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elle s'avançait vers Clendy, Cheseaux, Villars-Epeney, la Mauguettaz, Yvonand, Cheyre, Chabloz, la tour de Molière, Payerne jusqu'à sa destination d'Avenches.

La direction de cette route n'est point imaginaire. Il est toujours facile de distinguer la trace des anciennes voies romaines lorsqu'il en est resté quelques vestiges. Elles étaient communément formées de quatre couches ou assises superposées sur une largeur de quinze à vingt pieds. La première se composait de grosses pierres posées à plat, souvent unies avec du ciment, c'était le stratumen ou fondement de l'édifice; la seconde, appelée ruderatio, était formée de pierres concassées; la troisième, le nucleus, se composait d'un lit de chaux mêlée de briques pulvérisées ou de sable; enfin la quatrième, summa crusta, qui exigeait plus de soin, était tantôt un pavé de pierres cubiques ou polygonales, tantôt une assise de cailloux non taillés mais fortement tassés ou simplement un lit de gros sable, glarea. Quelquefois cette croûte supérieure était pavée de pierres de taille avec beaucoup d'art et de magnificence. Or, les sondages opérés à différentes époques et en divers lieux, particulièrement dans le champ Æschimann2, aux Jordils, dans le pré de la cure3, ont révélé l'existence d'une route où l'on pouvait distinguer la plupart des éléments que les Romains faisaient

1 Voir le Cours d'antiquités monumentales de M. de Caumont, 2e partie, page 90 et suivantes.

2 On a enlevé là une grande quantité de pierres plates taillées. 3 Les travaux du chemin de fer et ceux que l'on a exécutés dernièrement pour former le nouveau lit du Buron ont mis à découvert les grosses pierres qui formaient ordinairement la première assise des voies romaines.

entrer dans ces sortes de constructions. C'est aussi le long de cette voie dont nous avons signalé la direction', que l'on a découvert des tombeaux et des armes, des pavés à la mosaïque 3, un grand nombre de médailles en or, en argent et en bronze' et d'autres objets qui remontent à l'époque dont nous nous occupons.

Les voies romaines, avons-nous dit, étaient gardées par des postes militaires. Les Romains savaient choisir d'une manière admirable le lieu de ces stations et ils ne devaient pas négliger de fortifier un des passages qui conduisaient de l'Helvétie dans les Gaules. C'est ce qu'ils firent en effet. Ils marquèrent dans ce but, près du Buron, un vaste emplacement formant un carré irrégulier qu'ils fermèrent de murailles élevées de sept à huit pieds et même dans quelques endroits de huit à neuf pieds d'épaisseur, aux angles desquelles ils élevèrent des tours qui pouvaient leur servir de vigie. Ce fut là, selon toute apparence, le

1 La route romaine depuis Cheseaux s'avançait vers le lieu dit Chante-Merle, elle laissait Villars-Epeney sur la droite et elle atteignait Yvonand en passant entre Mordagne et la Mauguettaz. Les habitants appellent encore l'emplacement qu'elle occupait la grand Vy (Via).

2 Aux Jordils et près de Cheseaux. On sait que les Romains plaçaient ordinairement leurs tombeaux le long des routes, comme pour les mettre sous la protection des voyageurs. On trouvait aussi au bord des principales voies des mansiones, sortes de relais où l'on tenait des chevaux à l'usage des courriers porteurs des ordres des empereurs, et des diversoria, espèces d'hôtelleries; on les appelait caupona, taberna diversoriæ.

3 A Mordagne et à Cheyre.

4 Aux Jordils.

5 Les ruines de deux de ces tours étaient encore visibles il y a

premier commencement de la ville romaine qui reçut de la position de sa forteresse sur le terrain d'alluvion formé par le Buron, le nom de Eburodunum ou de Castrum eburodunense1.

A peu de distance des rives du lac qui recouvrait encore de ses eaux le sol sur lequel reposent actuellement la ville d'Yverdon et la plus grande partie du faubourg de la Plaine, de petites maisons dont les fondements ont été mis à nu par les sondages opérés sur les lieux, ne tardèrent pas à s'élever entre le lac et la voie romaine, depuis la Thièle jusque vers la route de Lausanne. C'est en effet en l'Ile, aux Jordils, dans l'enceinte du Castrum et dans les terrains qui s'avancent vers la Plaine et les quatre mar

