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1. Type: aglan.

1. Le mot aglan est particulièrement intéressant, d'abord parce que c'est une des rares formes agglutinées qui nous soient attestées dans l'ancienne langue, en provençal et en français, ensuite parce qu'elle occupe un domaine géographique très étendu. Nous la retrouvons, en effet, de la Catalogne jusque dans les dialectes franco-provençaux, et en outre en Lorraine, dans le Morvan, le Berry, le Poitou, le Bas-Maine 1. L'a initial de ce mot étonne au premier moment, et on a eu recours, pour l'expliquer, au grec azuλoç, « gland mangeable » et au gothique akran, « fruit. » Mais c'est sans aucun doute simplement le latin glans qui est à la base de la forme aglan. Le mot était féminin en latin et conserve ce genre en roman. On a dit la glan, una glan, et de là, par l'agglutination de l'a final de l'article, on a tiré la forme aglan. L'emploi dominant du mot au singulier s'explique par sa valeur collective: de la gland, comme: de la feuille, du raisin, etc.

Quant au passage de alyan au masculin, que nous constatons dans toute la Suisse romande, de même qu'en lyonnais et en lorrain, il est dû sans doute à l'absence de terminaison féminine et a été facilité par la présence d'une voyelle à l'initiale. Le français présente plusieurs exemples de changements analogues.

Le Jura bernois, ici comme dans bien des cas, se sépare des autres cantons romands et fait usage d'une forme non agglutinée yin, du genre masculin.

Les autres exemples sont d'un usage très local:

2. l'alǝson, s. f., « la leçon, » dans les patois vaudois et neuchâtelois. On dit par exemple: vein dere ten' alesson! viens dire ta leçon ! » ou : totès sortès d'alessons 3.

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3. l'amaron, s. m., « le marron, » cf. amarrūni, « marronnier. Je m'explique cette forme curieuse de la façon suivante:

1 Voir A. Thomas, Mélanges d'étymologie française, p. 10. 2 Cité par Cornu, Romania VII, p. 109. 3 Conteur vaudois, 1895, n° 1.

on disait autrefois lo maron, puis le mot devient féminin sous l'influence du synonyme tsatanye, d'où la maron et, par agglutination, l'amaron.

4. l'aluetta, aluvetta, s. f., « la luette, » (Vaud). Le mot est particulièrement intéressant en ce qu'il est doublement agglutiné: uvitta > uetta, l'uetta, luetta, la luetta, l'aluetta.

5. l'èsōt', s. f., pour lè sōt', « abri contre la pluie; » on dit par exemple inn èsōt à Charmoille (Jura bernois). Le mot est tiré du verbe su(b)stare.

Enfin un exemple masculin:

6. l'òstan, pour lò stan, « le stand de tir » (Blonay et Paysd'Enhaut). On dit à Blonay: on-n-òstan.

Nous passons à l'agglutination ayant pour base le pluriel de l'article.

2. Type: les écornes.

Les patois de la Suisse romande semblent particulièrement riches en exemples de ce genre. Ce qui caractérise ces mots, c'est qu'ils expriment tous, ou presque tous, une idée de pluralité; ce sont des pluralia tantum, comme dit la grammaire latine, dont une bonne partie désignent des objets ou instruments se composant de deux éléments, comme les cornes, les narines, les ciseaux, les tenailles, la balance.

1. écorne, forme courante du Jura bernois. On disait d'abord: sing. lè kouǝn', plur. lé kouan'. Puis le pluriel étant d'un emploi extrêmement fréquent, on a pris ce pluriel de forme pour un singulier de sens (cp. la balance, le pantalon, etc.), et on est arrivé à dire èn'ékouǝn', « une corne, » dé kō d'ékouǝn', « des coups de corne, » ïn bou d'ékouən', « un bout, un tronçon de corne. » Même dans les dérivés il y a la prosthèse: lè-z-ékouènat' << les petites cornes. » La forme agglutinée n'a cependant pas remplacé partout la forme régulière, qu'on trouve encore, par exemple, dans la formulette enfantine: kouən də buə, kouən də vètch, etc. « corne de bœuf, corne de vache, » etc. On emploie aussi communément : lè kouan' pour désigner la corne comme

substance, ce qui confirme notre hypothèse que ékouɔn est un ancien pluriel. Le proverbe: pu véy lǝ bòk, pu dur l'ékouǝn', << plus le bouc est vieux, plus la corne est dure,» semble cependant indiquer que la distinction n'est pas toujours strictement observée.

2. èpilyon, pour pilyon, « cils, est attesté pour la Gruyère (Fribourg).

3. lou-z-ǝnari, « les narines, » à Leysin (Vaud), exemple douteux.

4. les éforces, « ciseaux (à tondre les moutons), » pour les forces, du latin forpices, cf. l'italien le forbici. Le mot est répandu dans presque toute la Suisse romande, et tout particulièrement vivant dans le Jura bernois: éfouch' en Ajoie 1. 5. les étenailles, « les tenailles, » dans les cantons de Fribourg, de Neuchâtel et de Genève.

6. les ébalances, « les balances; » Vallée de Joux, Gros-deVaud; Crémine (Jura bernois).

