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d'avoir lieu avec succès. La consigue voulait que les loges fussent fermées et les lumières éteintes à dix heures. Mais la jeunesse et la gaieté se jouent des difficultés, et, comme en France la danse ne perd jamais ses droits, « jamais bal d'opéra, dit l'abbé Daniel, n'a offert tant de charmes et de délices »; seulement, par mesure de prudence, les couples dansèrent pieds nus.

Chantilly cessa d'être maison d'arrêt en juillet 1794. Les détenus, l'abbé Daniel était du nombre qui, arrivés des premiers, restèrent jusqu'à cette époque, y subirent donc une détention de dix mois. Les convois de départ s'espacèrent en trois jours, les 24, 25 et 27 juillet. Perdrix, tyran jus qu'au bout. avait cherché à rendre le départ aussi pénible que l'arrivée. Les détenus, montés la nuit dans les premières charrettes, attendirent cinq heures dans l'avant-cour du château la mise en marche du convoi. Il y en eut pour Hondainville, Argenlieu, Nointel-sous-Clermont; la majeure partie des détenus fut transférée à Liancourt, où l'abbé Daniel se retrouva avec son vieil ami, le chanoine Henry, et la charmante M de Carvoisin, dont il ne s'était point séparé depuis leur arrivée à Chantilly dans le même convoi. C'est vraisemblablement à Liancourt, où l'air était moins chargé, que l'abbé Daniel mit la dernière et la plus large main à son poème commencé au lycée Le Cornier et bien qu'il ait inscrit en première page : « A Chantilly, en ma loge, 1794. »

De ce poème, les amis de l'abbé Daniel eurent sans doute connaissance, et aussi ses anciens compagnons de détention quand les circonstances les faisaient se rencontrer et mêler leurs souvenirs. Puis, il eut le sort de tous les textes et connut le silence

Aussi, ne saurais-je trop exprimer ma gratitude à M. le Docteur Leblond d'avoir bien voulu me permettre de réveiller la voix longtemps muette du curé de Saint-Martin. Si cette voix n'a pas l'ampleur qui se dégage de certains textes, elle n'en a pas moins son charme et sa personnalité; en feuilletant son poème, j'ai trouvé la récompense qu'indiquait Taine, et ma seule ambition a été de vous la faire partager. JEAN VINOT PRÉFONTAINE.

UN VITRAIL DE L'ÉGLISE D'HONDAINVILLLE

Il reste en l'église d'Hondainville, dans une petite fenêtre à arc en tiers point, au-dessus du maître-autel, un panneau de verrière composite de 0"80 HX0"70 L à damier bleu et rouge quelconque, où l'on a inséré cinq fragments décoratifs différents, dont deux médaillons à émaux, d'un grand intérêt, un fragment de vitrail où l'on voit un saint Cosme de belle allure faisant examen d'une fiole, à droite; à gauche, dcux autres personnages moins bons aux larges manches bien traitées; dans la partie supérieure, un saint Sébastien mal dessiné au vernis Jean Cousin dont il vaut mieux ne pas parler. De ce petit vitrail hétéroclite, manteau d'Arlequin composé de hasard, il faut détacher, comme morceaux hors de pair, les deux médaillons à émaux appliqués sur verre blanc, d'un dessin inégal, mais de couleur harmonieuse et de forte expression, une Crucifixion au centre (0-23 HX0°17 L) et dans la partie droite supérieure un médaillon (id.) représentant un personnage de haute taille au premier plan, dans un paysage de rivière, avec pont, bateau, et qui paraît de caractère profane.

La scène de la Crucifixion attire d'abord l'examen. Le Christ souffrant est sur la croix plantée au-devant de la scène, dans un paysage frais, où un filet d'eau court entre des rochers, des arbustes, de la verdure finement traitée. Au pied de la croix, une tête de mort; la tête du Christ est fortement penchée sur le bras droit; la barbe est courte et se recourbe; les bras sont moins bien traités que le corps et

les jambes ils ont des nodositės musculaires frustes où l'on sent, avec quelque maladresse, l'influence de maîtres allemands comme Mathias Grünewald, 'dans le panneau du retable du musée de Colmar. Andrẻ Michel, Histoire de l'Art, V, p. 74.)

Au pied de la croix, à gauche, de face, se dresse une Vierge mère, les bras en croix sur la poitrine, une vraie matrone française, à figure pleine et douloureuse, les yeux levés, robe longue rose lie de vin, manteau bleu qui laisse à découvert la robe sur un tiers du bas du corps; le bout des pan toufles bleues la dépasse. Saint Jean (?), un saint Jean barbu, pieds nus, dont le bas de robe est traité à plis remontants, assez serrés, tient à la main un livre bleu à tranche dorée au nitrate d'argent, attitude de face.

