Page images
PDF
EPUB

OEUVRES COMPLÈTES

DE MADAME LA BARONNE

DE STAËL-HOLSTEIN.

TOME II.

[merged small][merged small][ocr errors]
[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

FIRMIN DIDOT FRÈRES ET CIE, LIBRAIRES,
RUE JACOB, No 56;

ET TREUTTEL ET WÜRTZ, LIBRAIRES,
RUE DE LILLE, N° 17; ET A STRASBOURG.

M DCCC XXXVI.

OR INST

2 4 MAR 1954

9999

OEUVRES

COMPLÈTES

DE MADAME DE STAEL.

PRÉFACE.

Ce 1er octobre 1813. En 1810, je donnai le manuscrit de cet ouvrage sur l'Allemagne au libraire qui avait imprimé Corinne. Comme j'y manifestais les mêmes opinions, et que j'y gardais le même silence sur le gouvernement actuel des Français que dans mes écrits précédents, je me flattai qu'il me serait aussi permis de le publier: toutefois, peu de jours après l'envoi de mon manuscrit, il parut un décret sur la liberté de la presse d'une nature très-singulière; il y était dit, « qu'aucun ouvrage ne pourrait être imprimé sans avoir été examiné par des censeurs. » Soit; on était accoutumé en France, sous l'ancien régime, à se soumettre à la censure; l'esprit public marchait alors dans le sens de la liberté, et rendait une telle gêne peu redoutable; mais un petit article, à la fin du nouveau règlement, disait que lorsque les censeurs auraient examiné un ou«vrage et permis sa publication, les libraires seraient en effet autorisés à l'imprimer, mais que le ministre de la police aurait alors le droit de le supprimer tout entier, s'il le jugeait convenable. » Ce qui veut dire, que telles on telles formes seraient adoptées, jusqu'à ce qu'on jugeât à propos de ne plus les suivre : une loi n'était pas nécessaire pour décréter l'absence des lois, il valait mieux s'en tenir au simple fait du pouvoir absolu.

la

Mon libraire cependant prit sur lui la responsabilité de la publication de mon livre, en le soumettant à la censure, et notre accord fut ainsi conclu. Je vins à quarante lieues de Paris pour suivre l'impression de cet ouvrage, et c'est que pour la dernière fois j'ai respiré l'air de France. Je m'étais interdit dans ce livre, comme on le verra, toute réflexion sur l'état politique de l'Allemagne; je me supposais à cinquante années du temps présent, mais le temps présent ne permet pas qu'on l'oublie. Plusieurs censeurs examinèrent mon manuscrit ; ils supprimèrent les diverses phrases que j'ai rétablies, en les désignant par des notes; enfin, à ces phrases près, ils permirent l'impression du livre tel que je le publie maintenant, car je n'ai cru devoir y rien changer. Il me semble curieux de montrer quel est un ouvrage qui peut attirer maintenant en France sur la tête de son auteur la persécution la plus cruelle.

Au moment où cet ouvrage allait paraître, et lorsqu'on avait déjà tiré les dix mille exemplaires de la première édition, le ministre de la police, connu sous le nom du géné

ral Savary, envoya ses gendarmes chez le libraire, avec ordre de mettre en pièces toute l'édition, et d'établir des sentinelles aux diverses issues du magasin, dans la crainte qu'un seul exemplaire de ce dangereux écrit ne pût s'échapper. Un commissaire de police fut chargé de surveiller cette expédition, dans laquelle le général Savary obtint aisément la victoire; et ce pauvre commissaire est, diton, mort des fatigues qu'il a éprouvées, en s'assurant avec trop de détail de la destruction d'un si grand nombre de volumes, ou plutôt de leur transformation en un carton parfaitement blanc, sur lequel aucune trace de la raison humaine n'est restée; la valeur intrinsèque de ce carton, estimée à vingt louis, est le seul dédommagement que le libraire ait obtenu du général ministre.

Au moment où l'on anéantissait mon livre à Paris, je reçus à la campagne l'ordre de livrer la copie sur laquelle on l'avait imprimé, et de quitter la France dans les vingtquatre heures. Je ne connais guère que les conscrits à qui vingt-quatre heures suffisent pour se mettre en voyage; j'écrivis donc au ministre de la police qu'il me fallait huit jours pour faire venir de l'argent et ma voiture. Voici la lettre qu'il me répondit :

POLICE GÉNÉRALE.

CABINET DU MINISTRE.

Paris, 3 octobre 1810.

« J'ai reçu, madame, la lettre que vous m'avez fait « l'honneur de m'écrire. Monsieur votre fils a dû vous ap« prendre que je ne voyais pas d'inconvénient à ce que << vous retardassiez votre départ de sept à huit jours: je « désire qu'ils suffisent aux arrangements qui vous restent « à prendre, parce que je ne puis vous en accorder da<< vantage.

« Il ne faut point rechercher la cause de l'ordre que je « vous ai signifié, dans le silence que vous avez gardé à l'égard de l'Empereur dans votre dernier ouvrage, ce se<< rait une erreur; il ne pouvait pas y trouver de place qui « fût digne de lui; mais votre exil est une conséquence << naturelle de la marche que vous suivez constamment « depuis plusieurs années. Il m'a paru que l'air de ce pays«< ci ne vous convenait point, et nous n'en sommes pas << encore réduits à chercher des modèles dans les peuples « que vous admirez.

« PreviousContinue »