Page images
PDF
EPUB

dant le Vully, le district du Lac et la Broye présentent ja ou jè. La limite est formée à peu près par la ligne de chemin de fer Lausanne-Fribourg. Le Jura vaudois semble préférer jæ, jé; pour œil-de-bœuf' (ouverture dans la grange), Sainte-Croix dit toujours jē-dé-bu. En général, le canton de Vaud offre la forme ja ou jè, excepté la partie qui touche au canton de Neuchâtel (Bullet: ay, Provence: ), les Alpes vaudoises et la plaine du Rhône où nous voyons dominer les formes non agglutinées: yé, uè, u. Dans l'ouest du canton la lutte entre les formes agglutinées et non agglutinées n'est pas terminée: on y rencontre ouè à côté de jouè.

Tel est également le cas du canton de Genève où l'on trouve zouè, joué à côté des formes plus répandues: sing. nyuè (avec agglutination d'une partie de l'article indéfini on), plur. jouè.

Les cantons de Neuchâtel (ou, ou, u, ulyou, ulyo, you, aly') et de Berne (ay, άy, éy) ne connaissent absolument que les formes légitimes.

2. zao, s. m., pour 'œuf' m'est attesté pour Forel et pour Oron. On y dit: bayi on zao pòr avay on bao, ' donner un œuf pour avoir un bœuf’.

3. zouya, s. f., pour 'oie,' se rencontre dans le patois d'Hérémence (Valais) 1.

4. ziga, s. f., vieille jument, dans la vallée de Joux, pour iga, descendant régulier du latin equa, jument' (cf. le provençal egua, ancien français ive, etc.)

Ajoutons à ces quatre cas d'agglutination plutôt accidentelle un vieux mot valaisan où la trace de l'article n'a été révélée que par l'investigation étymologique :

5. frimisé, s. f. pl., ' prémices' dans le val d'Annivier 2.

1 Voir de Lavallaz, Essai sur le patois d'Hérémence, p. 70, 171. On devrait avoir lè-jouya comme on a lè-j-infan; le z semble importé d'un autre patois.

2 Ces prémices consistent en fromages que les Anniviards présentent solennellement à l'église un dimanche de septembre. Voir Romania, XXV, p. 437

Comment expliquer la présence de cet ƒ à la place du p qu'on attendrait? M. Gilliéron nous rappelle que l'f de ce patois provient quelquefois de sp latin; ainsi spina, épine, donne éfana, spissus, épais, devient èfè, et il dérive, très ingénieusement, notre frimisé de illas primitias, où l's du pronom-article s'est soudé de très bonne heure à la consonne initiale du deuxième mot qui était toujours employé au pluriel. Reste une difficulté à résoudre spina donnant épana, sprimitias a dû passer par éfrimisé. Il faut supposer que dans cette forme l'e initial a été retranché par confusion avec l'article pluriel lé, de là la forme actuelle frimisé.

:

4. Type: le nabit.

Les cas de ce genre sont rares dans nos patois. On en trouve par contre de nombreux exemples dans les patois de la Belgique ainsi que dans ceux de la Suisse allemande, où l'on entend fréquemment dire: dr nacht pour dr acht ('le huitième '), dr näti pour dr äti1 ('le père '). Ainsi nous avons :

1. nirèson, de on-n-irèson (un hérisson), à Blonay (Odin, Phonologie, p. 153). Le hasard veut que le même mot présente une forme agglutinée à Mons (Belgique).

2. nòrtsə, s. f., mauvais génie, sorcière, diable. Bridel a tiré ce mot curieux, non sans réserve, de norne, nom de déesses scandinaves qui correspondent aux Parques des anciens. C'est pure fantaisie; cette explication est aussi inadmissible que cellequi dérive vodě, nom du diable, du dieu germanique IVuodan2. Si de pareils rapprochements étaient pardonnables à l'époque de Bridel, ils le sont déjà beaucoup moins en 1903, année qui a vu paraître l'Histoire du canton de Vaud, par Maillefer, où

1 Comp. le français nombril pour ombril, de umbiliculum, où l'n peut s'expliquer par agglutination et par dissimilation, l'ombril, puis le lombril le nombril.

2 Pour la vraie origine du mot vódè, voir E. Muret, Archives suisses des traditions populaires, II, p. 180 ss.

ces étymologies germaniques sont citées à la page 76 comme traces des Burgondes dans nos patois.

Je m'explique le mot nòrts de la façon suivante le latin Orcus, nom du dieu des enfers, est devenu dans les langues romanes un appellatif dont le sens varie, mais qui désigne partout un être à la fois imaginaire et redoutable 1. Grâce à ce sens flottant, le peuple se représentant cet être qu'il n'a jamais vu, tantôt sous forme d'un homme, tantôt sous forme d'une femme, on a donné à orcus un féminin, orca, qui est devenu régulièrement òrtsa dans le patois vaudois, puis, par agglutination de l'article indéfini, nòrtsa. On a dû dire souvent l'é on-nòrtsə, ou l'a rizu kəmin on-n-òrtsə, il a ri comme une sorcière'. Si le substantif nòrtsa tend à disparaître avec l'idée peu moderne, le verbe in-nòrtsi, ensorceler, endiabler, faire enrager' est encore bien vivant dans le patois. -On pourrait aussi songer à dériver le n de notre nòrtsa de ce verbe. On aurait eu d'abord òrtsa, puis innòrtsi, enfin, le mot simple modifié par le dérivé: nòrtsa. La première explication a l'avantage d'être appuyée par de nombreux cas analogues.

