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Suisses, après avoir fait irruption dans le comté de Neuchâtel, s'avancèrent vers le pays de Vaud pour attaquer les châteaux des seigneurs vassaux de la maison de Bourgogne. Quoique la guerre ne fût pas encore déclarée entre les confédérés et le comte de Romont, et que le duc de Savoie, prince suzerain de Vaud, fût allié des Suisses, la ville prit l'alarme et demanda des renforts. Outre soixante hommes de la châtellenie d'Yverdon, cinquante-quatre de Morges, vingt-huit de Cossonay, vingt du Pont, commandés par les capitaines Nycod d'Aubonne et le seigneur de Tourens, firent leur entrée en ville le lundi 1er mai, jour de la capitulation de Grandson. Jean Chambanaz fut chargé de diriger l'artillerie de la place. Toutefois, ces chefs, obéissant aux ordres qu'ils avaient reçus de la régente de Savoie et du comte de Romont, évitèrent tout acte d'hostilité avec les Suisses, qui s'emparèrent des terres que la maison de Châlons possédait en deçà du mont Jura et incendièrent les châteaux de Montagny et de Champvent. Bien plus, tandis que l'armée des confédérés se trouvait encore près de Grandson, le châtelain d'Yverdon, Henri de Collombier, voulut qu'on accueillît avec honneur Rodolphe de Wuippens, capitaine des Fribourgeois, et les officiers allemands, et le conseil de ville fit distribuer de son côté du vin aux soldats de Soleure et d'autres cantons qui traversèrent Yverdon, le jour de la Pentecôte, pour aller assiéger le château de Jougne. La garnison fraternisa même pendant quelque temps avec celle que les Suisses avaient laissée à Grand

son.

Mais ce bon accord était plus apparent que réel. Tou

tes les sympathies des Yverdonois, dans la grande lutte engagée entre les Suisses et le duc de Bourgogne, étaient pour ce dernier, et ils faisaient en secret les vœux les plus ardents pour que ce prince vainquît ses ennemis et tirât vengeance des pillages et des cruautés qu'ils avaient exercés dans leur voisinage et jusque sur leur territoire. Aussi, lorsque les troupes suisses furent rentrées dans leurs foyers, les habitants d'Yverdon cessèrent de dissimuler la haine qu'ils portaient aux Allemands qui avaient dévasté une partie des villes de la patrie de Vaud. Les Suisses, et surtout les Bernois, que leurs affaires amenèrent dans cette ville, y furent insultés et maltraités'. On proféra de violentes menaces contre les soldats qui tenaient garnison à Grandson et à Orbe, et l'on refusa de leur vendre les vivres dont ils avaient besoin 3.

Ces imprudentes manifestations qui se répétèrent dans plusieurs villes de Vaud, et l'attachement visible que Jaques de Savoie portait au duc de Bourgogne, exaspérèrent les Bernois qui, se sentant secrètement appuyés par Louis XI, n'attendaient qu'un prétexte pour envahir un pays dont ils convoitaient depuis longtemps la possession.

Le 14 octobre 1475, le conseil de Berne, après s'être assuré de l'assentiment des confédérés, déclara la guerre au baron de Vaud; le héraut d'armes partit pour la Franche-Comté, portant le défi au comte de Romont, et, le même jour, une armée commandée par les avoyers de

1 Diebold Schillings Beschreibung der Burgundischen Kriegen, page 132. Berne, 1743.

2 Ibidem.

3 Ibidem.

Berne et de Fribourg et bientôt grossie des contingents des autres cantons, entra dans le pays de Vaud. Après s'être emparée de Morat, de Payerne, de Cudrefin, de Montagny et de Grandcour, l'armée envahissante, comptant dans ses rangs plus de dix mille hommes, quitta Payerne et se dirigea sur Estavayer.

Cette brusque invasion des Suisses porta l'épouvante dans Yverdon et les bourgeois et les habitants regrettèrent amèrement leurs bravades et leurs provocations. Cependant, ils se préparèrent à la résistance et se hâtèrent de fortifier les endroits les plus faibles de leur ville. On éleva des barricades du côté du pont des moulins et l'on se servit à cet effet d'un grand nombre de tonneaux de chaux que l'on avait ramassés à Clendy et à la Plaine. Ils furent placés debout et remplis de terre. On ferma avec soin une poterne que l'on venait de construire entre les deux ponts de Cheminet et de Gleyre. On fit de la poudre et l'on demanda du renfort aux villes de la patrie de Vaud.

