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CLINDOR.

C'est comme si l'on cherchait, monsieur, ce qui vous manque pour avoir de l'esprit.

GÉRASTE.

Je commence à croire comme vous, seigneur Alcidor, que vous ne ferez point d'enfant à ma fille.

ALCIDOR.

Je me retire, non que je sois décontenancé de ce qui se passe, mais pour vous tirer tous d'embarras. Les uns n'osent me regarder, les autres m'adressent des plaisanteries fort aigres. Croyez qu'un vrai philosophe retombe sur ses pieds quand il demeure garçon. Si vous aimez la bonne compagnie, si vous tenez une bonne maison, quand vous serez mariés, je ne suis pas en peine que vous me recherchiez. (Il sort.)

GÉRASTE.

Mon cher Nicandre, vous êtes jeune et bien neuf pour vous marier si tôt; il est à propos que vous ayez encore quelque temps pour vous former.

NICANDRE.

Ah! ne vous embarrassez pas, je ne chômerai pas de fille. Puisque je ne suis pas votre fait, cela prouve que vous n'aimez pas le bon et le solide, vous vous en repentirez. - Pour vous, monsieur Clindor, il faut que vous ayez l'âme bien basse pour vous travestir en pied plat par amour. Si jamais je me déguisais pour ma maîtresse, ce serait en prince.

CLINDOR.

Vous seriez bien déguisé.

AMALASONTE, à Nicandre.

Allez, allez, l'heure de votre coucher se passe, il est près de dix heures.

CLINDOR.

Mon bonheur passe mes espérances, l'ouvrage de ma vie est de toujours le mériter.

ANGÉLIQUE.

Je ne puis me justifier d'avoir osé engager mon cœur à l'insu de parents aussi respectables, qu'en leur faisant trou

ver, à l'un et à l'autre, dans l'objet de mon inclination, une source éternelle de contentement. Je suis sûre, Clindor,

que vous saurez effacer mon crime.

M.

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GÉRASTE.

Ma femme, vous voyez que le bon sens n'est pas toujours si bête.

AMALASONTE.

Quand le mérite par hasard ait parler, je l'écoute. Vous voyez, monsieur, que le mérite n'est pas toujours si fou.

CLINDOR.

Angélique ainsi tiendra de vous tous les trésors de l'esprit et de la raison. Plaise à l'amour que j'y ajoute ceux du sentiment.

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La scène est dans une salle de la maison du père des demoiselles.

SCÈNE PREMIÈRE

RAYMOND, ZERBINETTE.

RAYMOND.

Eh bien, quand épouserons-nous?

ZERBINETTE.

Jamais. Suivant l'ordre de ces messieurs, j'ai fait une dernière tentative et je leur porte une dernière réponse.

RAYMOND.

Ce n'est donc pas en notre faveur que l'amour parle dans cette maison?

ZERBINETTE.

Ne te plains point de l'amour, il n'est ni contre Zadig, ni contre Alcidor, ni même contre toi.

RAYMOND.

Il serait pour nous s'il n'était pas contre. Jamais il n'est demeuré neutre entre trois garçons et trois filles.

ZERBINETTE.

Oh! nous ne sommes pas des filles à l'ordinaire (mes maîtresses, s'entend); car, pour moi, j'ai une façon de penser très-commune.

RAYMOND. *

Mais point du tout commune, si tu ne m'aimes pas à la .folie.

Le fat!

ZERBINETTE.

RAYMOND.

Oh çå! tu me reviens; je ne t'inspire pas de répugnance : pourquoi faire dépendre notre union du caprice de nos maîtres?

ZERBINETTE.

Parce que nous sommes trop pauvres pour nous marier par inclination.

RAYMOND.

Et j'entends dire toute la journée que, lorsqu'on est riche, on ne saurait se marier à sa fantaisie.

ZERBINETTE.

Cela est encore vrai; il n'y a de liberté réelle que dans les états mitoyens.

RAYMOND.

Nous pourrions du moins prendre un parti mitoyen.

Qu'est-ce à dire ?

ZERBINETTE.

RAYMOND.

Tu n'entends pas? donnons notre cœur au penchant, et gardons notre main libre pour la fortune

ZERBINETTE.

Impudent! quel discours à une fille de ma vertu

RAYMOND.

Vertuchou! quelle vertu!

ZERBINETTE.

Abrégeons; les adieux sont tristes.

RAYMOND.

Ceci n'est point un adieu.

ZERBINETTE.

Le maître congédié, le valet décampe, la soubrette l'oublie, c'est la règle.

RAYMOND.

Tu penses que l'affaire est sans ressource?

ZERBINETTE.

Apparemment; quel remède trouver aux causes du dégoût de ces demoiselles? Ismène ne veut point de Zadig, parce qu'il est trop jeune; Aglaé refuse Alcidor parce qu'il est trop vieux. On ne peut espérer d'amendement en celui-ci et on n'a pas le temps d'attendre la correction de l'autre.

RAYMOND.

Au vrai, Zerbinette, il n'y a point ici d'amourette, d'infidélité en campagne ?

ZERBINETTE.

Quoi! cela ne suffit-il pas ?

RAYMOND.

Songe donc que tu ne m'apprends rien de nouveau. Depuis deux ans que nous faisons l'amour, je dois être au fait du caractère de ces demoiselles. Je sais de reste que la surnaturelle Ismène s'évanouit à la vue d'un jeune homme, et que la trèsnaturelle Aglaé a mal au cœur quand elle aperçoit un vieux homme.

ZERBINETTE.

Ismène serait sans défauts, si elle n'avait pas le cœur gâté par les romans et l'esprit brouillé par les sciences. Elle voudrait pour amant un preux chevalier vieilli dans les tournois, couvert de cicatrices, ou un philosophe blanchi dans l'étude. Il n'y a que ces deux sortes de gens à qui elle trouve glorieux d'inspirer de la passion et pour qui elle trouve gracieux d'en ressentir.

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