III

Nous n'avons vu jusqu'à présent qu'un côté de notre phénomène linguistique. Dans tous les exemples traités le corps du substantif en question est augmenté d'un son provenant de l'article, soit défini, soit indéfini. Il nous reste à examiner le procédé inverse. Puisqu'on se fait si facilement des idées fausses sur la vraie forme du substantif combiné avec l'article, il serait étonnant si cela arrivait toujours au profit du substantif et

En Italie, orco, fort répandu dans les dialectes, signifie croque-mitaine, fantôme, épouvantail. » L'orco est le personnage typique des contes de fée; comp. ogre en français; en Espagne, uerco désigne l'enfer (sens latin) et le diable. La femme de l'orco italien s'appelle orchessa. Notre féminin orca est peutêtre né sous l'influence d'un autre mot orca qui en latin et en italien signifie une espèce de gros dauphin, « hétérodon ou épaulard.

jamais à ses dépens. Plusieurs exemples sont là pour démontrer qu'en effet ce procédé contraire existe, c'est-à-dire que tel substantif, au lieu de gagner en consistance par la confusion avec l'article, y perd. C'est une agglutination négative qu'on pourrait appeler « déglutination. » On l'observe également dans le langage des enfants, par ex. : une anterne, les anternes, pour « lanterne. »

LA DÉGLUTINATION

Nous pouvons distinguer quatre types:

1. Le contraire du type: lendemain.

Les mots suivants ont perdu leur / initial qu'on prenait pour l'article élidé.

1. écrelet, s. m., forme employée à côté de lécrelet dans le langage populaire de Genève (Humbert). Ce n'est pas autre chose que le mot allemand leckerli, sorte de pain d'épices. Le dictionnaire de Littré enregistre écrelet, parce que Rousseau l'a employé dans la Nouvelle Héloïse, IV, 10, où il dit: La Fanchon me servit des gauffres, des écrelets.

2. ègrafas', s. m., pour lègrafas' 'grand vase de cave' terme de vigneron (v. Gignoux, Terminologie du vigneron, p. 43). C'est le mot allemand suisse : Lägerfass 'tonneau de chantier, foudre' (Idiotikon, I, 1051). La forme sans l n'est attestée que pour le vignoble de Lavaux ; la forme normale dans les cantons de Vaud et de Fribourg est lègr ou lègrafas'.

[ocr errors]

3. 0, os, s. m., pour lo, los, récompense ', c'est le latin laudes, louanges', ancien français los. O, os se trouve en ancien fribourgeois du quinzième siècle, il a disparu dans les patois modernes. (Voir Girardin, Le vocalisme du fribourgeois au quinzième siècle, p. 36.)

4. étargie, s. f., pour 'léthargie'; le Conteur vaudois (1895, No 48) écrit: parait que l'étái coumeint on dit, ein nétargie; on peut interpréter cette graphie de deux manières ou bien le n fait partie du mot, on a dit la néthargie, dans ce cas l'n

peut s'expliquer par dissimilation avec / (au lieu de la léthargie on a dit la néthargie), ou bien le n n'est que la consonne de liaison, nous avons alors affaire à la forme déglutinée : étargie. 2. Le contraire du type: aglan.

En général, ce sont des mots féminins dont l'a initial s'est détaché par confusion avec l'article.

1. valantsə ou lavantsə, s. f. (Ormonts), pour avalantsə ou alavantsə, avalanche', si le mot vient réellement de ad vallem

antia.

[ocr errors]

2. baï, s. f., pour abaï, abbaye', ancienne fête de tir dans le canton de Vaud. Aux Ormonts, on dit par ex. : la vilyə baï, 'la vieille abbaye', ou rin-ta si-y-an pòr pasā lè baï? « Vienstu cette année pour passer les abbayes'. »

[ocr errors]

3. grèta, s. f., pour agrèta, cerise commune', à Dompierre (Fribourg). C'est une variante du mot français griotte pour agriote, dérivé de aigre, mot qui est aussi très usité dans la Suisse romande.

4. tsèta, s. f., pour atsèta, 'hache' (Fribourg). Dans ces deux. mots, la voyelle tonique du radical primitif a passé à l'article. 5. luèta, s. f., pour aluèta, alouette,' forme usitée dans la Broie (Fribourg).

6. lèyna, layna, s. f., 'alène ', Fribourg; l'Etivaz (Vaud). 7. midon, s. f., pour èmidon, amidon, Jura bernois (patois de Delémont et de l'Ajoie). A Charmoille, on dit par ex.: ïn pò d'midon, un peu d'amidon '.

[ocr errors]

8. lèytyé-vatsa, s. f., pour allaite-vache', un des mots qui désignent la salamandre (Fribourg).

9. bramèla, s. f., pour l'abrǝmèlə, farine d'avoine', de l'allemand suisse Habermehl.

Voici un exemple pour l'article masculin, l'inverse de l'ostan pour lo stan.

10. relòdzo, s. m., pour * orlòdzo, 'horloge', du latin horologium. - Ce mot montre souvent cette aphérèse dans les langues romanes, ainsi anc. prov. relotge, espagnol reloj, etc.

« PreviousContinue »