Lausanne refusa, alléguant qu'elle ne pouvait faire marcher ses soldats sans un ordre formel du comte de Romont. Coppet envoya trente-deux hommes; Wuarrens deux; puis, arrivèrent les contingents de Morges et ceux du pays de Gex commandés par Amédée de Châtillon. Toutes ces petites troupes réunies aux soldats de la ville et de la chatellenie ne formaient qu'un effectif de 300 hommes, commandés par Pierre de Blay' et décidés à faire leur de

1 Petrus de Albona, Albi.-Annales historiques du comté de Neuchâtel et Valengin, par Jonas Boyve, pasteur de l'église de Fontaine, page 97, livre I. Chronique de Neuchâtel.

voir. Mais la ville vit bien qu'elle ne pouvait résister avec des forces aussi minimes, et, lorsqu'elle apprit par Claude Pontey, qu'elle avait envoyé à Estavayer, la prise de la ville et les massacres horribles exécutés par les confédérés, elle dépêcha à Morges, le lundi 19 octobre, un exprès au comte de Romont, pour lui déclarer que, sans l'envoi de nouveaux auxiliaires, elle se trouvait hors d'état de pouvoir lutter contre un ennemi si féroce et si supérieur en nombre.

Le messager franchit avec rapidité la distance qui sépare Yverdon de Morges et rapporta cette réponse désespérante que le prince, accouru de la Franche-Comté au secours de sa baronnie, se trouvait dans l'impossibilité de détacher aucune partie de ses troupes pour venir en aide à Yverdon.

Sur ces entrefaites l'armée confédérée, renforcée des contingents de Soleure, de Bienne et de Neuchâtel, avait quitté Estavayer et marchait sur Yverdon. L'avant-garde des Suisses rencontra en chemin quelques Bernois que l'on avait expulsés de la ville et parut devant le faubourg de la Plaine dans la journée du vendredi 30 octobre. Elle fut bientôt rejointe par le principal corps d'armée. Les troupes ennemies s'emparèrent sans résistance du faubourg de la Plaine, que les habitants avaient abandonné pour se retirer en ville, comme l'avaient déjà fait les villageois des environs, et se répandirent dans les prairies et les jardins qui entourent cette partie de la cité, cherchant les meilleures positions pour faire le siége du château'. Des soldats bernois s'avancèrent même vers le pont et essayèrent de franchir la petite rivière en sai

1 Diebold Schillings, pages 232 et 233.

sissant la chaîne qui retenait les portes du tournafod. Mais plusieurs coups tirés des murailles les forcèrent à se retirer; néanmoins, quelques-uns réussirent à passer la Thièle sur d'autres points, et, après avoir fait le tour de l'enceinte de la ville, vinrent faire leur rapport aux chefs de l'armée et leur signaler les localités où l'assaut pouvait être donné avec le plus de succès.

Cependant une affreuse inquiétude régnait dans la ville et l'effroi s'empara de tous les cœurs lorsque, après s'être abouché avec les chefs de l'armée des confédérés pour traiter de la reddition de la ville, on apprit que ceux-ci avaient reçu l'ordre, dans le cas où Yverdon ferait sa soumission, d'accorder la vie aux habitants, mais de raser leur cité. Il ne restait qu'un seul espoir dans cette terrible conjoncture, c'était d'essayer d'employer la haute intervention de Guillaume, seigneur de Valangin, allié des Bernois, grand ami des Yverdonois, et intéressé lui-même à la conservation de la ville où il était possesseur d'une maison 3.

1 Chronique de la guerre de Bourgogne, chap. 26.

2 Extraits des procès-verbaux du petit et grand conseil de Berne, No 18, p. 128, du 24 octobre 1475 (Manuscrit des archives de Berne): [ferten: An min Herren in das Väld, in glicher Form wie » Gestern, dann so vil mer min Herren gevallen sie; ob sich >> Iferten ergeben welle sol man die Lüt uf Gnad, und die Statt » uf Ungnad ufnemen und slissen. »

Monsieur l'archiviste et chancelier de Stürler a eu l'extrême obligeance de nous montrer ces précieux manuscrits et nous a aidé à prendre cette note et celles qui suivent.

3 Cette maison occupait dans la rue du lac l'emplacement où s'élèvent actuellement le bâtiment de la seconde cure et la maison Petitmaitre. Grosse Magnin, « Recognitio Jaqueti Besençon:..... in

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