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ils avaient sauvé la liberté valaisane menacée, ils revendiquèrent pour leurs députés le premier rang au cortège organisé lors de l'élection de l'évêque de Sion. Sion, la capitale, protesta. Les autres dixains proposèrent une transaction. Finalement, le banneret de Conches fut mis devant celui de Sion, mais après le bourgmestre de cette ville; et l'affaire qui avait fait couler beaucoup d'encre et allumé de violentes colères fut oubliée (1752) 1.

La turbulence, l'esprit tracassier, le manque de suite, les revirements subits de la politique, la défiance, voilà ce qui caractérise l'histoire de Conches avant la Révolution. Les évèques furent des premiers à en souffrir. En 1361 déjà, Guichard Tavelli s'étant rendu à Ernen pour forcer les Conchards à payer leur quote-part de la contribution imposée par la Savoie après la guerre de 1360-1361, les hommes de Mörel, d'Ernen et de Munster assaillirent l'évêque, l'emmenèrent en captivité dans une maison qu'il possédait à Munster et ne le relâchèrent qu'après qu'il eût promis qu'il les tiendrait quittes de la somme qu'il leur réclamait et qu'il ne les punirait pas de l'attentat qu'ils avaient commis sur lui 3. En 1416, Conches prononça la déchéance de l'évêque Guillaume de Rarogne qu'il appelait fort irrespectueusement quidam nomine Guillelmus 1. Huit ans plus tard 5, c'était l'administrateur du diocèse, André de Gualdo, qui était attaqué dans son château de la Majorie, à Sion, par des Conchards ameutés par l'évêque expulsé. Les armes spirituelles que ces prélats employèrent contre leurs agresseurs, l'excommunication, l'interdit, s'émoussaient devant la suffisance des Conchards; non que

1 Grenat, ó. c., p. 389 sqq.

2 Gremaud. o. c. V. p. 212-216.

3 Le même évêque ayant été assassiné par les seigneurs de la Tour, les patriotes de Conches et du Haut-Valais se levèrent pour le venger et détruisirent la puissance des meurtriers. Gay, Histoire du Vallais, p. 92.

« Ua nomm2 Guillaume », Gremaud. o. c. VII. p. 145.

5 Gremaud. o. c. VII, p. 412-431.

ceux-ci méprisassent l'Eglise, mais parce qu'ils s'arrogeaient le droit d'en interpréter les lois à leur façon.

Au contraire, Conches fut toujours très attaché à la religion catholique; il s'enorgueillissait de son surnom : Conches le catholique 1, que lui valut son impénétrabilité à la Réforme : tandis que celle-ci comptait des adhérents dans tous les dixains, elle n'en recruta aucun en Conches; dès les débuts de ce mouvement, en 1528, l'alliance de 1416 avec les Waldstetten était solennellement renouvelée et modifiée dans le sens d'une ligue défensive de l'ancienne foi ; d'autres cantons, Schwytz, Fribourg, Zoug, Soleure y adhéraient ; en 1549, le dixain de Conches interdisait à ses habitants l'abandon de la confession catholique ; en 1555, ses députés se prononçaient énergi quement à la Diete contre la diffusion de la Bible. En 1603, tous les hommes valides de la vallée, laissant le soin de leur bétail à leurs amis d'Urseren venus par la Furka, descendaient à Sion où, sur le pré de la Planta, un vote allait décider du sort de la religion; grâce à leurs suffrages, le catholicisme l'emporta, et une contre-réforme fut possible qui brisa l'élan des novateurs.

Un dernier assaut fut à recevoir c'était celui de la Révolution française; les Conchards n'y faillirent point. Qu'était-ce que cette liberté qu'on se vantait de leur apporter, à côté de l'autonomie dont ils jouissaient depuis des siècles? Qu'était-ce que ces libérateurs qui pillaient ceux qu'ils prétendaient affranchir? Que fallait-il craindre

1 Chacun des VII dixains haut-valaisans avait son surnom: Sion la capitale, Sierre la belle, Loueche la forte, Rarogne la prudente, Viège la noble, Brigue la riche, Conches le catholique, en latin: Sedunum caput, Sirrum amoenum, Leuca fortis, Raro prudens, Vespia nobilis, Briga dives, Gomesia catholica. Cf. Schiner, Description du département du Simplon, p. 10.

Grenat. O. c. p. 3-4.

Heusler. o. c. p. 113-114.

♦ Grenat. o. c. p. 66-67.

* Les armes du dixain portent : coupé de gueules et d'argent à deux croix de l'un en l'autre.

Gomesia catholica.

Conserva

tisme.

surtout pour la religion, de la part de ces disciples de Voltaire et de Rousseau ? Réunis à Naters 1 pendant l'hiver de 1798-1799, les dixains supérieurs décidaient la résistance; quelques mois après, une expédition poussait jusqu'au Trient ; là elle rencontra l'armée française qui la ramena en arrière. Les Haut-Valaisans furent battus le 28 mai au bois de Finges; ils furent battus le 1er juin au pont de la Massa; malgré l'arrivée des Autrichiens débouchant par le col du Nufenen, ils furent battus le 2 juin à Lax. Les réquisitions exorbitantes des Français qui cantonnèrent dans la vallée, les escarmouches continuelles entre Français et Autrichiens, les dévastations des alliés aussi bien que des ennemis, conduisirent en peu de temps. les Conchards à une telle misère qu'elle émut même les plus impitoyables de leurs adversaires. Bas-Valaisans, Vaudois, Français même s'occupèrent à soulager tant de malheur 300 orphelins furent recueillis dans les dixains inférieurs.

