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Sonnet.

(PATOIS DU CLOS DU DOUBS, JURA BERNOIS.)

Ya souè, i o1 kakè an lè pouɔtch' d'mè tyάjinn' :
I sat d dachu mè sèl2 pò défròmè 3 mè pouatch';
I tchouè kāzi ā dō an vouèyin an lè linn',

Din stu ka s'èmouinnè, lə dyèl ou yün 5 d sè souǝtch'.

I ma rbòtè6 bin vit, iy bèyè in bintcha.

Tyin èl a bu in vouèr', è m' dyé : « èkout', pté-l-ann'";
Di môman k t mé bin rsyè, i n ta và p fir do mà ;
Dāk' i vin də l'anféyə, i n' sở p' cho krouy' k’èl sann'.

I sa an trin d' ròlè, dǝchu vòť pouǝr ptèt bōl',
Ma foèrin to pètchò8, pò l'mā n'étin djmè sōl9
E ranpyéchin l'anféyə d’tò sé kə n'fin 10 p' lə bïn.

Min11, kman ta mê pyèju, it và dir s k è ỉ fa fir
Pòt savè dǝ l'anféyə : pran inn' fann', nə bouè dyèr',
Bèy' è pouǝr, n' di d' ma d'nyün12, n'anvéy' p' s'kə n’ā p' lɔ tin.

JULES SURDEZ.

TRADUCTION

Hier soir, j'entends frapper à la porte de ma cuisine,

Je saute de dessus ma chaise, pour ouvrir (défermer) ma porte; Je tombe presque à la renverse en voyant, à la lune (au clair de Dans celui qui << s'amenait », le diable ou un de sa sorte. [lune),

Je me remis bien vite, je lui donnai un petit banc (escabeau). Quand il eut bu un verre, il me dit : « Ecoute, petit homme, Puisque tu m'as bien reçu, je ne veux pas te faire de mal; Quoique je vienne de l'enfer, je ne suis pas si mauvais qu'il le [semble.

Je suis en train de rôder sur votre pauvre petite boule,
Me fourrant tout partout, de faire du mal n'étant jamais las,
Et remplissant l'enfer de tous ceux qui ne font pas le bien.

Mais comme tu m'as plu, je veux te dire ce qu'il te faut faire
Pour te sauver de l'enfer : prends une femme, ne bois guère,
Donne aux pauvres, ne dis du mal de personne, ne convoite pas
[ce qui n'est pas le tien. »

NOTES

1 Inf. oyi, « ouïr», mot généralement employé dans la Suisse romande pour < entendre, > et qui tend à être remplacé par ce dernier.

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2 sèl, Neuch.: sèl, Vaud: sala (cp. bala de bellam), Valais: séla (Vionnaz), mot général pour chaise, semble remonter au latin sella, « chaise, siège. › Le sens primitif du mot selle s'est conservé en français dans plusieurs expressions. La forme fribourgeoise chóla reste à expliquer.

3

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défròmè, « défermer, > curieux synonyme de avia, « ouvrir. » Le patois connaît deux mots pour fermer » (une porte, etc.): syour, clore, c'est la fermer sans faire usage de la clef ou du verrou, c'est la fermeture ordinaire, et fròmè fermer à clef. » avia est probablement l'opposé de syour, et défròmè celui de fromè. Pour la formation, cp. délayti, < sevrer, contraire de alayti, allaiter » (Vaud).

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On s'attendrait à dyāl, d'après ètāl, de stabulum; djnòvrāl, de diurnum operabilem; cp. aussi rual(e), diable, de rutabulum; àjrāl, «érable, de acer arborem.

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5 < un apparaît toujours sous deux formes, l'une accentuée, l'autre non accentuée; in comme article, (y)ün comme nombre ou comme article accentué; « une > est inn' ou enn' dans les deux cas.

6

“ bòtė, rbòtè; boutā, bɔtā (Vaud), est le mot de la Suisse romande pour mettre, qu'on trouve cependant aussi sous la forme mantr dans le Jura bernois.

7 Pour l'intercalation de cette /, voir plus haut p. 5.

8 La forme pètchò nous prouve que la composition de l'adverbe < partout, attesté du reste en français dès le douzième siècle, est antérieure au passage de rt à tch.

9 sol, de là sòlè, < fatiguer, » de satullare, solin, adj. ‹ fatigant, ennuyant. »

10

° fin, « font, › de même in, « ont, » vin, « vont. »

>

11 min, forme très répandue pour ‹ mais; › pour la nasalisation, cp. mantr, « mettre; » è man, « il met; » nantèyiə « nettoyer.> Aux Ormonts, on dit manxon, ‹ maçon. › D'après ces exemples, la nasalisation semble se produire quelquefois sous l'influence d'une consonne nasale précédant la voyelle.

12 nyün, personne, de necunum, mot conservé dans toute la Suisse romande. E. TAPPOLET.

NOTES LEXICOGRAPHIQUES

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1. touao, tyuèidè.

