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tiques sont venus dans la suite se joindre aux éléments constitutifs. Puis il ne faut pas oublier l'influence des petites villes, comme Avenches, Payerne, etc., qui se trouvaient elles-mêmes sous l'influence de villes plus grandes: Fribourg et Lausanne. On voit que l'histoire de nos patois est bien compliquée, surtout par suite de notre ignorance de la manière dont nos vallées ont été colonisées.

Malgré les influences diverses qui ont agi sur le développement de nos patois, ils représentent, pris isolément, une masse linguistique assez homogène, avec des caractères très saillants, où se reconnait l'action de lois phonétiques ou morphologiques bien déterminées. Le philologue qui veut se faire une idée d'une loi phonétique, par exemple, ne peut pas désirer un champ d'activité, un objet d'observation plus intéressant que les patois. Non seulement les phénomènes naissent pour ainsi dire devant lui, mais à l'aide d'autres patois, moins avancés ou plus développés que celui qu'il observe, il lui est permis de reconstruire l'histoire de ces phénomènes et même jusqu'à un certain point d'en deviner l'issue.

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Ainsi le groupe latin a donné 9, un son qu'on croit être particulier à l'anglais ou au grec moderne, espagnol, etc., et qui se retrouve, dans des conditions différentes, dans nos cantons de Fribourg, Genève, Vaud et Valais, tandis que Berne et Neuchâtel ne le connaissent pas. Les mots latins testa, festa, fenestra se prononcent aujourd'hui dans la plupart des patois fribourgeois tiða, fiða, fəniðdra, mais il y a des patois, où le son est en pleine transformation et en

voie d'aboutir à h. Donc: tiha, fiha, fanihra, d'autres ont encore tida, fiða, mais déjà fɔnihra, ce qui nous apprend que tous les 9 ne sont pas devenus du coup h, mais que les mots qui présentaient une certaine combinaison de sons, comme 9r, sont en avance sur les autres. Il ne serait même pas impossible qu'un patois donnât la forme fiha à côté de tiva, malgré la presque identité des deux mots. Un bon observateur trouvera une quantité de mots qui, grâce à leur usage très fréquent ou à d'autres raisons qui nous échappent encore, semblent seuls avoir subi une loi phonétique. Ces mots sont les avant-postes, que les balles ennemies atteignent d'abord. On peut aussi comparer les lois phonétiques à des épidémies qui commencent par la maladie d'un seul individu. Il est bien démontré aujourd'hui qu'un changement phonétique, par exemple 9h, n'est ni subit ni général, mais qu'il y a entre les deux étapes une période de fluctuations et d'incertitude. On ne saurait assez recommander l'étude des patois à ceux qui croient encore à l'infaillibilité de ces lois. Si nous sommes encore divisés dans une question si grave, c'est qu'on s'est trop occupé jusqu'à présent des faits accomplis et trop peu des faits naissants.

Il ne faut pas croire que l'étude d'un mot patois soit moins intéressante que celle d'un mot français ou italien. Les battements du cœur d'un nègre sont-ils moins intéressants pour un physiologue que ceux du cœur d'un homme célèbre! La plus modeste fleur des champs ne peut-elle pas avoir un parfum plus exquis que les éclatants produits d'une serre!

La constatation que dans un patois le participe passé du verbe puni (punir) est prononcé puni ou punè, avec les féminins punya et punètɔ, pourrait faire penser que les patois sont des langues arbitraires, où chacun peut s'exprimer comme il veut. Mais n'avonsnous pas en français pour le futur du verbe asseoir les trois formes sanctionnées par l'Académie je m'assiérai, je m'asseyerai et je m'assoirai? Et une foule de points de la grammaire française qui nous apparaissent aujourd'hui bien arrêtés et définis, se trouvaient autrefois dans le cas du futur du verbe asseoir et ont coûté un grand travail de choix et de préférences, où la mode entrait pour beaucoup et la logique pour peu! On peut avec profit étudier l'histoire de ces indécisions, des influences réciproques d'un verbe sur l'autre, etc., en ancien français, ou, tout aussi bien, dans la masse bigarrée des patois.

