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Le comte, mandé en toute hâte, se rendit aussitôt auprès des chefs de l'armée suisse, intercéda avec chaleur en faveur de la ville et ne négligea rien pour préserver Yverdon d'une épouvantable catastrophe. A ses instances, le même soir, le général bernois, Pierre de Wabern, le grand sautier de Berne, Wuilly Guiguer, Brandolf de Stein, qui était aussi accouru de Grandson pour parler en faveur d'Yverdon, et d'autres capitaines consentirent à se rendre en ville où les attendaient Pierre de Blay et les conseillers de la cité, et là, à la lueur des flambeaux, on posa les bases de la capitulation. La ville devait prêter serment de fidélité aux cantons, livrer huit ôtages et une somme d'argent. Les confédérés, de leur côté, consentaient à laisser sortir la garnison avec les honneurs de la guerre, et s'engageaient à confirmer les chartes de franchises de la ville. De plus, pour éviter le désordre et empêcher le pillage, les troupes confédérées n'entreraient pas dans Yverdon. Le lendemain, samedi 21, le traité fut signé de part et d'autre, au grand mécontentement des soldats suisses qui auraient voulu traiter Yverdon avec plus de rigueur qu'Estavayer.

Ce ne fut pas, toutefois, sans de grands sacrifices pécuniaires que la ville réussit à obtenir ces conditions favorables. Outre la somme qu'elle devait livrer et neuf bosses de vin distribuées aux soldats et achetées à Nicod de Coppet, elle fut obligée de remettre 48 livres à Pétremand de Wabern qui menaçait de prolonger son séjour à Yverdon. En dépit de la capitulation, un grand nombre

» vico tendente a platea bornelli contra domum domini de Vau>> langin. >>

de soldats suisses étaient entrés en ville et refusaient de se retirer. On pria le grand sautier d'employer son autorité pour faire sortir ces hôtes désagréables et dangereux et de passer la nuit à Yverdon pour empêcher que ceux qui, malgré ses ordres, étaient restés en ville ne fissent aucune insulte aux habitants. En récompense de ce service, on lui fit cadeau de 13 livres, 8 sols. Enfin, le conseil paya les frais d'un grand repas qui eut lieu à l'auberge de Jordan Pichon et auquel assistèrent le comte de Valangin et sa suite, Henri de Collombier, Antoine de Collombier, et leur suite, Pierre de Montagny, curé de Giez, le grand sautier de Berne et plusieurs autres officiers.

Le samedi, dans la journée, la petite garnison d'Yverdon, placée sous la protection d'un chef bernois, quitta la ville et prit la route d'Orbe. Elle fut remplacée par des soldats bernois, lucernois, fribourgeois et soleurois sous les ordres de Jean Wicht de Fribourg. L'armée confédérée s'éloigna elle-même des murs d'Yverdon le dimanche suivant, 22 octobre. La ville d'Yverdon venait d'échapper à un grand désastre et, quoiqu'elle gémît en secret d'être soumise à une autorité qu'elle détestait, elle se montra reconnaissante envers le comte de Valangin, aux efforts duquel elle devait d'avoir obtenu une capitulation honorable. Le lundi 23 octobre, avant de se séparer de cet illustre personnage, elle lui offrit, ainsi qu'à son père, Jean d'Arberg, un splendide souper.

Il s'agissait maintenant d'exécuter les articles de la capitulation. Les vainqueurs n'ignoraient pas le peu de sympathie que leur portaient les habitants d'Yverdon; ils se méfiaient d'eux, et c'est pour cela qu'ils avaient exigé que la ville leur livrât des ôtages. Ils choisirent à cet

effet les bourgeois les plus riches et les plus considérés. C'étaient: François Cordey, Glaude Lambert, Jean Jacottet, Vuillerme Fabri ou Favre, François Oddet, Guillaume Jocet, François Murat et Pierre Pictet, cadet. Ils partirent le jour de la Toussaint et furent répartis, deux à deux, dans les villes de Fribourg, de Berne, de Soleure et de Lucerne où ils furent entretenus aux dépens de la cité.

Le conseil d'Yverdon, de son côté, ne négligea rien pour obtenir la confirmation des franchises de la ville. Dès le 24 octobre, trois de ses membres, Jean Bachiez, François Murat et Pierre Murat, son fils, se rendirent dans ce but à Orbe où se trouvait l'armée suisse; mais ils n'obtinrent rien cette fois, parce que les chefs attendaient pour remplir cette formalité des ordres supérieurs. Ce ne fut que le 5 novembre 1475 qu'ils furent autorisés à exaucer leurs vœux. Les Yverdonois parurent satisfaits.

