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Pierre de Savoie, seigneur de Romont, était absent du pays lorsque ces traités furent faits par le sire de Faucigny, qui décéda bientôt après. A son retour d'Angleterre, Pierre refusa de ratifier les engagements pris par son beau-père envers le sire de Montfaucon, qu'il dessaisit des 25 livres de rente assises sur les terres dont on a parlé. Puis, décidé à consolider son autorité dans une contrée où il avait acquis de si vastes propriétés, il résolut d'achever l'œuvre des Zahringen et de compléter le système de défense de la ville.

La position d'Yverdon rendait l'entreprise assez facile. Le lac au Nord, alors plus rapproché de la ville, la Thièle et la petite rivière à l'Est et à l'Ouest, présentaient déjà des obstacles naturels à l'ennemi qui aurait dirigé ses attaques contre la cité de ces trois côtés. Un bras de la Thièle fut détourné et dirigé de manière à garantir la ville du côté du Midi 2. De plus, dans un moment de danger, on pouvait inonder les environs de la ville et en rendre l'accès impraticable en barrant le Buron et la Thièle qui coulent ordinairement avec une certaine lenteur. Pierre de Savoie ne s'en tint pas là: il entoura de toutes parts la ville d'une enceinte fortifiée, et fit établir dans la rivière des portes ou barrières mobiles que l'on pouvait fermer ou ouvrir à volonté.

1Ce ruisseau sortait de la petite rivière ou vieille Thièle, formée par le Buron et un bras de la Thièle proprement dite (Tela en latin), dont la jonction se fait aux Chaînettes. La vieille Thièle était au moyen âge beaucoup plus considérable qu'à présent, puisque les barques pouvaient la remonter jusque vers Notre-Dame.

2 La rue du Four portait au moyen âge le nom de rue de la Thièle, vicus telae, le cours d'eau qui baignait ses murs et qui provenait de la vieille Thièle, l'avait fait appeler ainsi.

L'exécution de ces travaux causait un préjudice réel et notable au sire de Montfaucon, qui, en qualité de seigneur d'Orbe, avait fait réparer ou construire à neuf, dans le faubourg d'Yverdon, des ponts et des moulins sur la Thièle, des viviers et un port sur le lac, dont il retirait des droits de rivage, de pontonage et d'autres profits, que la clôture de ce lieu, naguère libre et ouvert à tout venant, diminuait considérablement '.

L'ascendant croissant de Pierre de Savoie dans le Paysde-Vaud et les troubles domestiques qui divisaient la maison souveraine de Franche-Comté, laissaient peu de chance au sire de Montfaucon de résister avec succès aux entreprises hardies de ce redoutable concurrent. Amédée dut prendre le parti de s'accommoder avec lui. Des arbitres furent nommés de part et d'autre pour régler les conditions de l'accommodement, savoir: pour le sire de Montfaucon, messire Lambert de Goncens, et pour Pierre de Savoie, messire Geoffroy de Grandmont. Aymon, sire de La Sarraz, fut choisi comme surarbitre. Le 26 Avril

1 Vente faite au comte Pierre par le sire de Montfaucon de ses droits sur Yverdon en 1260.

Le sire Amédée disait qu'il avait à Everdun le cours de l'aigue appelé Tiele et que depuis que li dit messire Pierre avait fermé le dit lieu, il ne poet oneques ferre piscine ne môlin, etc. (Cibrario, Storia di Savoia, t. II, p. 104, Arch. della Corte, ducato di Savoia, Mazzo I).

2 Pour tout ce qui concerne les débats entre Pierre de Savoie et le sire de Montfaucon, nous avons suivi en grande partie le récit qu'en a fait M. F. de Gingins dans le XIVe volume des Mémoires de la Société d'histoire de la Suisse romande: « Les sires de Montfaucon, p. 45-48. Nous avons consulté également sur ce sujet l'ouvrage de M. Wurstemberger: « Peter der zweite, » pages 487 et

1260, ces arbitres prononcèrent que le sire de Montfaucon cèderait à perpétuité au prince Pierre de Savoie, pour la somme de cinq cents livres viennoises, le cours d'eau de la Thièle, les viviers, les moulins, les péages et, en un mot, tous ses droits utiles ou régaliens à Yverdon et dans la banlieue de cette ville. Cependant il était convenu que l'acquéreur n'empêcherait pas les bateaux de descendre la Thièle pour se rendre d'Orbe sur le lac. Il pourrait bien fermer la rivière et y établir une porte, mais celle-ci devrait s'ouvrir toutes les fois que les bateaux se présenteraient pour remonter ou descendre la Thièle1. Cette transaction, datée d'Yverdon, de la troisième semaine après Pâques 1260, eut son plein effet, comme le prouve un mandement adressé par le sire de Montfaucon, de son châtel d'Orbe, en date du 1er juillet de la même année, à ses vassaux ou receveurs d'Yverdon, par lequel il leur fait part de la vente de ses possessions dans cette ville, les relève de leur serment de fidélité envers lui, et leur enjoint de reconnaître le prince Pierre de Savoie pour leur seigneur.

