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s'djora', qui est en effet plus patois. D'autre part, il est juste de dire qu'il possède encore bien ses formes verbales, comme le démontrent les mots fassant, recivra et les nombreux parfaits de ses procès-verbaux.

Le 13 avril 1861, nouveau symptôme de la fin prochaine du patois neuchâtelois. On discute gravement, en plein Cercle du Sapin, s'il faut dire Società du Sapé ou du Sapin. Après avoir établi à l'aide <de personnes très âgées ayant toujours habité soit le village, soit nos environs, de la manière la plus positive que sapé est bien le mot patois de sapin », la forme sapin obtint néanmoins une forte majorité. On trouvait déjà la vraie forme du mot trop bizarre et incongrue pour l'introduire dans le nom du Cercle.

Au texte patois du Règlement de la Société du Sapin, adopté dans l'assemblée du 13 avril 1861, on trouva bon de joindre une traduction française. On a l'impression que c'est la rédaction française qui fait loi. L'autre n'est qu'une parade. La langue de Paris avait déjà conquis toute la partie officielle du Cercle du Sapin.

La même année il y eut encore un échange de lettres patoises entre le Cercle et un membre domicilié à Neuchâtel.

Le 20 juillet, lorsqu'il sagit de remplacer le secrétaire démissionnaire, un des proposés, Jules L'Eplat

1 Sɔ djoyi = se servir, p. ex. dè man (des mains), d'on kouté (d'un couteau), etc. Le verbe djoyi s'emploie aussi activement: on l'y djoie djeirè toté sôchè d'uti (toutes sortes d'outils, Patois neuchâtelois 319, 34). Nos d'jorains d'gèret l'fy d'artchan-nous emploierons aussi le télégraphe (V. Hirschy), etc.

tenier, s'excuse sur son peu de connaissance du patois. Il n'est pas nommé, cependant le nouveau «sékertère », Eugène Veuve, n'a pas le courage non plus d'écrire ses procès-verbaux en patois. Lorsqu'un de ses successeurs, Gustave Jaquet, revient à l'emploi du dialecte (procès-verbaux du 23 août 1862 au 30 mai 1863), c'est le dernier éclair de vitalité du patois agonisant. Lui aussi d'ailleurs profitait de chaque opinion émise en français pour éviter l'usage du patois. A l'occasion de la revision des statuts du 6 décembre 1862, un membre ose proposer de retrancher l'obligation de parler patois. Ses paroles, qui auraient jeté le plus grand trouble en 1857, ne paraissent pas avoir produit la moindre irritation. On laisse subsister le patois, comme on n'éloigne pas le portrait de l'aïeul après sa mort. La proposition est encore repoussée, mais dans les statuts du 4 février 1865, par lesquels l'organisation du Cercle fut définitivement réglée, il n'est plus question de patois. Le fameux article 2 y est supprimé. Le patois est relégué dans les archives et désormais les sociétaires vouent leur attention entière aux buts qui, au fond, les avaient toujours plus intéressés que le patois, sans avoir été spécifiés par les statuts: la charité publique et le progrès social. Le vieil idiome n'a été ainsi qu'un décor dans la vie du Cercle du Sapin. Mais quand, au banquet du 1er mars, l'ombre de leur brave et gai ancêtre passe devant leurs yeux, les vieux souvenirs remontent à la surface, et les convives, faisant effort, entonnent de leur voix moderne l'ancienne « Prière du Sapin».

(A suivre).

L. Gauchat.

Addition aux Nos 1-2 du Bulletin.

Un des correspondants du Glossaire, M. C. Ruffieux, professeur à l'école normale de Hauterive, a eu l'amabilité de me signaler une omission dans mon article Nos patois romands. En parlant des expressions que le patois gruyérien emploie pour désigner un abri, j'ai oublié de mentionner la locution a chokrè, qui vient donc se joindre comme quatrième terme à ceux que j'ai nommés. Ce mot ne m'était pas inconnu, car je l'avais déjà rencontré dans les glossaires manuscrits de Louis Bornet et de Louis Ruffieux, mais il ne m'était pas présent au moment où je rédigeais mon article. D'après M. C. Ruffieux, le sens du nouveau terme serait plus vague que celui des expressions citées (Bulletin 1-2, p. 6), botå a chokré signifierait << mettre à l'abri des intempéries, quelles qu'elles soient: vents, orages, inondations ». Notre correspondant a soin d'en préciser l'emploi actuel par quelques exemples. On dit: ouna méjon (maison), on tsalè (chalet), etc. a chokrè bien abrités. On l'emploie aussi au figuré: fó botå chi mè a chokrè po kɔ lè-j-infan la prin-nyan på: << il faut mettre ce miel en sécurité pour que les enfants ne le prennent pas ». Le sens de la locution a dû être autrefois plus précis. M. L. Ruffieux la définit « à l'abri du vent» et L. Bornet écrit: « socrei (à) adv. se dit d'un lieu bien exposé, tourné au midi et abrité contre la bise ». J'ai retrouvé le mot dans d'autres parties du canton, avec d'autres significations encore.

Nous serons reconnaissants à toute personne qui nous fera connaître des erreurs ou omissions contenues dans le << Bulletin» et nous prions nos lecteurs de bien vouloir compléter nos renseignements par leurs observations locales. Ces matériaux complémentaires seront reçus avec la plus vive gratitude. L. G.

LA DERNIÈRE PAGE

DE L'HISTOIRE DU PATOIS

A LA CHAUX-DE-FONDS.

II.

Voici le texte de cette prière peu connue1, que je publie d'après le manuscrit de l'auteur, Ami Huguenin, dont le chansonnier autographe est en ce moment entre mes mains, grâce à l'amabilité du président actuel du Cercle du Sapin, M. Ch. Colomb, avocat. Je transcris la prière d'abord dans l'orthographe originale, puis dans celle du Bulletin, afin de mieux faire saisir la prononciation, et j'y joins quelques remarques linguistiques que me suggère ce curieux petit document des mœurs d'autrefois, conservé par la tradition, malgré tous les changements survenus depuis 1857 dans l'organisation du Cercle.

Préyire.

Quand tchacon saide

Nion ne se crêve
Atre Sapins aidans
Préservins nots adé
De trop londgets estomets
De mâtés que ne se racontra pas
De boués crévas dépondus
De tchoues mau queu
Dets roupitres de la renaye
Dets tchareutres

Préyir'.

Kan tchakon s'éd'2
nyon na sa krèv' 3
atr sapin édan1
prèzèrvin nò adé

da trò londje-z-estomens
da maté k'nə sa rakontra pā,
də boué krèvā dèpondu,
da tchou mó ká,

de roupitr', d'la rney','
de tcharátr',10

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Personne ne «se crève» (ne se tue en travaillant).

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Entre Sapins > aidant,

Préservons-nous toujours

D'estomacs trop longs (vides),

De « marteaux » qui ne se rencontrent pas,

De boyaux percés, déchirés,

De choux mal cuits,

De l'hydropisie, du lombago,

Des érysipeles,

Des œils de perdrix (cors),

De la colique, de la toux,

Des vieilles femmes qui font le sabbat,

Des jeunes pour (capables de) nous faire « de la ficelle »,

Des propriétaires sans conscience,

Des larrons, des avocats,

Des apothicaires, des médecins

Et des indépendants, récalcitrants;

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Amen.

Cette gaie prière, si peu en rapport avec les tendances actuelles du Cercle, avant tout philanthro

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