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facile verrou, ses maitresses en costume de religieuses. Les maréchales de Villars et d'Estrées, dans cette singulière galerie, qu'on a eu un moment l'espoir de retrouver, y souriaient sous le froc des capucines. Mademoiselle de Charolais était en récollette et parfaitement ressemblante, ce qui faisait dire à Voltaire :

Frère Ange de Charolais,
Dis-moi par quelle aventure
Le cordon de saint François
Sert à Vénus de ceinture.

De couvent en couvent, d'anecdote en anecdote, nous côtoierions ainsi toute l'histoire intime du dix-huitième siècle, saluant d'un sourire ou d'une larme le théâtre de plus d'une aventure galante et de plus d'un accident tragique, et aussi le port rigoureux où plus d'une âme naufragée trouva, en vertu d'une lettre de cachet, le salut du repentir. Souvenez-vous, en passant, de ce couvent de Panthémont, où deux jeunes pensionnaires se battaient en duel' pour une rivalité d'amour-propre; de cet autre couvent où, c'est madame du Deffand elle-même qui nous le raconte, une imprudence de quelque espiègle de quinze ans allumait un incendie qui fit de si tristes et de si gracieuses victimes. Et le couvent des Carmélites de Lyon, où, sous le capuchon de sœur Augustine de la Miséricorde, on eût pu reconnaître cette mademoiselle Gautier, comédienne applaudie du Théâtre-Français, d'une force musculaire égale à celle du maréchal de Saxe, d'une tendresse de cœur pareille à celle de la Vallière, et dont on lit au tome X des OEuvres de Duclos une histoire touchante. Et le couvent de Nancy, où furent tour à tour enfermées, par ordre du mari, madame de Stainville, dont il faut lire dans Lauzun, écrite avec les doubles regrets de l'amitié et de l'amour, la profane et touchante aventure; et plus tard, cette pénitente héroïque, madame d'Hunolstein, qui, chassée par la Révolution de sa pieuse prison, n'accepta point sa délivrance et voulut mourir sur la cendre en demandant pardon à son mari et à Dieu de fautes si noblement expiées. Et le couvent de Pontaux-Dames, où madame du Barry fut reléguée aux premiers jours de sa disgrâce, et, royale Madeleine, ensorcelait les saintes filles chargées de la convertir et de la garder!

Mais nous n'en finirions pas, et il faut pourtant, afin de donner une idée de l'éducation du temps, même en ces pieux asiles, trop dégénérés des anciennes vertus et des anciennes pudeurs et devenus 1 Mémoires de la baronne d'Oberkirch.

aussi dangereux que le monde, clore notre énumération'. Mais ce ne sera pas sans avoir encore jeté un coup d'œil attendri par tant d'aimables et pimpants souvenirs sur ce fameux couvent de Chelles, du temps de cette fille du Régent dont nous avons écrit l'histoire 2, sur ce couvent de Chelles où l'on jouait si bien Esther, Athalie et même Andromaque; où, selon la chronique scandaleuse, Richelieu s'introduisit parfois; ce couvent de Chelles où l'on tirait, les jours de fête, des feux d'artifice au milieu des roses, et où chaque nonne, vouée à la fois au monde et à Dieu, avait une couronne sous son voile et un médaillon à son chapelet.

Un regard aussi à cette abbaye de Saint-Sauveur d'Évreux, et à ce prieuré de Saint-Louis de Rouen, où, au dire de madame de Staal, qui y fut élevée, l'abbesse était si bonne, les converses si complaisantes, les élèves si espiègles, où l'on entendait tant de jappements de chiens et tant de chants d'oiseaux, où l'on riait presque toujours, et où, si l'on pleurait, les larmes mêmes étaient si douces, « qu'on ne savait pas d'où elles étaient parties ».

Tous ces coquets monastères n'étaient pas plus coquets que ce couvent de Montfleury, où s'épanouissait au sein de la plus patriarcale indulgence toute la jeune aristocratie féminine du Dauphiné. C'est là que la belle et spirituelle chanoinesse qui fut plus tard madame de Tencin manqua, elle aussi, si joliment son salut.