488. Bien que parfaitement d'accord sur les principaux faits, ces deux écrivains diffèrent quelque peu dans les détails. C'est ainsi qu'en parlant des arbitres choisis pour régler le différend entre Pierre de Savoie et le sire de Montfaucon, M. Wurstemberger dit : << Humbert de Golens und Gottfried von Grandmont, damals Herr » von La Sarra, » p. 487.

1 Peter der zweite, Graf von Savoyen, Markgraf in Italien, sein Haus und seine Lande, von L. Wurstemberger. Erster Theil. Bern, 1856, p. 487. Manuscrit de Ph. Pingon, intitulé Zibaldone ou Mélanges, aux archives royales de Turin.

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« A° 1260. Amedeus D. Montefalconis.... cum nos feoda que tenetis a nobis apud Everdonem et alia que habemus in dicta

Mais ces rapides conquêtes que Pierre de Savoie avait faites dans le Pays-de-Vaud, en profitant habilement des troubles de l'empire et de la misère où était tombée la noblesse de cette contrée, avaient excité un vif ressentiment contre ce prince parmi ces seigneurs qui, jusqu'à ce moment, avaient vécu dans une sorte d'indépendance, et se voyaient maintenant réduits à la condition de simples vassaux. Pendant une absence du comte, il se forma contre lui une puissante ligue, à la tête de laquelle se trouvaient un lieutenant de l'empereur, les comtes de Nidau, de Gruyère et d'Arberg, les sires de Montfaucon, de Grandson, de Cossonay et de Montagny, ainsi que plusieurs autres nobles et chevaliers d'un rang moins élevé. Le but de l'association était de secouer le joug de Pierre de Savoie, de rentrer en possession des seigneuries dont ils avaient été dépouillés par la ruse, l'argent ou l'intimidation, et de se placer, comme auparavant, sous la protection immédiate de l'empereur qui secondait le mou

vement.

L'insurrection éclata; les villes que Pierre de Savoie venait de fortifier, et en particulier celle d'Yverdon, ouvrirent leurs portes aux mécontents, et le pays fut en pleine révolution. Pierre, averti de ce soulèvement, se hâta de revenir, rassembla des troupes et battit les insurgés

» villa cesserimus ex causa venditionis illustri viro Do Petro de » Sabaudia.... vobis mandamus quatinus, etc. Datas apud Orbam, >> die lunae post fest. apostol. Petri et Pauli A' DI. M.CCLX. » (Archives royales de Turin, p. 25. Invent. fo 125). L'année suivante, le 27 Mai, le marché qui dépendait de l'évêque comme possesseur de Belmont, fut cédé à Pierre; l'acte est daté de Chillon. (Cibrario, II, p. 604).

près de Chillon. Nous n'avons pas à raconter les exploits de ce prince après ce combat, connu sous le nom de bataille de Villeneuve. Qu'il nous suffise de dire qu'après avoir repris sur l'ennemi les villes de Moudon, de Morat et de Romont, il dirigea ses pas vers la place forte d'Yverdon dont il avait dernièrement augmenté les moyens de défense. Nous laisserons l'historien Paradin' raconter, dans son langage naïf, le siége de cette ville dont il avait lu le récit dans les vieilles chroniques de Savoie :

« Cela fait, tira le Comte a une ville nommée Iverdon, ou les habitans firent grand devoir de se defendre : >> car avant que le Comte eut prins le loisir de faire mu>>nition à son camp et le fortifier de fosses et de douves, » les Iverdonois firent saillie sur les gens du Comte, et en tuerent plusieurs travaillans à l'assiete du siege, » dont le Conte fut en si grande colere, qu'il jura de ne » se partir de ce lieu qu'il n'euct la ville, pour en faire » comme il entendroit, tellement que tous les jours du >> monde, faisoit donner à ladite ville quelque assaut, ou > alarme, avec continuelle baterie à la muraille, par gros » engins, comme teste de beliers et autres, dont ils jet» terent la muraille par terre et faisoient bresche. Tou» tefois ceux d'Iverdon qui se doutoient bien que s'ils >> estoient prins, qu'ils seroyent payez content, faisoient » de merveilleux efforts pour la defense de leur ville et > remparerent de nuict la bresche que les ennemis fai» soient de jour et ne cessoient de jetter force pots et

1 Chronique de Savoye par maistre Guillaume Paradin, chanoyne de Beaujeu. A Lyon, par Jean de Tournes et Guillaume Gazeau. M. D. LII. p. 180 et 181.

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