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naître, près de notre marais, d'anciens vestiges d'habitations et l'emplacement de l'une des douze villes incendiées par les Helvétiens du temps de Jules-César. Depuis longtemps les jeunes gens de Bonvillars, en se baignant dans le lac, non loin de l'embouchure de l'Arnon', avaient remarqué avec surprise au fond de l'eau, à deux ou trois pieds de profondeur, une sorte de plancher formé par des poutres entrelacées. Une semblable observation avait été faite près de Clendy2. En 1832, M. le capitaine Pillichody avait sorti du lac, près de Concise, un vase grossièrement travaillé et deux épées en bronze3. En 1836, on avait retiré de la tourbière de M. Denys Simond, aux Hutins, deux haches en serpentine et des pilotis en chêne et en sapin*. Enfin en 1852, à peu de distance de ce lieu, on avait également recueilli, dans une tourbière appartenant à M. Vouga, une pointe de flèche en silex ".

Les découvertes de Meilen vinrent donner une subite impulsion aux recherches. Un instituteur du collége d'Yverdon, M. Louis Rochat, s'empressa d'aller examiner les côtes de notre lac; avec un zèle et un dévouement des plus louables, il en parcourut les rives et il ne tarda pas à apercevoir vis-à-vis de Corcelette, près de Grandson, ces étranges pilotis que l'on a découverts plus tard sous les eaux dans tant d'autres lieux de la Suisse. Ils formaient à quelque distance du rivage un massif considérable, étaient

1 Près du grand Publoz, soit au Chaudron, à peu de distance de la Poissine.

2 Entre Clendy et Champittet.

3 Une de ces épées est déposée au musée de Neuchâtel.

Les deux haches se trouvent au musée d'Yverdon.

5 Elle a été aussi donnée au musée de notre ville.

disposés dans un certain ordre symétrique et quelquesuns se dirigeaient jusque sur la terre ferme. Les fouilles qu'il parvint à faire avec beaucoup de difficulté à la base de ces rangées de piquets, lui permirent de rassembler un nombre considérable de poteries plus ou moins grossières, de grandeurs et de formes diverses, et quelques objets en cuivre dont il a enrichi le petit musée d'Yverdon'. Il y avait donc évidemment dans une localité rapprochée de notre ville, à l'époque où finissait ce que l'on appelle l'âge de pierre et où commençait l'âge de bronze, un petit peuple primitif qui, pour mieux se défendre contre les incursions imprévues de bandes ennemies, se livrer à la pêche ou résister aux attaques des animaux féroces dont les forêts devaient alors être remplies, se logeait au-dessus des eaux dans de petits villages construits sur des pilotis. C'est là, du moins, l'opinion des hommes qui ont fait une étude spéciale de ces remarquables antiquités et en particulier de nos savants compatriotes Keller et Troyon. La circonstance que l'on a sorti et que l'on retire encore d'une tourbière des Hutins des fragments de pilotis qui portent les traces du travail de l'homme, semble indiquer que le lac s'avançait alors jusqu'au pied du mont de Chamblon, qu'il y avait aussi là un village sur pilotis et que le terrain sur lequel furent construites plus tard la ville romaine et la ville actuelle d'Yverdon était encore sous les eaux ou faisait partie du marais.

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Il y ajouta plus tard une emmanchure en bois de cerf pour hache de pierre, que la machine à draguer avait fait sortir de la Thièle en 1855. Elle est pareille à celles que l'on avait déjà trouvées dans le lac de Zurich.

2 Celle de M. Simond.

Des siècles s'écoulèrent; la Thièle, le Mujon, le Talent, le Buron et les petits ruisseaux, en entraînant les graviers et le limon au fond de la vallée, firent hausser le sol et reculer le lac. Il se forma entre celui-ci et le marais un terrain solide qui dut être peu à peu occupé par les descendants des premiers habitants devenus plus nombreux et plus civilisés. Il est très-probable, mais on ne saurait l'établir d'une manière certaine, qu'une petite ville fut alors bâtie sur cette langue de terre qui pouvait servir de passage pour se rendre des Gaules dans l'Helvétie. D'après les conjectures de Loys de Bochat', elle aurait même porté le nom d'Aberdun ou d'Aeberdun, mots celtes qui signifient colline ou simplement élévation, dune, à l'embouchure d'une rivière, et c'est de ce nom que seraient dérivées, selon le même écrivain, les diverses dénominations par lesquelles on a désigné notre ville à différentes époques. Guillimann3, Ruchat et d'autres historiens, en admettant aussi l'existence de cette cité, pensent qu'elle fut l'une des douze villes brûlées par les Helvétiens, lors de leur célèbre mais malheureuse expédition dans les Gaules. On peut le supposer en effet; les Helvétiens de retour dans leur patrie ont dû se fixer de préférence dans les lieux qu'ils avaient précédemment