Termes collectifs proprement dits:

7. les égrā, « escalier, » pour lé grā, du latin gradus, «marche,» mot courant dans toute la Suisse romande, ainsi qu'en Savoie, etc. Bridel donne même édegra, s. m. << escalier,

degré, qui est à degra ce que égrā est à grā.

8. les élouyes, « galeries des maisons rustiques, » pour lé louyè, du vieux haut allemand laubja, en français loge. » élouya est neuchâtelois.

«

9. les ébouatons, s. m. pl., « étable à porc,» pour les bouatons, mot vaudois. Pour le pluriel, comparez « les écuries, » en allemand die Stallungen.

«

Les trois mots suivants désignent un état maladif, qui se fait sentir par des accès répétés:

10. les époints, s. m. pl., « les points, la pleurésie, » Ormonts, Valais et ailleurs.

1 L'agglutination semble avoir déjà existé en ancien français, où on trouve efforges, s. f. pl. < tenailles. >

*

II. les étours, s. m. pl., pour « les tours, le tournis, > (maladie du bétail) mot vaudois et neuchâtelois. Dans le parler neuchâtelois, j'ai les étours signifie « la tête me tourne. »

12. les éfrissons, s. m. pl., pour « les frissons, refroidissement, » mot qui m'est attesté pour le district de Grandson, pour le Pays d'Enhaut et pour la montagne neuchâteloise. Enfin nous avons encore:

13. les écrevasses, s. f. pl., pour les crevasses, gerçures de la peau. » lez ékrévasé, à Vaulion (Vaud).

14. yæjard, pour « les lézardes, lézard,» dans le Jura bernois (Sornetan et Crémine).

15. éflyèyi, pour flyèyi, « fléau, » se rencontre dans la Broie (Fribourg), et dans plusieurs patois valaisans.

16. ékramona, s. f., pour kramana, « froid rigoureux, à Le Mont (Vaud). Je dérive le pluriel lé kraməné, d'où l'ékraməné, du sens de tourbillon de neige, » qu'indique Bridel, p. 216. E. TAPPOLET.

TEXTE

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Les Fées de Grand'Combe.

CONTE POPULAIRE EN PATOIS D'EVOLÈNE (VALAIS).

Èn oun' tein lè fãyè lè-j-abətāvoun' in la nouðra koumouna. Lè-j-ounè lè rèstāvoun' èmpè lè freinze dei byény, lè-j-ặtrè èmpè lè bouạtè dei chès1 è kakoune èmpè dè tòch kɔ lè fajanʼ

TRADUCTION

Jadis, les fées habitaient dans notre commune. Les unes logeaient dans les crevasses des glaciers, les autres dans les fissures des rochers et quelques-unes dans des tours qu'elles

atò dè moụr• dè rùvìna?. En Òlein-na3 y avìk ouna vyély fāyə kə lə gòvèrnāvè lè-j-ātrè è kə lə rèstavè èmpèr ouna tòr kountre Chachaneira chùr ouna grócha pareis dè ché. L'avik aoué lyè daou óou trè-j-atre. Tò don'kèdon' lè fajan' parti dè rùvìnè ka vǝnyan' koun'tchyè lè pras dei Flants. Lò tsätein5 daouè dè lóou lè6-j-alavoun' chè ferè nouri ei padóouch dei moun'tanyè dè la koumouna; l'ouna lə rólavè pè lè moun’tanyè dóou rèdout è l'atra èn' xlè dóou rève. Tò la moun'do chè pleinjik kè ɣlè dặouè fặyè lè-j-iran' kòðó̟oujè̟, ma kè ferè ? Nyoun oujavè lóou dìrè mòs ni lóou férè la meindra tsốja pè chèn' k y avan' pouïr ka lè-j-assan' balya dè mă a xlóous kə lè-j-auran'1o insùltayè óou bìn fé(t) dè-j-étsèrnyo.

Oun' an' la papouch de la Nisva chè choun' dit: Nò vòlein einkò vềr cha nò pourein pa nò dèbarachyè dè stè kankone 11. Chè choun' èn'tèn'douk kè kan' l'ouna óou l'atra de

faisaient avec des matériaux d'éboulis. A Evolène, il y avait une vieille fée qui gouvernait les autres et qui demeurait dans une tour du côté de Sasseneire sur une grande paroi de rocher. Elle en avait avec elle deux ou trois autres. A tout moment elles faisaient descendre des éboulements qui venaient salir les prés des Flanches. En été, deux d'entre elles allaient se faire nourrir par les pâtres des alpages de la commune ; l'une rôdait dans les alpages du versant droit de la vallée, et l'autre dans ceux du versant opposé. Tout le monde se plaignait que ces deux fées coûtaient beaucoup; mais que faire ? Personne n'osait leur dire mot ni leur faire la moindre chose, parce qu'on avait peur qu'elles ne donnassent le mal à ceux qui les auraient insultées ou leur auraient joué des tours.

Une année, les pâtres de la Niva se sont dit : « Nous voulons cependant voir si nous ne pourrons pas nous débarrasser de ces sorcières. » Ils sont convenus entre eux que quand l'une ou l'autre des fées passerait, ils devaient s'appeler par le nom

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