De ce jour, le rôle politique de Conches était terminé : la domination française plus ou moins manifeste au temps de la République valaisane (1802-1810) et du Département du Simplon (1810-1815), l'accession des Bas Valaisans au gouvernement (1815), surtout l'établissement de la représentation proportionnelle à la population (1839) y mirent fin. Fidèle à ses principes d'autrefois, Conches forma tout récemment un nouveau parti dont le but était d'augmenter les prérogatives populaires aux dépens des privilèges des Messieurs de Sion, mais le mouvement avorta, une fois son chef admis aux honneurs; et après ce dernier soubresaut, le dixain rentra dans le parti conservateur-clérical auquel il a appartenu pendant tout le XIXe siècle.

1 Grenat. o. c. p. 498, sqq.

2A Ulrichen seulement, village de moins de 300 àmes, les contributions en viande, blé, avoine, pain, fromage et beurre, s'élevèrent à la somme de 1726 couronnes. P. AmHerd. Denkwürdigkeiten von Ulrichen, p. 140.

Si ce n'est pas encore la mort, c'est le sommeil qui en est l'image. A la barrière des montagnes s'ajoute celle des moeurs pour défendre l'accès du pays aux idées nouvelles, au progrès; aucune industrie, aucune usine qui stimule l'activité de son entourage; trop de gens qui n'ont jamais eu d'autre horizon que celui de leur vallée; la moquerie, la malveillance attendent celui qui cherche à s'arracher à cette torpeur; la routine des occupations agricoles, de la vie communautaire dont tous les détails sont réglés d'avance est comme un opium sous l'influence duquel s'endort la population concharde.

CHAPITRE X

Les routes.

Quelque variées que soient les cultures de la vallée de Conches, quelque ingéniosité qu'y mette le paysan à produire lui-même tout ce dont il a besoin pour se loger, se vêtir, se nourrir, il est des objets de pressante nécessité qu'il ne trouve pas chez lui: ainsi le sel. L'acquisition de ce condiment indispensable détermina l'établissement de relations commerciales entre Conches et les pays producteurs ceux-ci la France et le Milanais, fournissaient le sel à des conditions d'autant plus favorables qu'ils désiraient obtenir en retour divers avantages politiques. Les guerres du Milanais eurent une répercussion jusque sur le commerce du sel, chacun des adversaires enchérissant sur ses offres pour s'attacher le Valais.

D'autres denrées suivirent la même voie que le sel. Le vin, les fruits, plus tard le riz entraient d'Italie en Conches qui exportait en retour ses céréales et ses pommes de terre, le fromage de ses montagnes, son bétail. Une

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Nécessité du

commerce.

partie des échanges se faisait par Mörel où se tenait une foire aux bestiaux de lointaine renommée. Mais cette route, importante au point de vue politique, puisqu'elle menait en Valais, ne fut guère employée que par le commerce local, d'autant plus qu'elle était pénible et exposée à de continuels dégâts par le Rhône, à des inondations et à des avalanches. Il en fut de même de la route de la Furka, à l'autre extrémité de la vallée. Ce dernier col était fréquenté depuis le XIVe siècle : une fois qu'Urseren fut tombé entre les mains des Uranais, il devint le point de contact avec le territoire des Waldstetten; les rapports commerciaux se doublèrent d'alliances politiques. Un accord conclu en 15311 entre la diète valaisane et l'ammann, le conseil et la communauté d'Urseren au sujet des péages et des droits de voiturage et de transport sur la Furka, montre qu'il y avait là un chemin au moins partiellement carrossable. Les pièces de canon prises à la bataille de Cappel en 1531 purent être amenées en Valais par cette voie1; mais elle était défectueuse sur plusieurs points, et les Conchards durent en 1540 demander à la diète une subvention pour la réparer; ils obtinrent 40 écus 3. La modicité de ces ressources, les difficultés et les dangers du tracé ne permirent pas de l'améliorer suffisamment; le caractère sauvage de la contrée qu'elle parcourait en détournait aussi bien des marchands et des voyageurs. Au sortir d'Oberwald, il fallait s'engager dans la gorge sombre et profonde que la haute muraille de la Maienwand barre à sa partie supérieure et que le Rhône remplit de son mugissement. On longeait ensuite le glacier du Rhône qu'on quittait bientôt pour grimper par le ravin du Muttbach jusqu'au col. Pendant 7 heures de marche on n'apercevait aucune habita

1 Heusler. Rechtsquellen des Cantons Wallis, p. 57.

2 Grenat. Histoire moderne du Valais, p. 5.

3 Grenat. o. c. p. 40.

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