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jeune vétéran du Journal des Débats. Les réponses de Voltaire à madame du Deffand, la plupart des Portraits de la galerie de contemporains dont madame du Deffand a esquissé la physionomie, manquent à cette édition portative et économique, qui remplira à merveille un objet de vulgarisation inférieur à celui que nous nous sommes proposé, et qui est un peu pompeusement précédée de la Notice biographique de l'édition de 1827, due, nous le savons maintenant, à la plume de M. Thiers, en ces heures difficiles et obscures où l'on produit plus qu'on ne travaille et où l'on devine plus qu'on ne sait.

VIII

Il nous reste à parler de nous, à dire ce que nous avons voulu faire et ce que nous avons fait. Nous le ferons sans haine et sans crainte, sans orgueil ni sans modestie, sans phrases, ne voulant nous exposer ni au ridicule de nous louer, ni à l'héroïsme de nous blâmer nous-mêmes.

Notre édition contient, même pour les yeux d'un ennemi, de plus que toutes les éditions précédentes :

1o Une Introduction biographique et critique, où sous ce titre : Madame du Deffand, sa vie, ses amis, son salon, ses lettres, nous avons dit sur ce quadruple sujet tout ce qu'on savait avant nous, et donné quelques détails nouveaux ou inconnus.

2. Une Notice bibliographique et critique, contenant l'histoire des éditions antérieures à la nôtre et celle des papiers de madame du Deffand.

3o Un Avant-propos explicatif et justificatif de notre classement. Nous avons fait tous nos efforts pour placer comme des trophées, à la suite de notre Étude, quelques pièces dont nous avons ardemment, et nous l'espérons encore, heureusement poursuivi la conquête. Les nombreuses investigations et négociations auxquelles nous nous sommes livré n'ont pu encore nous procurer l'acte de naissance de madame du Deffand; nous avons été plus heureux pour son acte de décès, son contrat de mariage, son testament, ses lettres inédites à MM. Scheffer, de Bernstorff et Saladin. Nous n'abandonnons point nos recherches, qui ont enfin, après bien des tâtonnements, bien des démarches, touché le but, et nous ferons, le cas échéant, fidèlement part à nos lecteurs, au moyen d'un supplément, des découvertes qui en auront été le résultat et la récompense. Mais nous ne pouvions tarder plus longtemps à les mettre

en possession d'une édition complète et correcte de la Correspondance de madame du Deffand, réclamée par un public de plus en plus nombreux, de plus en plus impatient et rançonné par une hausse de prix telle, que, grâce à la rareté de l'offre et à l'abondance de la demande, les six volumes que nous donnons intégralement dans nos deux ne coûtaient pas à leur heureux conquérant moins de quarante ou cinquante francs. Experto crede Roberto

4° Nous avons soigneusement et minutieusement revu notre texte sur toutes les éditions antérieures, depuis celle de Londres, 1810, jusqu'à celle de 1827 inclusivement. Nous osons en dire aujourd'hui la version authentique et la correction à peu près irréprochable. Nous affirmons aussi avoir rétabli les rares passages supprimés en 1812 et depuis.

5° Nous avons coordonné, numéroté et classé suivant l'ordre chronologique, le plus intéressant, le plus commode et le plus rationnel, les lettres des Recueils de 1809 et de l'édition de Londres.

6° Nous y avons ajouté des lettres inédites de madame du Deffand au chevalier de l'Isle, dont nous devons la libérale communication au digne descendant et héritier du correspondant de Voltaire, du commensal des Choiseul et des Polignac, de l'ami du prince de Ligne; du plus spirituel des capitaines de dragons qui aient jamais servi dans la littérature, à M. Henri de l'Isle, officier comme son cousin, lettré comme lui, aimable comme lui, mais, à coup sûr, plus laborieux.

7° Nous avons éclairé d'un commentaire permanent les lettres nombreuses du Recueil de 1809, Recueil, comme nous le savons, irrégulier, désordonné, fautif, et en fait de commentaires :

Nu comme un plat d'église,

Nu comme etc.

Nous avons revu, corrigé, augmenté, multiplié les notes consciencieuses et instructives de l'éditeur de 1827, qui en a hérité de l'édition de Londres, sauf la peine de les traduire; comme nous en avons hérité nous-même, sauf à les corriger, et à leur enlever cette âpreté et cette aigreur antiphilosophique et parfois antilittéraire qu'expliquent sa qualité et les exigences d'une époque de réaction. Nous avons du reste loyalement, scrupuleusement dénoncé au lecteur, par une initiale indicatrice, ce qui, dans ce commentaire, est l'œuvre de M. Artaud et la nôtre. A ces heures d'enivrement et d'illusion où l'on rêve un livre complet comme son sujet, et où

une généreuse ambition prête à l'œuvre qu'on commence les proportions d'un monument, nous avions pensé à donner des lettres de madame du Deffand une édition princeps, enrichie d'un de ces commentaires copieux, curieux, minutieux, qui ne permettent pas le moindre doute, qui satisfont la moindre question, qui ajoutent à chaque page comme un horizon d'idées et de faits. Vous vous souvenez, lecteurs, avec admiration et reconnaissance, de ces notes magistrales et ingénieuses, si savantes, si intéressantes, si amusantes, où les maîtres du genre les Walckenaër, les Monmerqué, les Paulin Pâris, les Lavallée, ont déposé comme dans des ruches le miel d'une encyclopédique et infaillible érudition. Un pareil travail eût été trop long, trop volumineux et trop cher. Nous vivons à une époque terrible pour les gros livres. Il faut des lecteurs sédentaires à des auteurs bénédictins. Mais la France du chemin de fer, du télégraphe électrique, veut, même en littérature, des voyages rapides, faciles, la fleur des choses et la fleur des idées. Notre nécessaire faisait déjà un fort bagage, nous avons supprimé le superflu, chose si nécessaire à l'époque des diligences et des lettres à douze sous.