quelques années. Les fondements d'une troisième ont été mis à découvert en janvier 1858, lorsque l'on a commencé à exécuter les travaux de l'agrandissement du cimetière. Il existe deux restes de murs. Celui qui touche à la propriété de M. Poirier, maintenant vendue à la ville, avait, au commencement de ce siècle, près de quinze pieds d'élévation. A hauteur d'homme, il était percé d'un trou de forme carrée dans le but, sans doute, de permettre aux sentinelles de surveiller le marais. Au-dessous de cette petite ouverture, en creusant à la base du mur, on découvrit, il y a quelques années, un petit caveau voûté d'où M. Poirier a sorti un rouleau de monnaies romaines en bronze. Etait-ce là que se trouvait le trésor de la garnison? C'est aussi près de là qu'il a découvert le buste d'une statue. M. Correvon-de Martines, le premier qui se soit occupé avec quelque intérêt de nos antiquités, a indiqué la direction des murs de la forteresse romaine. C'est d'après ses notes et celles de M. le docteur Brière que M. le géomètre Duvoisin a pu lever le plan du Castrum qu'il a eu l'obligeance de nous communiquer.

1 D'où, par diverses transformations, le B se changeant souvent en V, Evurodunum, Evrodunum, Yverdunum, Yverdun, Yverdon.

ronniers, que l'on a découvert la plupart des antiquités dont nous allons maintenant nous occuper.

Ces débris de l'ancienne ville ne sont pas très-nombreux. L'incurie, l'ignorance ou une déplorable indifférence ont laissé perdre un grand nombre de ces monuments que l'on serait si heureux de posséder de nos jours. Cependant le peu qui nous en reste atteste que l'Eburodunum d'alors devait être une petite cité municipale du quatrième ou cinquième rang. Dans l'enceinte de son Castrum qui mesurait, d'après le plan de M. le géomètre Duvoisin, un espace de 2,340 toises bernoises, devaient se trouver, outre les demeures des chefs de la garnison, celles des magistrats et les casernes des soldats, un temple et des bains, deux établissements dont on comprend difficilement qu'une ville romaine de quelque importance pût se passer. Quant à l'existence de thermes ou de balnea publica, le fait est certain. On peut même en indiquer assez exactement l'emplacement et l'étendue.

On sait que les Romains, outre les bains de propreté qui formaient une des conditions essentielles de leur existence, connaissaient la vertu hygiénique et curative des eaux thermales et minérales et partout où ils se trouvaient, ils se hâtaient de les utiliser. La source sulfureuse située à quelques pas du Castrum ne pouvait échapper au peuple qui devina l'art de guérir. Aussi, pour en rendre l'usage plus commode et plus efficace, les conquérants s'empressèrent-ils de recueillir ces eaux salutaires dans un réservoir dont l'existence a été révélée par quelques restes de constructions qui ont été aperçus lorsque, à diverses époques, on a réparé le puits au fond duquel jaillit la source. Il paraît même qu'ils établirent quelques

bains dans son voisinage, car on a recueilli sur les lieux des briques romaines en grande quantité, et MM. Landry, entrepreneurs de bâtiments, en démolissant une vieille habitation', ancienne dépendance de la maison de M. le chevalier de Treytorrens, mirent à découvert un pavé à la mosaïque qui ne put être préservé 2. Mais le grand établissement de bains des Romains, alimenté par la source qui y était dirigée au moyen de tuyaux en terre cuite 3, se trouvait dans l'enceinte même du Castrum, comme cela a été révélé de la manière la plus inattendue.

3

Au commencement de ce siècle, M. le juge Christin voulant exhausser le sol de son verger de l'Isle 'et le mettre ainsi à l'abri du débordement de la Thièle, fit enlever dans ce but, pendant plusieurs années, des terres et des matériaux qui se trouvaient sur quelques pièces de terrain qu'il possédait à l'entour du cimetière. Les sondages qu'il fit exécuter mirent à découvert d'énormes pierres artistement travaillées, des fragments de colonnes, de corniches 5, et puis, plus tard, en 1811 ou 1812, dans le pré Jaquet une immense quantité de briques et plusieurs

1 Là où se trouve actuellement l'orangerie de la maison d'Entre

monts.

2 Quelques fragments de ce pavé ont été déposés au musée d'Yverdon.

3 Quelques morceaux de ces tuyaux ont été trouvés entre le Castrum et les bains.

4 Ce verger appartient actuellement à M. le teinturier Petitmaître, qui l'a acheté de M. de Guimps.

5 On pouvait en voir quelques fragments dans les angles d'un petit port maintenant comblé qui existait dans le verger de l'Isle.

6 Ce pré Jaquet a été acheté le 22 avril 1853 des hoirs ChristinPerceret pour servir par la suite à l'agrandissement du cimetière.

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