Une question qui ne passionne pas seulement les philologues, mais aussi tous ceux qui ont l'habitude de rechercher le pourquoi des choses, c'est l'étymologie ou origine des mots. Or, comme les mots français et les mots patois sont en grande partie des frères issus d'une mère commune, on fera bien de ne pas s'adresser seulement à celui des frères qui occupe la place la plus brillante, pour savoir quelle fut leur mère. Les autres frères, moins fortunés, peuvent avoir mieux conservé les traits et le souvenir de celle qui leur donna naissance. Ainsi maint mot patois est destiné à mettre en lumière l'origine d'un mot français dont l'étymologie est encore inconnue. Et nous n'avons qu'à feuilleter le Dictionnaire général de la langue

française pour nous persuader qu'il reste encore bien des problèmes à résoudre dans le domaine de l'étymologie de notre langue littéraire.

Il va sans dire que tous les patois, ceux de la Suisse française aussi bien que ceux du Midi de la France, par exemple, offrent à peu près les mêmes. avantages pour l'étude des principes linguistiques. Les phénomènes sont très différents, mais le gain à en retirer pour la connaissance des causes de ces phénomènes est le même. Cependant la Suisse romande, avec ses races, ses confessions et ses occupations si diverses, présente, sur un espace restreint, plus de variété peut-être que n'importe quel autre territoire de même étendue des pays latins. Elle est particulièrement apte à nous éclairer sur la question si ardue et complexe des limites dialectales. Faut-il admettre avec M. Gaston Paris que tous les patois se fondent les uns dans les autres par des nuances insensibles, qu'en marchant dans la même direction, par exemple de Neuchâtel à Paris, on rencontrerait successivement des parlers différant très peu entre eux, de sorte que la couleur française du patois s'accentuerait de plus en plus, en proportion directe de la distance des localités du point de départ? Retrouve-t-on dans le domaine des patois le fameux natura non facit saltum? Est-il vrai que les limites de a

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et de alcons

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ou d'autres phénomènes n'occupent pas la même aire? Et les limites des traits linguistiques ne coïncidentelles pas avec les limites politiques anciennes ou modernes? Les travaux que la Rédaction du Glossaire

des patois romands a entrepris en vue de l'élaboration d'un Atlas linguistique de la Suisse romande, où les nuances de prononciation seront représentées par des teintes, permettent de conclure à une nouvelle théorie. Le patois de La Ferrière (canton de Berne), par exemple, diffère foncièrement de celui du prochain village bernois Les Bois, tandis qu'il est presque identique avec celui de La Brévine, située à une bonne journée de marche de La Ferrière. La limite dialectale bien tranchée qui sépare La Ferrière des Bois est bien une ancienne limite politique, aujourd'hui confessionnelle. Grâce aux rapports continuels des habitants, les patois d'une contrée comme la montagne neuchâteloise, y compris La Ferrière, ont conservé un caractère uniforme, malgré certaines différences de détail; le village des Bois appartient à une autre contrée, catholique, placée sous l'influence de Porrentruy, ayant très peu de rapports avec les hérétiques de La Chauxde-Fonds et environs et présente pour cette raison un caractère linguistique qui est décidément différent de l'autre. Beaucoup de traits sont communs aux deux groupes, comme le tch pour c latin devant a (campu tchan, thin) entre autres, mais cela n'empêche pas qu'un grand nombre de traits divergent de part et d'autre. En reportant toutes les limites des traits linguistiques sur la même carte, on obtiendra certes un tableau d'une bigarrure étonnante, mais il sera facile de découvrir dans le réseau irrégulier de ces lignes des faisceaux où plusieurs lignes sont superposées ou très voisines. Ils se trouveront là où les rapports des habitants ont été moins étroits qu'ailleurs et ce manque

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