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chester, à dix heures et demie, ayant fait plus de dix lieues et ayant arrêté environ un quart d'heure en chemin, pendant lequel on donna aux chevaux, sans les dételer, une poignée de foin.

Il n'y a rien à voir à Rochester; j'y ai trouvé les troupes sous les armes et j'y ai reçu la visite de l'état-major. Ensuite, en attendant le dîner, j'ai mangé des huîtres qui n'étaient pas fort bonnes, parce que ce n'est pas encore tout à fait la saison. J'ai demandé que mon dîner fùt entièrement à l'anglaise et je l'ai trouvé très-bon. On m'a servi un énorme rosbif, c'est-à-dire un aloyau saupoudré de sel. Il était excellent et plein de jus, mais on l'aurait trouvé trop peu cuit à Paris. Cela le rendait cassant, quoiqu'en même temps il fût tendre. A coté de cela étaient des laitues, non pas cuites tout à fait, mais qui m'ont paru seulement blanchies. Elles étaient rangées par compartiment avec des carottes bien cuites et bien rouges, coupées en dés. Au milieu du plat était une excellente sauce au beurre dans une espèce de grande tasse ou petite jatte de porcelaine. De l'autre côté était un plat de navets parfaitement bien cuits, et coupés comme on fait à Paris, des compotes de pêches; et la sauce de cela était encore une sauce à tourner, de très-bon beurre et très-moelleuse, mais avec un peu de moutarde. J'ai mêlé beaucoup de tout cela avec un très-bon petit morceau de rosbif et je n'ai presque pas touché au reste de mon dîner, qui consistait en des carrelets sortant de la mer, et des œufs comme nos œufs au petit pot. Ils étaient dans des tasses découvertes et avaient fort bonne mine. J'ai demandé de quoi ils étaient composés et le voici: des œufs, du lait, un peu d'eau-de-vie et du citron; j'en ai goûté et je les ai trouvés du meilleur goût sans que rien y dominât et de la plus grande délicatesse, quoique très-bien pris. Je ne dois pas oublier des espèces de rissoles de cochon avec une sauce semblable à celle qu'on fait avec l'égoutture d'une bonne braise. Cela était très-bon et le tout servi très-proprement dans de la porcelaine comme nos assiettes bleu et blanc, de très-beau linge damassé extrêmement blanc et un buffet très-artistement arrangé avec de jolies pièces d'argenterie. Mon fruit a été une bouchée

de fromage de Chester très-gras, et ma boisson a été de la bière avec deux petits coups de vin claret, c'est-à-dire de Bordeaux. Mon dîner et celui de mes gens à Rochester ne m'ont coûté que trois guinées, d'où il faut conclure, en songeant au cabaret de Cantorbéry, qu'il y a d'honnêtes gens partout.

Un garçon du cabaret, qui est fort leste et intelligent, nous a beaucoup entretenus de l'amour qu'on a à Rochester pour M. Pitt. Je me suis su bon gré d'avoir d'étroites liaisons avec sa famille, et j'ai conclu que tout sert en ménage. Tout le peuple de Rochester remplissait la rue et la maison, et il m'a paru qu'on nous voyait avec plaisir.

Le chemin aux environs de Rochester, c'est-à-dire quelques lieues avant d'y arriver en venant de Douvres, et ensuite le chemin depuis Rochester jusqu'à Londres, offre le plus beau spectacle qu'on puisse imaginer. La campagne est cultivée comme les potagers de Choisy, les chemins qui la coupent ressemblent à notre rempart, et on côtoie presque toujours ȧ environ une petite lieue de distance le cours de la Tamise. Elle a au moins une demi-lieue de large, et elle foisonne de vaisseaux et de chaloupes, qui vont, viennent et traversent sans cesse, de l'autre côté de la rivière aussi bien que de ce côté-ci. De quelque côté et au plus loin qu'on jette la vue, on découvre le plus beau pays de l'univers, le plus peuplé, le plus vivant, le plus cultivé, le plus varié en toute sorte de productions, et ce beau fleuve qui baigne un si charmant paysage, et dont on voit dans le lointain sur la droite l'embouchure couverte de vaisseaux, à qui leurs mâts donnent l'air d'une forêt flottante, achève la perspective et la rend un spectacle unique. Je m'imagine que le paradis terrestre ressemblait à cela, car sans doute il y passait un petit bras de mer pour qu'il y eût de tout; mais je ne crois pas qu'il y eût une marine si nombreuse et si brillante.

Je suis parti de Rochester après y avoir séjourné environ trois heures, et j'ai trouvé mon attelage anglais, frais comme un gardon. Il y a dix lieues de Rochester à Londres. Je les ai faites, c'est-à-dire l'attelage de M. de Bedford, en quatre heures

aux deux tiers desquelles il y a eu une pause de trois quarts d'heure pour essouffler les chevaux, leur ôter la sueur, les polir comme une glace de miroir, et leur donner une très-petite poignée de foin. Après cela, ils ont pris le plus grand trot, et précisément le train que va le roi notre maître dans ses voyages; et ainsi je suis arrivé au jour tombant sur le magnifique pont de Westminster. Là, le détestable pavé de Londres m'a fait aller au pas chez Mme Points, où j'ai été débarquer, où je suis fort commodément logé, moi, ma secrétairerie et sept ou huit de mes gens, et où j'achève le présent journal du troisième voyage de Sindbad le Marin.

FIN DES DOCUMENTS INÉDITS

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CHAP. III. Les acteurs et les actrices de l'hôtel de Brancas.

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Les comédies du comte de Forcalquier.

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CHAP. IV. La société du Luxembourg. - Mme de Roche-
fort et le marquis de Mirabeau. Une discussion méta-
physique. Une réception à l'Académie . .
CHAP. V. Le cardinal de Bernis. Le logement de Mme de

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Rochefort au palais du Luxembourg. - Ses lettres à l'exilé du Bignon

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CHAP. VI. Le duc de Nivernois, sa vie et ses ouvrages.

Instruction sur l'état de courtisan.

113

CHAP. VII. Mme de Rochefort et le duc de Nivernois.

Mme de Rochefort et la famille de son ami.

130

CHAP. VIII. La comtesse de Rochefort et Mme de Pailly.
Les deux amis de Saint-Maur et les deux amis du

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CHAP. IX.

Les soirées du Luxembourg. - Le second ma

riage et la mort de Mme de Rochefort.

216

CHAP. X.

La vieillesse du duc de Nivernois

235

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La haute société, ses goûts, ses habitudes et

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ses mœurs au dix-huitième siècle. .

CHAP. XII.

Les mœurs, le mariage, la famille en France

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