S'il était possible de mépriser le monde à travers des grilles, on l'eût méprisé sans peine à Montfleury, la plus aimable prison claustrale qu'il soit possible de rêver. Les religieuses, qui presque' toutes l'avaient été malgré elles, s'en dédommageaient de leur mieux; elles y consolaient leurs regrets par tous les raffinements de cette dévotion mystique qui sait si bien amollir sous sa béatitude les épines du désir. La chapelle était parée comme un boudoir, la messe elle-même y ressemblait à un concert. On y priait comme l'on aime, avec toutes sortes d'œillades et de baisers. Et le soir, à ces petites fenêtres de la cellule dominant les murs et plongeant comme autant d'yeux restés ouverts sur la ville voisine, on aurait pu entrevoir sans doute plus d'une nonne rêveuse, respirant la brise au retour de l'office, avec cet habit blanc décolleté et ce bouquet de grenades sur l'oreille que le président de Brosses vit, non sans étonnement, aux poétiques religieuses de Venise.

1 Voir la Femme au dix-huitième siècle, par Edmond et Jules de Goncourt. Didot. 1863.

2 Les Confessions de l'abbesse de Chelles, fille du Régent. Paris, Dentu,

Le couvent de Notre-Dame du Traisnel a, lui aussi, ses galantes légendes, et si les leçons des coquettes religieuses de la rue de Charonne furent conformes à leurs exemples, mademoiselle de Vichy put y apprendre à la fois l'amour de Dieu et celui du prochain.

On trouve dans Saint-Simon', dans les Mémoires de Maurepas, de Richelieu, dans les Mélanges de Bois-Jourdain, dans Barbier, dans Marais, dans les Mémoires du marquis d'Argenson lui-même, de bien curieux et bien étranges détails sur cette retraite, à la fois dévote et galante, où le garde des sceaux disgracié, le sombre et spirituel d'Argenson, avait toute une espèce de sérail sous la grille, et où il oublia, bercé par les babillages caressants des novices, l'ambition, le pouvoir, la famille, tout, même la mort, qui bientôt vint l'y surprendre aux genoux de l'aimable, de la sémillante, de l'habile prieure, Gilberte-Françoise Veni d'Arbouze de Villemont. Cette femme était douée d'une grâce fascinatrice qui fit tour à tour les conquêtes les plus diverses: le beau Descoteaux, le noir d'Argenson, l'acariâtre duchesse d'Orléans, et sa fille elle-même, l'abbesse de Chelles, avant qu'elle se brouillât avec sa mère à propos de cette Circé du cloître, de cette Armide sous le voile, dont les beaux yeux étaient funestes à la concorde des familles. Le couvent de la Madeleine du Traisnel appartenait à une communauté de bénédictines, fondée au douzième siècle en Champagne, au Traisnel. Les religieuses vinrent s'établir en 1654 à Paris, rue de Charonne (au no 100 de la rue).

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C'est là que mademoiselle de Vichy reçut, sous l'œil indulgent d'une abbesse qu'on accusait d'avoir, avant M. d'Argenson, accordé ses bonnes grâces à un flûtiste célèbre, ce Descoteaux que la Bruyère a peint sous la figure du curieux de tulipes, et même d'avoir mis au monde un fruit de ce scandaleux amour, éducation qui dut être des plus tolérantes, si l'on en juge par ses résultats. On trouvera dans sa Correspondance plus d'une plainte et plus d'un regret sur le peu de secours qu'apportent à une vieillesse aux prises avec l'expérience et avec l'ennui, une instruction sans principes et une éducation sans moralité. Ces frivoles et brillantes

1 Édition Delloye, t. XXXIV, p. 114.- Édition Chéruel (Hachette), in-12, t. XI, p. 310 et 395.

2 Barbier, Journal, t. Ier, p. 42, 43.

3 « On se fait quelquefois la question si l'on voudrait revenir à tel âge? Oh! je ne voudrais pas redevenir jeune, à la condition d'être élevée comme je l'ai été, de ne vivre qu'avec les gens avec qui j'ai vécu, et d'avoir le genre d'esprit et de caractère que j'ai..... »

jeunesses portent de jolies fleurs que tout le monde respire, mais la séve tout entière d'une vie se gaspille en parfums, et l'automne est sans fruits.

C'est ce que déplorait madame du Deffand, à cette heure de maturité stérile, où elle se trouvait sans autres ressources que celles de l'esprit, qui ne suffisent pas contre l'âge, la maladie et la solitude. Elle regrettait cette égoïste insouciance ou ce trop confiant aveuglement de maîtresses qui avaient développé ses qualités sans lui ôter ses défauts. Au lieu de la retenir sur cette pente du scepticisme où elle s'engagea de si bonne heure, au lieu de mettre un frein à cette curiosité précoce, à cette témérité intellectuelle qui la poussait à tout mettre en question, on l'encouragea dans ces petites débauches d'esprit que son âge faisait paraître également inoffensives et innocentes. Quand on vit le mal et qu'on s'effraya à la pensée de l'avenir qui pouvait suivre un tel présent et des revers promis à de tels succès, il n'était plus temps. La jeune fille avait déjà donné à sa nature un pli ineffaçable, et elle était condamnée à être à perpétuité esprit fort et bel esprit. Heureuse si l'indépendance de l'esprit en marquait la force et en assurait la tranquillité dans ces matières nécessaires, où l'incertitude punit toute rébellion, et où la soumission seule est sereine! On a trouvé parmi les papiers de madame du Deffand quelques lettres qui lui furent adressées, , entre sa seizième et sa dix-huitième année, par son directeur, qui prétendait la convertir et qu'elle faillit pervertir.