L'arrière-plan, gris bleuté, montre une ville de fantaisie à toit en terrasse, à constructions massives, variée de quelques lignes d'architecture plus fines, en hauteur, et fait penser à nos arrière-panoramas des vitraux de l'école de Beauvais de la première moitié du xvr siècle.

Le personnage en pied du second médaillon a une tunique courte qui lui vient au-dessus du genou, tête découverte, cheveux au vent, des yeux singulièrement vifs, une barbe traitée avec virtuosité; il a des houseaux rigides par lesquels a passé l'inspiration Renaissance des jambières à l'antique; il porte une sorte de lance recourbée en croc comme une gaffe, mais il n'a rien d'un saint Christophe. Le paysage d'eau qui forme le fond de la scène est assez sommaire, mais lumineux.

L'artiste émailleur a soigné la finesse des têtes dans les deux médaillons avec un style qui se reconnaît identique; il a réalisé avec le bois des lumières dans les cheveux et la barbe par le procédé de l'enlèvement cru de l'enduit coloré. Il convient de rattacher à la seconde moitié du xvIe siècle ces deux médaillons dans un genre qui rapproche le vitrail de la miniature, lui permet de simplifier les scènes à la façon des graveurs sur bois qui travaillent alors pour les livres d'heures imprimés, favorise la virtuosité de l'artiste et l'affranchit de la technique sévère de la mise en plomb.

Ces médaillons, dont le détail suppose qu'ils sont destinés à être vus de près, peuvent être présumés appartenir à un ensemble décorant une galerie ou un oratoire. Ce sont des morceaux rapportés dans le vitrail actuel qui les a reçus pour un arrangement de fortune.

Quelle est leur origine? Si leur date peut être à peu près certaine à cause de certains détails techniques, à cause des plis des vêtements, à cause de certains émaux, on est réduit à l'hypothèse pour la question de provenance. Serait-il permis de trouver une explication tout auprès, dans le château d'Hondainville? Emmanuel Woillez (1) dit : « qu'il était orné de meubles de la Renaissance qui viennent d'être vendus (1862). On y voyait des vitraux, des tableaux du Primatice, un bas-relief de Jean Goujon, un miroir de M Diane de Poitiers, décoré de croissants, d'H... »

C'est assez désigner un château riche d'objets du milieu du xvr siècle. Et les vitraux d'un château ne sont-ils pas verrières de galerie ? Peut-être avons-nous là deux épaves enchâssées dans une verrière très ordinaire et sauvées grâce à elle et à l'église.

Emmanuel Woillez ajoute que la chapelle de saint Aignan, élevée au XIVe siècle dans le cimetière et ruinée en 1862, était un but de pèlerinage pour la guérison de la fièvre. Il serait piquant de rapprocher le saint Cosme faisant de la médecine et conservé, argument en faveur de la médecine figurée dans l'iconographie du xvr' siècle, de ce souvenir de saint Aignan à Hondainville. Le vitrail actuel aurait véhiculé ainsi jusqu'à nous cette autre épave de l'histoire du pays.

En somme, il faut aller à Hondainville chercher cette petite indication fournie par trois fragments sur la Renaissance chez nous, influencée par la gravure allemande.

H. QUIGNON.

(1) Répertoire archéologique du département de l'Oise, p. 103.

UNE

CORRESPONDANCE

DE LA MARQUISE DE COIGNY

AU CHATEAU DE FAY-LES-ÉTANGS

Le 17 novembre 1818, dans la matinée, une voyageuse de marque arrivait à Calais. Elle s'appelait Louise-Marthe de Conflans d'Armentières, était depuis deux ans la veuve, très indifférente après une longue séparation, du marquis de Coigny (1), et portait allègrement, avec la soixantaine, le fardeau de la célébrité. Aussitôt débarquée, elle traçait, avec la hâte qu'elle apportait à toutes choses, le billet suivant : « Vous savez déjà, je suppose, Monsieur, notre malheur, et vous ne pouvez vous exagérer le mien; après avoir soigné si constamment ma mère (2) pendant neuf ans, de ne m'être pas trouvée à sa dernière heure. Cette idée me poursuivra jusqu'à la mienne... mais c'est trop déchirer votre bon cœur des regrets du mien parlons raison au lieu de douleur, hélas !

« Je serai mercredi soir, de bonne heure, c'est-à-dire à six heures, à l'Ecu de France, à Beauvais, revenant de

(1) François-Marie-Casimir, marquis de Coigny (1756-1816). Excepté la part qu'il prit dans la guerre d'Amérique, il ne fit que passer dans l'histoire de sa maison et fut surtout célèbre par sa femme.

(2) Antoinette-Madelein Jeanne Portail, marquise de Conflans, née le 9 mai 1738, décédée à Paris, le 9 novembre 1818.

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