Un usage qui a subsisté dans le Bas-Valais jusqu'à une époque assez récente était de présenter à l'offrande, dans les cérémonies funèbres, une miche de pain. Cette miche, portée dans la main gauche, pendant que la droite tenait un cierge, était recouverte d'une sorte de serviette plus ou moins fine, parfois ornée de broderies. On donnait à cet accessoire obligé le nom de touad (Champéry), tyuèidè (Liddes). Il est facile de reconnaître dans ce mot patois, aujourd'hui hors d'usage, l'équi valent de l'ancien français toaille, touaille, « nappe, serviette, >> que Littré et le Dictionnaire général enregistrent encore comme mot vieilli ayant le sens d'« essuie-mains ».

C'est un terme d'origine germanique, thwahlia, qui a passé dans la plupart des langues romanes: ital. tovaglia, esp. toalla, prov. et port. toalha. En Valais, le mot ne paraît pas indigène. La terminaison -èidè, à Liddes, ne peut pas remonter à -alia. Elle indique que le mot a été emprunté au français à une époque ancienne, avec la prononciation tueille. A Champéry, le passage de-eille à -ao est régulier. D'après Bridel, les patois du Jura bernois emploient touallha avec la même signification qu'en vieux français: «nappe, essuie-mains. » A Montbéliard, une nappe est également une tiuaille (Contejean, Dictionnaire), et le Vocabulaire de Bournois (Doubs), par Roussey, indique un diminutif tyuèyoun, « petite nappe servant à couvrir le panier dans lequel on porte le repas aux champs. »

Notons à ce propos que le français toilette, avec la signification primitive de « linge orné servant à recouvrir la table de toilette,» doit être considéré comme se rattachant à touaille bien plus qu'à toile, d'où le font dériver les dictionnaires étymologiques. Il y a eu sans doute contamination et fusion des deux diminutifs touaillette et toilette, mais les termes dialectaux que nous venons de rappeler indiquent que l'idée fondamentale appartient à touaille.

2. fòchèla.

La plupart des patois valaisans, comme en général ceux de la Suisse romande, se servent pour désigner la poitrine du mot èstoma, qu'ils font féminin. Quelques-uns des plus archaïques ont cependant conservé le dérivé de pectus; ainsi on a pyès' à Miège et dans la vallée d'Anniviers. Mais Evolène offre une forme tout à fait particulière: fòchèla. Contrairement à ce que nous avons entendu soutenir, ce mot n'a rien à voir avec le latin fauces, gorge »; il correspond à un type latin * furcella, diminutif de furca, « fourche, bifurcation, » et désigne à proprement parler la partie inférieure de la poitrine, la région où se bifurquent les côtes. On trouve assez fréquemment la même expression dans l'ancienne langue (v. les dictionnaires de DuCange, vo furcula; Godefroy, vo forcele; Raynouard, vo forsela), et elle a subsisté jusqu'à nos jours dans certains. patois de la Normandie et du Maine. En Suisse, le mot a dû aussi être autrefois beaucoup plus répandu qu'aujourd'hui. En voici deux exemples relevés dans des documents neuchâtelois. du XVe siècle: (l'étranger) peut entrer en la vigne et pranre des rasins en sa main et apoyer a sa forcelle. (Déclarat. de coutumes, vers 1450. Arch. de Berne, coll. Gaudard). En oultre a sentu ledict enfant chault sus la forcelle, ayant esperance que ledict enfant avoit vie. (Déposit. de témoins, 1474. Arch. de Neuchâtel, Reg. A. Baillod, fo 67).

J. JEANJAQUET.

UNE TUILERIE A LAVAUX

AU XVI SIÈCLE

(D'après les manuaux des conseils de l'ancienne communauté de Villette.)

Le titre ci-dessus ne doit pas faire croire que le Bulletin veuille empiéter sur le domaine des périodiques consacrés à l'histoire, et il est bien entendu que c'est l'intérêt linguistisque que nous avons en vue en insérant des articles du genre de celui de M. Voruz. Si l'on ne veut pas se contenter de connaître nos patois dans leur état actuel, mais chercher à étudier leur développement et à reconstituer leur histoire au cours des siècles, on devra bien vite se convaincre que les sources directes d'information, c'est-à-dire les textes patois, font presque complètement défaut. La littérature dialectale, bien maigre et chétive, n'est guère antérieure au XIXe siècle. Les rares spécimens qui remontent jusqu'au XVIIe sont tout à fait isolés, et au delà du XVIIe siècle, c'est à peu près le néant. Dans ces conditions, à défaut de textes patois proprement dits, c'est dans le français provincial ou dans le latin barbare des documents que le philologue est obligé d'aller chercher les traces du langage indigène de jadis. Nos archives renferment en quantité des textes qui, tout en voulant être du français, fournissent cependant un appoint des plus précieux à l'histoire de nos idiomes locaux. Les anciens protocoles, les dépositions de témoins, les comptes, les inventaires, les règlements de métiers et autres pièces du même genre abondent souvent en termes techniques et en expressions du crû, qui nous révèlent, en même temps que le langage de l'époque, une foule de coutumes et d'usages disparus. Le Glossaire des Patois ne s'est imposé aucune limite chronologique et cherchera par conséquent à recueillir et à expliquer tous les mots qui ont appartenu à la langue du pays, quelle que soit leur date. Ces recherches sont le complément nécessaire de l'étude

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