Il n'est pas inutile d'insister sur ces origines et sur ces fausses chaleurs, qui firent fermenter de trop bonne heure une imagination hardie et aigrirent à jamais la destinée de madame du Deffand. Tout son caractère et toute son existence s'expliquent nettement à qui lira les détails suivants :

Madame du Deffand étant petite fille et au couvent, dit Chamfort', y prêchait l'irréligion à ses petites camarades. L'abbesse fit venir Massillon, à qui la petite exposa ses raisons. Massillon se retira en disant : « Elle » est charmante. » L'abbesse, qui mettait de l'importance à tout cela, demanda à l'évêque quel livre il fallait faire lire à cet enfant. Il réfléchit une minute, et il répondit : « Un catéchisme de cinq sous. » On ne put en tirer autre chose.

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Était-ce dédain, était-ce déjà désespoir de guérir un mal trop précoce pour n'être pas incurable? s'est-on demandé. Ni l'un ni l'autre. A coup sûr Massillon ne pouvait être demeuré indifférent à la surprise de cette enfantine indépendance. Mais quel meilleur 1 Edition Stahl, p. 190.

remède indiquer aux incrédules que le livre des simples et des humbles? Remède malheureusement inefficace vis-à-vis de ceux qui doutent par orgueil; ils auraient besoin, pour redevenir croyants, de redevenir simples et humbles.

Madame du Deffand s'est souvenue plus d'une fois de cet épisode de sa jeunesse et de cette leçon, aussi spirituelle qu'inutile, d'un prélat qui a creusé plus profondément que tout autre les abimes les plus délicats du cœur humain. Elle en parlait souvent à Horace Walpole, celui qui fut, hélas! son unique confesseur. Et c'était de façon à ne pas nous permettre de douter de son impénitence finale, car les vies irrégulières ont de terribles et, il faut le dire, de fatales logiques.

« Ses parents, raconte Walpole, alarmés sur ses sentiments religieux, lui envoyèrent le célèbre Massillon pour s'entretenir avec elle. Elle ne fut ni intimidée par son caractère, ni éblouie par ses raisonnements, mais se défendit avec beaucoup de bon sens ; et le prélat fut plus frappé de son esprit et de sa beauté que de son hérésie. »

Madame du Deffand confirme, en termes plus modestes, ce témoignage dans sa lettre à Voltaire du 28 septembre 1765.

« Je me souviens, dit-elle, que, dans ma jeunesse, étant au couvent, madame de Luynes m'envoya le Père Massillon. Mon génie étonné trembla devant le sien; ce ne fut pas à la force de ses raisons que je me soumis, mais à l'importance du raisonneur. »

A plusieurs époques de sa vie, madame du Deffand, par égoïsme plus que par raison, par crainte plus que par foi, essayera de se reprendre à ces illusions si consolantes, si ce sont des illusions. Mais il en est de l'innocence de l'esprit comme de celle du cœur. Une fois perdue, elle ne se retrouve pas. C'est en vain qu'elle désira « de pouvoir devenir dévote, ce qui lui paraissait l'état le plus heureux de cette vie ». C'est en vain qu'elle essaya « de chercher dans les pratiques de la religion ou des consolations ou une ressource contre l'ennui ». C'est en vain enfin qu'elle tenta de faire du P. Boursault, de l'évêque de Mâcon, et plus tard du P. Lenfant, les instruments de sa conversion et ses médiateurs auprès du Ciel, trop méprisé. Elle ne put jamais se résigner à apprendre une seule page de ce catéchisme préservateur qu'on lui faisait lire inutilement tous les matins au couvent. « J'étais, dit-elle, comme Fontenelle; j'avais à peine dix ans que je commençais à n'y rien comprendre. » Plus tard, déjà aveugle, elle se fait lire, par un dernier effort, les Épitres de saint Paul, et s'impatientant de ne pas entendre cela

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