1 Mémoires critiques pour servir d'éclaircissement sur divers points de l'histoire ancienne, etc., tome I, p. 83.

2 Eburodunum, Ebrodunum, Castrum ebrodunense des Romains; Eoverdun en 1235, dans le cartulaire de Lausanne; Yverdunum en 1340; Ifferten, en allemand; Yverdun et Yverdon.

3 Guillimanni, Helvetia sive de rebus Helvetiorum. Lib. I, cap. III.

4 Ruchat, Histoire ecclésiastique du pays de Vaud, pages 124 et 125.

occupés et y rebâtir leurs villes et leurs villages selon l'ordre qu'ils en avaient reçu de Jules-César. Ce qui est certain, c'est que les Romains, après avoir battu les Helvétiens, vinrent s'établir en grand nombre dans notre contrée, imposèrent aux habitants leurs lois, leurs usages, leurs mœurs, leur langage et leur religion, et formèrent en particulier, à l'extrémité sud de notre lac, des établissements considérables. Entrons dans quelques détails sur ce que les vainqueurs firent chez nous pour consolider leur domination.

CHAPITRE II.

Yverdon sous les Romains.

Lorsque les Romains eurent conquis l'Helvétie et eurent contraint ses habitants à reconstruire leurs villes, ils en prirent l'administration au nom de l'empire. L'antique Aventicum devint la capitale du pays et des routes solides, dont la circulation était assurée par des postes militaires, mirent le chef-lieu en rapport avec les autres villes de la contrée et les provinces voisines. Une de ces voies romaines conduisant de Besançon à Avenches par Pontarlier, traversa le territoire d'Yverdon. Grâces aux découvertes

1 La table théodosienne ou de Peutinger fait connaitre la route romaine de Besançon à Avenches. La direction était celle-ci : Vesuntio 15 ou 16 M. P. Filomusiacum, Abiolica ou Ariorica 6. Eburodunum 17. Aventicum Helvetiæ; c'est-à-dire Besançon, Usié, Pontarlier, Yverdon, Avenches.

faites à diverses époques, on en connaît assez bien la direction. Passant au-dessous de la ville d'Orbe et arrivant au botzelet, près de Mathod, elle longeait les bords du marais au bas de Suscévaz' et de Treycovagnes, où l'on a trouvé une colonne milliaire' qui fut d'abord transportée à la rue du Four, devant la maison de M. le président Doxat, et que l'on peut voir maintenant à l'entresol de l'hôtel de ville d'Yverdon. Après avoir atteint Cheminet, elle tournait à main droite, franchissait la Thièle sur un pont de pierre3, traversait toute l'étendue des Jordils, puis, parvenue au milieu du cimetière actuel,

1 Le lieu où elle passait est encore désigné sous le nom de en Chemont-dessous.

2 Ce pilier en marbre blanc porte une inscription à l'honneur de Septime Sévère. Cet empereur ayant triomphé de ses deux concurrents, Niger et Albin, retourna promptement en Asie pour tirer vengeance des Parthes, des Adiabéniens et des Arabes qui avaient pris le parti de Niger. Il défit ce dernier avec beaucoup de gloire et le sénat lui donna les titres de Parthique, Adiabénique et Arabique. Ces titres figurent dans cette inscription et dans une autre qui se lit sur une pierre de marbre que l'on voyait à Chavornay, enchassée dans une muraille le long du grand chemin d'Yverdon. Ce dernier pilier, qui était aussi une colonne milliaire, a été détaché du mur par M. le pasteur Laurent et a été transporté au musée de Lausanne. La colonne milliaire de Treycovagnes indique 21,000 pas jusqu'à Avenches.

3 On en voit encore quelques traces dans la rivière près de la pinte Schuppach. Les comptes de ville du quinzième siècle mentionnent encore ce pont de pierre, et le 8 septembre 1788, M. Miéville, fermier du logis de l'Aigle, obtint l'autorisation de pouvoir enlever dans cette partie de la grande rivière trente-deux pierres de taille. Cette opération ne se fit qu'à grands frais.

4 Jusqu'en 1601, le cimetière ne possédait pas de clôture et on le traversait avec chars et chevaux. Reg. municipal de 1601, 12 mars.

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