8° Nous avons, dans un Appendice, recueilli jusqu'aux moindres traces du talent de madame du Deffand pour les parodies et les chansons, et installé la galerie complète des portraits des personnes de sa société intime, le plus souvent tracés par madame du Deffand elle-même, et où, selon Walpole, il y a de vrais chefs-d'œuvre d'observation, de style et de ressemblance.

9° Ce qui n'était pas superflu, c'était une Table analytique et alphabétique, digne de ce nom : nous l'avons faite avec le même soin et la même peine que nous voudrions que prissent pour nous les auteurs de tant de bons livres dont cette lacune diminue le crédit et l'usage.

Enfin nous avons cru être agréable à nos lecteurs en leur donnant deux beaux portraits de madame du Deffand et d'Horace Walpole, gravés d'après Carmontelle et d'après Reynolds, par le burin délicat d'un de nos jeunes artistes les plus distingués, M. Adrien Nargeot, et le fac-simile de deux lettres, l'une de madame du Deffand, l'autre de Walpole (en français), dont nous devons la précieuse communication à l'obligeance d'un homme qui rend tous les jours, par ses ouvrages et ses conseils, tant de services aux lettres et aux lettrés, M. Feuillet de Conches.

M. DE LESCURE.

AVANT-PROPOS.

DU CLASSEMENT DES LETTRES DANS LA PRÉSENTE ÉDITION.

Le classement de la Correspondance de madame du Deffand avec ses amis a été pour nous l'objet de méditations approfondies. Il s'agissait, en effet, non pas d'en trouver un, mais de trouver le meilleur, le plus convenable, le plus commode, le plus rationnel, non pas seulement au point de vue de la logique ordinaire, mais de cette logique supérieure, de cet ordre en quelque sorte psychologique, de cette gradation morale, qui sont le principal attrait des Correspondances, qui en forment l'action, et qui en font comme un drame à cent actes divers, avec son intérêt et sa moralité. Il fallait disposer ces lettres si diverses, si variées, émanées de mains plus ou moins illustres, de façon à éclairer à la fois la vie extérieure et la vie intérieure de celle qui en personnifie l'unité, à peindre à la fois l'âme de madame du Deffand et sa société. Il fallait éviter la confusion, le pêle-mêle, la promiscuité d'épîtres dont le voisinage non ménagé serait une maladresse ou une profanation. D'un autre côté, il fallait aussi éviter de montrer par trop la main importune du commentateur et du critique, il fallait laisser à ce livre et aux lettres dont il se compose cette charmante irrégularité, ce piquant désordre de la conversation

elle-même; il était dangereux de se trop montrer, de dissiper l'illusion, de troubler le rêve de ce monde évanoui, si cher au lecteur sincère.

Il en est d'une Correspondance comme d'un salon. Les lettres éparses y figurent les fauteuils placés çà et là, selon le hasard ou le choix, la répugnance ou la sympathie. On croit, avec un peu de bonne volonté, assister au spectacle de ces réunions célèbres. A force de regarder, on distingue chacune de ces ombres spirituelles, venant prendre leur place de causerie. Il demeure dans ce silence comme une dernière impression du discours qui vient de finir, comme un dernier murmure, comme un dernier sourire de contradiction ou de plaisanterie. Le premier des devoirs de l'éditeur n'est-il pas de respecter, de ménager ces apparences de vie, ces restes de mouvement, ces reflets du foyer, ces ombres de la lampe, ce bruit des pas et cette illusion du chuchotement, que donne une Correspondance rangée, par un naturel plein d'art, dans la liberté même du salon, où chacun prend la parole à son tour, quelquefois tous à la fois, où le dialogue a tant de droits, et où le monologue seul est interdit. De temps en temps, la porte s'ouvre et se ferme, et un nouveau venu, étranger ou habitué, fait son entrée solennelle ou discrète, selon le rang ou la réputation, l'humeur ou le mérite, et c'est là le charme éternel des Recueils de lettres.

D'un autre côté, car nous avons fouillé dans tous les sens et vu se dresser devant nous les doutes les plus spécieux, les scrupules les plus inconciliables, n'y a-t-il pas avantage, pour l'historien et le moraliste, à trouver les Correspondances préparées en quelque sorte pour leur analyse, c'est-à-dire groupées par ordre d'événements, de personnes, d'idées, offrant, dans leur progression savante, l'échelle en quelque sorte de la vie d'une personne illustre, la progression de ses sentiments, les degrés de son âme?

On le voit, le métier d'éditeur n'est pas toujours commode ni facile, et nous n'avons donné qu'une faible idée des inconvé

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