Depuis ce moment, les Suisses s'attachèrent à gagner la bienveillance des habitants d'Yverdon. Des ordres émanés de Berne prescrivirent au commandant de la garnison de vivre en bonne harmonie avec les bourgeois de la ville et de maintenir leurs franchises 2. Les soldats devaient payer exactement les vivres et les autres objets dont ils

1 Registre du conseil de Berne : « Man sol ouch den von Iverten >> und andern Brief geben si bi irn Friheiten beliben ze lassen, » page 148.

2 Ibidem, 10 novembre 1475, page 148 : « An die Houptlüt zu >> Yferten, das si mit den Lüten daselbs früntlich leben und Inen » unbescheidenlich nit begegnen in ansechen des Zusagens miner » Herren, si bi iren Freiheiten lassen zu beliben. »>

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avaient besoin; l'on devait punir ceux qui ne se conformeraient pas à ces directions et dénoncer leurs noms à leurs villes respectives. Bien plus, sur la demande réitérée de la ville, qui avait député à cet effet Jean Bachiez et Jordan Pichon à Berne et à Fribourg, on consentit à relâcher les ôtages et à leur permettre de rentrer dans leurs foyers. On recommanda, toutefois, au châtelain, Albin de Silinen, de Lucerne, d'assister aux délibérations du conseil de ville.

Mais, c'était en vain que les confédérés s'efforçaient de se rendre agréables à leurs nouveaux sujets. Les Yverdonois conservaient toujours l'espoir d'être affranchis d'un joug qui leur était odieux, et, s'ils n'osaient plus manifester hautement les sentiments de haine profonde qui remplissaient leurs cœurs, ils entretenaient des intelligences secrètes avec le comte de Romont qu'ils considéraient toujours comme leur seigneur, et ils n'attendaient qu'une occasion favorable de se débarrasser de ces Allemands qui avaient apporté la désolation dans leur beau pays. Ils crurent l'avoir trouvée.

Au commencement de janvier 1476, on apprit à Yverdon que le duc Charles de Bourgogne s'avançait à marches forcées du côté de la Suisse avec une armée redoutable,

1 Ibidem, 16 novembre 1745. « An die Sölder zu [ferten das >> si bi iren Eiden nieman nüt nemen zu Iferden, weder Win, Brod, » noch anders, dann das bezalent und welch das nit tetent, die wel » man straffen, das sol man in gemeiner Stetten namen schreiben. >> 2 Ibidem: « Habend min Herren von der vier Stetten beslossen, » von den Bürgen wegen von Iferdon, die in den vier Stetten sind, >> das man die wieder gen Iferden sol lassen komen, und inen in » Eiden und Eren vertruwen als lang den Herren eben ist. »

pour faire la guerre aux confédérés et tirer vengeance des atrocités qu'ils avaient commises sur les terres du comte de Romont, son allié et l'un de ses principaux officiers. Les Yverdonois ne doutèrent pas que ce prince, alors au comble de la puissance, ne réussit à chàtier ses ennemis. Toutefois, ils dissimulèrent leur joie et leur espoir et, ne pouvant agir ouvertement, ils ourdirent un complot pour introduire dans leur ville les troupes de Jacques de Savoie qui précédaient l'armée de Bourgogne. Les conspirateurs se rendirent en secret auprès du comte, et il fut convenu qu'un corps de quinze-cents cavaliers et fantassins s'approcherait avec eux en silence des murs d'Yverdon, dans la nuit du jeudi 11 janvier. C'était le jour du départ du châtelain Albin de Silinen et de l'arrivée de son successeur, Antoine Steiger, de Soleure, et l'on espérait qu'à la suite des copieuses libations qu'occasionnerait ce changement de gouverneur, les soldats de la garnison se relâcheraient de leur vigilance accoutumée.

Le plan était bien conçu, et les Suisses n'eurent aucun soupçon de ce qui était tramé contre eux. La journée se passa, ainsi qu'on l'avait prévu, en fêtes et en festins, et, lorsque la nuit fut arrivée, les sentinelles furent placées comme d'habitude; une partie des soldats alla se livrer au les autres restèrent à boire dans le faubourg de la

repos,

Plaine.

Il était une heure du matin, et c'était le moment fixé pour l'exécution de la sinistre entreprise. La petite armée, commandée par le comte de Romont et dirigée par les conspirateurs, s'approche aussitôt des murs de la ville, dont toutes les portes ont été secrètement ouvertes par les bourgeois qui participent au complot. Les malheureux

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