes de la Chaux-de-Fonds ». Voir, du reste, la biographie de l'avocat Bille, par John Clerc, dans le volume publié à l'occasion du Centenaire de l'incendie de la Chaux-de-Fonds.

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